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Une protection inadaptée par le droit de la propriété intellectuelle

par le droit de la propriété immatérielle

2. Une protection inadaptée par le droit de la propriété intellectuelle

307. L’article L. 112-1 du Code de la propriété intellectuelle qui ouvre le chapitre consacré aux œuvres protégées par le droit d’auteur dispose que sont concernées

634 Le règlement de 1988 était sur ce point particulièrement éloquent en précisant explicitement que : la notion ne devait pas « être comprise dans un sens étroit, à savoir que chaque composant individuel du savoir-faire doive être totalement inconnu ou impossible à obtenir hors des relations avec le franchiseur ».

Dans le même sens, v. D. Baschet, « Le savoir-faire dans le contrat de franchise », Gaz. Pal., 1994, p. 690 et s.

635 Pourtant, le règlement européen d’exemption exclut de la notion de savoir-faire toutes les informations qui seraient brevetées… Il y a là une assimilation regrettable de la partie au tout.

636 François-Luc Simon préfère pour sa part considérer que ces informations « accompagnent » le savoir-faire (F.-L. Simon, Théorie et pratique du droit de la franchise, Lextenso, 2009, n° 79), ce qui nous paraît contestable.

637 Certains vont toutefois plus loin dans la critique du texte communautaire, affirmant que cette précision entretient une confusion « entre l’objet de l’intervention juridique que représente le savoir-faire et les modalités de l’intervention juridique susceptible d’être appliquées à celui-ci et dont le brevet représente une option » (J. Raynard, « Retour sur le savoir-faire non breveté », in Droits de propriété intellectuelle : Liber amicorum Georges Bonet, Litec, 2010, n° 12).

638 Cette protection est manifestement perçue comme positive par certains franchisés qui s’émeuvent de découvrir qu’elle n’est pas systématique. Pour diverses illustrations de contestations de la substantialité du savoir-faire en l’absence de brevet, v. C.A. Bordeaux, 23 mars 1989, SARL L’onglerie c/ Henry, JurisData n° 1989-041727, C.A. Bordeaux, 4 juillet 1990, Sabadie c/ SARL L’onglerie, JurisData n° 1990-047177, Cass. Com., 22 janvier 1991, Mme Rolande c/ SARL L’onglerie, n° 89-15.654 : Inédit, ou encore C.A. Poitiers, 14 septembre 1994, SARL L’onglerie c/ Mme Sabadie, JurisData n° 1994-052602.

« toutes les œuvres de l’esprit, quels qu’en soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination »639. Le néophyte pourrait être tenté de voir dans la généralité de cette assertion un moyen commode et efficace de protéger le savoir-faire, qu’il semble difficile de qualifier autrement que d’« œuvre de l’esprit ». Toutefois, le droit d’auteur est marqué depuis le XVIIIe siècle640 par une singulière opposition entre le fond et la forme, bien peu favorable à la protection du savoir-faire par le franchiseur. En effet, selon l’expression consacrée, le droit d’auteur n’a pas vocation à protéger les idées qui sont de « libre parcours »641.

308. Libre parcours des idées. Dès lors, le savoir-faire en tant que concept abs-trait ne peut être protégé par le droit d’auteur. Seule la forme particulière donnée à l’idée que représente le savoir-faire est susceptible de protection. Ce n’est donc pas le savoir-faire en tant que tel, mais ses multiples émanations, son prolongement concret et pragmatique qui seront susceptibles de protections. Les exemples sont nombreux. Le plus répandu et le plus évident est certainement la mise en place de ce que la pratique a coutume de désigner – stupidement selon certains642 – sous le vocable de « bible » de la franchise. Dans un fascicule souvent épais, ou de plus en plus fréquemment sous forme électronique, le franchiseur récapitulera à destina-tion de ses franchisés le concept de son réseau et y détaillera les points essentiels de son savoir-faire. Bien évidemment, un tel support, qu’il soit papier ou informa-tique, est susceptible de bénéficier de la protection du droit d’auteur643. Toutefois, par une application classique du principe susénoncé, la jurisprudence décide fort logiquement que si un ouvrage exposant une méthode peut être protégé par le droit d’auteur, à condition que sa composition ou sa forme réponde aux exigences d’originalité, la méthode elle-même ne peut bénéficier de la protection644. Or, le franchiseur a bien peu d’intérêt à protéger la présentation du savoir-faire faite dans sa « bible » : pour originale qu’elle soit, cette présentation n’a pas ou peu de valeur au regard des idées qu’elle renferme.

309. Tout comme le droit des marques, le droit d’auteur se révèle donc ineffi-cace pour assurer une protection globale du savoir-faire, même au travers d’une éventuelle « bible ». Plus intéressante en revanche sera la protection de réalisations

639 Article L. 112-1 du Code de la propriété intellectuelle

640 On trouve cette distinction chez Fichte (J. G. Fichte, Preuve de l’illégitimité de la reproduction des livres, un raisonnement et une parabole, PUF, 1968).

641 H. Desbois, Le Droit d’auteur en France, 3e éd., Dalloz, 1978, n° 18 : « quelle qu’en soit l’ingéniosité et même si elles sont marquées du coin du génie, la propagation et l’exploitation des idées exprimées par autrui ne peut être contrariée par les servitudes inhérentes au droit d’auteur : elles sont par essence et par destination de libre parcours ».

Ce point de vue, quoique de droit positif, est critiqué par certains : P. Le Tourneau, « Folles idées sur les idées », Comm. com. électr., 2001, chron. 2, p. 8 et s.

642 P. Le Tourneau, Les contrats de franchisage, 2e éd., Litec, 2007, n° 497.

643 Ces hypothèses sont envisagées par la liste non exhaustive de l’article L. 112-2 1° du Code de la propriété intellectuelle qui vise « les livres, brochures et autres écrits littéraires, artistiques et scientifiques ».

644 C.A. Paris, 2 août 1870, DP, 1871, 2, p. 16

ponctuelles, fruit du savoir-faire du franchiseur. La protection de savoir-faire pas-sera donc par la protection efficace de l’ensemble des éléments qui le compose. À cet égard, le droit d’auteur pourra être un appui précieux pour le franchiseur. On pense évidemment aux logiciels de gestion spécifiques, souvent indispensable à la mise en œuvre des méthodes de gestions du franchiseur645 que ce dernier aura pu développer ou faire développer. De la même manière, les plans des bâtiments, les affiches publicitaires et autres catalogues seront fréquemment protégés au titre du droit d’auteur646.

310. À la marge se posent des questions similaires à celles déjà abordées en matière de protection des éléments du savoir-faire par le droit des marques647. Il ne fait ainsi aucun doute que le droit d’auteur sera susceptible de protéger une composition musicale qui servirait à différencier le réseau et serait en tant que telle un signe de ralliement de clientèle, partie intégrante du savoir-faire648. De la même manière, un éventuel personnage qui servirait d’emblème au réseau649 devrait logi-quement se voir accorder la protection du droit d’auteur, dans la mesure où il est empreint d’une certaine originalité et d’une certaine constance650. On pourrait éventuellement songer à ajouter à cet inventaire à la Prévert la présentation des vitrines651 et bien d’autres illustrations du savoir-faire dont l’objet de la présente étude n’est pas de faire la liste exhaustive.

645 Claude Guiu et Michèle Tresse notent ainsi que « le savoir-faire se traduit souvent par des applications très concrètes comme la réalisation de logiciels de gestion spécifiques sur lesquels un droit d’auteur est complètement opposable » (C. Guiu et M. Tresse, « La protection du réseau de franchise par les droits de propriété industrielle », D. aff., 1999, no 170, p. 1154 et s.).

646 Bien qu’il arrivera fréquemment que le franchiseur ne soit, pas plus que le franchisé titulaire de ce droit qui appartiendra par principe à l’auteur de ces œuvres, lequel sera souvent un tiers (architecte, agence de communication). Le franchiseur aura cependant tout intérêt à se faire consentir une cession partielle ou totale de ce droit, tout particulièrement s’agissant des bâtiments (sur cette question, v. M.

Huet, « Architecture et urbain saisis par le droit d’auteur en France », RIDA, 2007, no 212, p. 3 et s.).

La protection des œuvres publicitaires par le droit d’auteur a fait l’objet de diverses études : E. Parent, Le droit d’auteur sur les créations publicitaires, Eyrolles, 1989 ou plus récemment C. De Los Santos,

« Publicité et droit d’auteur, comment protéger ses ouvrages publicitaires ? », Gaz. Pal., 2000, no 140, p. 15 et s.

647 V. supra, n° 289 et s.

648 L’hypothèse est expressément envisagée par l’article L. 112-2 du Code de la propriété intellectuelle qui vise « les compositions musicales avec ou sans paroles ». Il conviendra bien évidemment de vérifier que la composition en question remplit les conditions classiques nécessaires à la protection au premier rang desquelles le critère d’originalité (pour une étude d’ensemble de la question, v. A.-E. Kahn,

« Objet du droit d’auteur, notion d’œuvre musicale (CPI, art. 112-2) », Fascicule n° 1138, in J.-Cl.

Propriété littéraire et artistique, 2003).

649 On pense inévitablement, notamment, à un célèbre clown, symbole d’un réseau de restauration rapide non moins célèbre.

650 La jurisprudence n’a, à notre connaissance, jamais eu à se prononcer sur la question en matière de droit de la distribution. Cependant, la généralité des solutions dégagées en matière de fiction nous paraît autoriser un raisonnement par analogie (v. notamment C.A. Paris, 9 janvier 1986, JurisData n° 1986-020012).

651 Celles-ci nous paraissent, dans des hypothèses bien particulières, relever de véritables créations originales, ce qui légitimerait une protection du franchiseur.

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311. Ainsi, l’étude des possibilités de protection du savoir-faire par le droit de la propriété intellectuelle a permis de dégager la spécificité de cette notion, laquelle explique principalement l’impossibilité d’une protection par les mécanismes clas-siques. En effet, le savoir-faire est d’abord un ensemble, au sens premier et holiste du terme, c’est-à-dire un tout qui diffère et sublime l’ensemble des éléments indi-viduels dont il est constitué. Le savoir-faire comprendra souvent nombre d’élé-ments protégés ou susceptibles de l’être par le droit de la propriété intellectuelle. Il est frappant de constater la faculté d’adaptation du droit de la propriété intellec-tuelle qui a su rapidement appréhender des objets extrêmement divers. Toutefois, le savoir-faire ne peut se résumer à la simple somme de l’ensemble de ces éléments.

La valeur ajoutée du franchiseur réside uniquement dans l’assemblage inédit, cohérent et éprouvé de l’ensemble de ces éléments, qu’ils soient ou non originaux.

À dire vrai, beaucoup de savoir-faire pourtant substantiels ne sont constitués que de l’assemblage d’éléments qui, pris isolément, ne recouvrent aucune originalité652. C’est en revanche ce subtil assemblage et la cohérence interne de ce dernier qui déterminera le succès du réseau. Paradoxalement toutefois, le savoir-faire ainsi défini en tant qu’ensemble est totalement insusceptible de protection par le droit de la propriété intellectuelle.

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312. Aussi, il semble possible d’affirmer que la protection légale du savoir-faire et plus largement du réseau à l’issue du contrat de franchise, si elle n’est pas inexistante, demeure assez largement insuffisante. Le problème est essentiellement d’intensité en matière de droit des obligations : en l’absence d’obligation de non-concurrence de plein droit, le régime de la concurrence déloyale apparaîtra souvent trop contraignant au franchiseur. Le problème est en revanche lié au champ d’application en ce qui concerne le droit de la propriété intellectuelle, inapte à prendre en compte la spécificité du savoir-faire en tant qu’ensemble sublimant l’ensemble de ses composantes. Cette protection insuffisante par la loi ouvre donc la voie à l’insertion complémentaire de restrictions contractuelles de concurrence, dont il faudra désormais étudier le régime, à la lumière de ses enseignements.

652 Hubert Bensoussan note très justement que « la plupart des savoir-faire sont un assemblage d’éléments qui pris isolément ne sont pas spécifiques. Seule la composante crée l’originalité, la ‘distinctivité’ » (H.

Bensoussan, « Les clauses restrictives de non-concurrence, vestige des temps anciens ? », in Dissaux etLoir, La protection du franchisé au début du XXIe siècle : entre réalités et illusions, L’Harmattan, 2009, p. 151).

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313. Cette section avait été ouverte sur deux interrogations : quelle(s) valeur(s) pro-tègent les clauses restrictives de concurrence post-contractuelles et pourquoi celle(s)-ci a (ont)-elle(s) besoin d’une telle protection spécifique ? La première de ces questions est en réalité la plus embarrassante. Il est plus facile de faire l’inventaire de ce que les clauses restrictives de concurrence ne sauraient protéger que de déterminer précisé-ment leur objet. Aussi, au terme de cette analyse, il nous semble que seul le savoir-faire est susceptible d’être érigé en valeur protégée par les restrictions post-contractuelles de concurrence. À la question de savoir si la protection de ce savoir-faire organisée par la loi est véritablement inadaptée, il nous semble plus aisé de répondre par l’affirmative.

Cette double constatation permet d’éclairer d’un jour nouveau la question du régime des restrictions de concurrence.

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