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La protection de l’organisation territoriale du réseau

B. La nécessaire protection de l’achalandage du franchiseur

1. La protection de l’organisation territoriale du réseau

247. La notion de clientèle – tout du moins telle qu’elle est aujourd’hui entendue par la jurisprudence et certains auteurs – semble ainsi relativement inopérante pour décrire le fondement des clauses de non-concurrence restrictives de concurrence533. En revanche, si l’on considère que la seule clientèle du franchiseur est constituée des fran-chisés eux-mêmes, ce sont ces derniers, et plus largement l’activité de « tête de réseau » du franchiseur que la stipulation de clauses restrictives de concurrence doit protéger.

C’est donc, à notre sens, dans cette protection du réseau qu’il faut rechercher l’unique fondement des restrictions postcontractuelles de concurrence.

B. La nécessaire protection de l’achalandage du franchiseur

248. Afin de protéger son activité et donc l’attractivité de son réseau, le franchiseur se doit d’éviter toute désorganisation de ce dernier. Or, la poursuite d’activité d’un ancien franchisé est susceptible de perturber le réseau à deux égards. Tout d’abord, la perte d’un point de vente pourra mettre en péril l’organisation territoriale du réseau (1). Par ailleurs, la réinstallation du franchisé est potentiellement génératrice d’une déperdition de valeur du savoir-faire, élément capital de l’achalandage du franchiseur, et donc de l’attractivité de son réseau (2).

1. La protection de l’organisation territoriale du réseau

249. Si la protection de l’organisation territoriale du réseau de franchise a pu, au début des années 1990, apparaître comme l’un des fondements de clauses de non-concurrence postcontractuelles (a), il semble en vérité que cette solution soit très lar-gement contestable dans la mesure où il est malaisé d’évaluer l’impact véritable de la poursuite de l’activité du franchisé sur l’organisation interne du réseau (b).

de pratiques concertées Et 5.3 c du Règlement (UE) n° 330/2010 de la commission du 20 avril 2010 concernant l’application de l’article 101, paragraphe 3, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne à des catégories d’accords verticaux et de pratiques concertées).

533 La jurisprudence ne s’y trompe d’ailleurs pas et la Cour d’appel de Bordeaux a, dès 1990, affirmé avec clarté qu’une clause ne pouvait être légitimée par la protection de la clientèle en matière de contrat de franchise (C.A. Bordeaux, 4 juillet 1990, Sabadie c/ SARL L’onglerie, JurisData n° 1990-047177).

a. La nécessaire réimplantation du réseau

250. Difficulté à rouvrir un point de vente. Il est certain que le départ du fran-chisé perturbera ce qu’il est convenu d’appeler le « maillage territorial » réalisé par le franchiseur, une zone se trouvant dépourvue de point de vente. Pour certains, la rédaction du premier règlement d’exemption européen534 permettait de voir là l’un des objets potentiels de la clause de non-concurrence postcontractuelle535. Quelques arrêts semblent emprunter cette analyse et notent que la clause de non-concurrence a pour objet de « donner le temps [au franchiseur], après la cessation du contrat de franchise […] de réimplanter son enseigne, ou à son choix une autre enseigne du groupe, sur une surface équivalente, ici de 740 mètres carrés, dans la zone de chalandise »536 ou encore « de permettre [au franchiseur] de reconstituer le maillage de son réseau »537. Comme le relève de façon fort juste Monsieur le Professeur Christophe Jamin538, la réimplantation d’un point de vente par le franchiseur pourra effectivement tenir du parcours du combat-tant en raison des règles drastiques régissant la réimplantation d’une surface de vente – particulièrement dans le domaine de la grande distribution alimentaire.

251. Assigner un tel fondement à la clause de non-concurrence a pour mérite d’ex-pliquer de façon bien plus pertinente que la référence au savoir-faire539 la limitation par le droit européen de l’interdiction à une durée d’un an540. Celle-ci correspondrait en effet au temps nécessaire au franchiseur pour réorganiser localement son réseau et, éventuellement, réimplanter un nouveau point de vente. Toutefois, d’autres arrêts, se fondant sur l’exigence de proportionnalité, estiment que la clause de non-concurrence ne saurait tendre uniquement « à protéger un territoire et à assurer la reconstitution locale du réseau »541. Certains ont pu déceler dans cette tendance l’influence de la nouvelle rédaction du règlement européen, qui efface toute référence à la protection de l’iden-tité commune et de la réputation du réseau542. Cependant, cette influence ne peut être qu’indirecte dans la mesure où le règlement communautaire n’est pas

systématique-534 M. Behar-Touchais, « La clause de non-concurrence ou de non-réaffiliation dans le contrat de franchise », note sous Cass. Com., 9 juin 2009, RDC, 2010, 33, p. 921.

535 L.-M. Augagneur, « Changer d’enseigne », JCP E, 2008, 2170, n° 11.

536 Cass. Com., 9 juin 2009, Sté Perrosdis c/ Sté Casino Distribution France, n° 08-14.301, LPA, 2010, n° 2, p. 11, note Dissaux, RDC, 2010, n° 3, p. 921, note Behar-Touchais, Cont. conc. consom., 2009, comm. 221, note Malaurie-Vignal

537 C.A. Rennes, 23 octobre 2007, SARL Les conquérants c/ SAS Prodim, JurisData n° 2007-367061. Dans le même sens, C.A. Paris, 4 mars 1991, Nedelec c/ SNC Athlete’s Foot, JurisData n° 1991-021270.

538 C. Jamin, « Clause de non-concurrence et contrat de franchise », D., 2003, no 42, p. 2878 et s., n° 15.

539 Si la clause de non-concurrence a pour fondement la protection du savoir-faire, on comprend mal dans quelle mesure le franchisé aura perdu sa dangerosité à l’expiration d’un délai uniformément fixé à un an. Sur cette question, v. n° 331 et s.

540 Règlement (UE) n° 330/2010 de la Commission du 20 avril 2010 concernant l’application de l’article 101, paragraphe 3, du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne à des catégories d’accords verticaux et de pratiques concertées, art. 5§3, d.

541 C.A. Rennes, 23 mars 2004, JCP E, 2005, 446. Dans le même sens, v. C.A. Caen, 29 septembre 2005, M. Batard c/ SAS Prodim, JCP E, 2006, 2064.

542 L.-M. Augagneur, « Changer d’enseigne », JCP E, 2008, 2170, n° 11.

ment applicable. Plus largement, il nous semble que cette référence à la protection du maillage du réseau de franchise comme fondement de la clause de non-concurrence soit relativement fragile du seul point de vue de la théorie générale des obligations. En effet, comme le relève une doctrine autorisée, une clause de non-concurrence dont le seul fondement serait la protection d’un maillage territorial se révélerait particulière-ment contestable du point de vue de l’exigence de proportionnalité et la condition de légitimité543. Il n’est pas interdit de s’interroger : la poursuite d’activité du franchisé quittant le réseau est-elle réellement de nature à perturber de façon significative la réinstallation d’un point de vente par le franchiseur ? On comprend finalement que, derrière la protection du maillage, c’est en vérité l’emplacement même de l’ancien fran-chisé que convoitent les partisans de cette justification de la clause de non-concurrence.

b. L’indifférence de la poursuite d’activité du franchisé quant à la reconstitution du maillage

252. Inconvénients économiques du maintien du franchisé dans les murs. En pratique, deux situations méritent d’être distinguées, selon que le franchiseur sera ou non également le bailleur du franchisé – directement ou par le biais de sociétés tierces appartenant à son groupe. Dans l’hypothèse où le franchiseur cumule ces deux quali-tés, ce dernier aspirera probablement à conserver le point de vente du réseau dans les murs qu’il possède. Pourtant, le bail commercial consenti au franchisé sera immanqua-blement de nature à faire obstacle à cette opération. Ceci peut paraître d’autant plus dommageable que les locaux auront probablement été aménagés, voire construit, pour respecter les normes du savoir-faire et préserver l’unité du réseau544. Aussi, le franchisé conservant ses locaux sera contraint d’effectuer des travaux afin d’éviter toute accu-sation de détournement du savoir-faire du franchiseur, tandis que ce dernier se verra dans l’obligation de réaliser, de son côté, de nouveaux aménagements pour adapter un autre local aux normes de son réseau.

253. Clauses d’enseignes. Les clauses dites d’enseignes ont pu apparaître à cer-tains franchiseurs comme un remède efficace à ce type de situations, économique-ment peu rationnelles. Avec l’instauration de ce type de clauses, le franchisé-preneur s’engageant à n’exploiter son commerce que sous l’enseigne du franchiseur-bailleur se voit automatiquement contraint de renoncer à la propriété commerciale en cas de cessation du contrat de franchise, permettant ainsi au franchiseur de disposer à nouveau de ses locaux. Toutefois, la Cour de cassation exclut fort heureusement ce type de stipulations qui semblent d’une part devoir s’apparenter à des clauses res-trictives de concurrence545 et qui, d’autre part, violent, selon les magistrats du quai

543 C. Jamin, « Clause de non-concurrence et contrat de franchise », D., 2003, no 42, p. 2878 et s., n° 15.

544 Bien évidemment, toutes les franchises ne sont pas égales. Si un supermarché alimentaire s’accommodera peut-être facilement d’un changement d’enseigne, il en va différemment de certains points de vente dont l’architecture même est guidée par des normes propre aux réseau, allant parfois jusqu’à être protégée par le droit de la propriété intellectuelle. V. infra, n° 300.

545 Sur la question de la qualification de ces clauses, v. n° 114.

de l’Horloge, les articles L. 145-47 du Code de commerce546. Aussi, quoique le fran-chiseur cumule cette qualité avec celle de bailleur, il semble difficile de faire échec à la poursuite de l’activité du franchisé dans les locaux donnés à bail. A cet égard, la clause de non-concurrence n’apparaît en rien comme un remède satisfaisant : si elle diffère le problème au plus d’un an et peut, au mieux, avoir un effet dissuasif, elle n’empêche en rien la poursuite de l’activité du franchisé dans les locaux objets de la franchise547. Plus fondamentalement, il semble que si la nature du réseau implique une intégration telle qu’il soit nécessaire pour la tête de réseau d’être également propriétaire des murs, c’est alors que la formule juridique de la franchise n’est pas adaptée. Le degré d’indépendance du franchisé qu’implique cette forme juridique est en effet incompatible avec une intégration quasi totale qui réduit d’autant la marge d’initiative des gérants des points de vente. Dès lors, l’incongruité de la situation à l’issue des relations contractuelles n’est peut-être pas à rechercher dans une inadap-tation du droit positif, mais dans le choix erroné que les parties ont fait au moment de donner à leurs relations un cadre juridique.

254. Dans l’hypothèse opposée – qui semble davantage compatible avec l’esprit du contrat de franchise – où le franchisé a conclu un bail avec un tiers, juridiquement et économiquement indépendant du franchiseur, il ne semble pas y avoir d’aberra-tion à ce que cette relad’aberra-tion se poursuive après la cessad’aberra-tion du contrat de franchise.

Au surplus, cette continuité ne semble pas de nature à perturber la réimplantation du réseau du franchiseur qui, n’ayant pas d’actifs immobiliers et n’ayant pas bourse déliée pour l’acquisition de la propriété commerciale du local initial, sera libre de se mettre en quête d’un nouvel emplacement. Ce nouveau point de vente bénéficiera d’ailleurs toujours de l’attrait potentiel des éléments du fonds de commerce propre au franchiseur, au premier rang desquels le savoir-faire et la marque, et ce, que le franchisé poursuive ou non l’exploitation de son propre fonds dans ses locaux. Il paraît dès lors difficile de voir dans la protection de l’organisation territoriale l’objet unique ou même principal des clauses restrictives de concurrence postcontractuelles.

Il faut alors s’intéresser à l’autre fondement que l’on assigne traditionnellement aux clauses restrictives de concurrence, c’est-à-dire à la protection du savoir-faire.

546 Cass. Civ. 3e, 12 juillet 2000, Sté Comptoirs modernes économiques de Rennes c/ Sté La Palière distribution, n° 98-21.671, JurisData n° 2000-002876 : Bull. civ. III, n° 139, Administrer, 2000, n° 11, p. 28, note Barbier, D., 2000, p. 399, obs. Monéger-Dupuis, RTD com., 2000, p. 871, obs.

Monéger, AJDI, 2000, p. 926, obs. Blatter, Loyers et copr., 2001, comm. 10, obs. Brault.

547 Un moyen pour parvenir à une telle solution serait une clause limitée uniquement dans l’espace, à l’exclusion de toute limite temporelle. Si la nullité d’une telle clause peut éventuellement être sujette à débats en droit interne (sur cette question, v. n° 331), il ne fait aucun doute qu’une telle stipulation ne respecterait pas les exigences du droit européen.

La solution réside peut-être dans la notion d’ensemble contractuel indivisible, bien qu’elle semble difficilement compatible avec le statut des baux commerciaux. Sur cette question, v. les travaux fondateurs de Bernard Teyssié (B. Teyssié, Les groupes de contrats, L.G.D.J., 1975), ou plus récemment S. Pellé, La notion d’interdépendance contractuelle : contribution à l’étude des ensembles de contrats, Dalloz, 2007, notam. n° 359 et s. et J.-B. Seube, L’indivisibilité et les actes juridiques Litec, 1999.

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