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La soumission renforcée des réseaux au droit des concentrations

70. L’application du droit commun des concentrations aux réseaux de franchise se livrant à des opérations de concentration ne va pas sans soulever divers problèmes spé-cifiques, eu égard à la spécificité de ce mode d’organisation économique, que le droit a parfois quelques difficultés à cerner. C’est ainsi que doivent être adaptés les critères permettant, en amont, de déterminer si une opération relève ou non de l’application du droit des concentrations relativement aux seuils de contrôle. Tant leur abaissement (1) que leurs modalités de calculs (2) doivent inciter les réseaux à la plus grande pru-dence eu égard à l’application du droit des concentrations.

1. La soumission des réseaux de franchise au droit des concentrations renforcée par l’abaissement des seuils de contrôle

71. Sous l’empire de l’ordonnance du 1er décembre 1986, la soumission d’une opération au contrôle des concentrations supposait la réunion de l’une au moins des conditions suivantes175 :

la part de marché combinée des parties à l’opération dépassait 25 %,

le chiffre d’affaires cumulé des parties dépassait sept milliards de francs et celui de deux des parties au moins dépassait deux milliards de francs.

72. En vérité, seule la seconde de ces deux conditions alternatives présentait un réel intérêt. Dans un système de notification facultative, il était en effet peu probable que les parties à une opération dont la part de marché combinée des opérateurs ne dépas-sait pas 25 % jugent celle-ci suffisamment problématique pour croire opportun de la soumettre volontairement au contrôle des autorités176. Cette référence à la part de mar-ché des opérateurs – laquelle générait également diverses difficultés d’interprétation – a donc été supprimée par la loi NRE du 15 mai 2001177, qui ne conserve qu’une unique référence aux chiffres d’affaires des parties. À compter du 18 mai 2002, date d’entrée en vigueur de la loi NRE, le contrôle était donc applicable aux opérations dont :

le chiffre d’affaires total mondial hors taxes des parties à la concentration était supérieur à 150 millions d’euros,

le chiffre d’affaires total hors taxes réalisé individuellement en France pas deux au moins des parties à la concentration était supérieur à 15 millions d’euros178.

175 Ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence, art. 38, abrogé par l’ordonnance 2000-912 du 18 septembre 2000. Le texte était alors codifié à l’article L. 430-1 du Code de commerce.

176 En ce sens, v. F. Brunet et G. Ianis, « Le nouveau régime de contrôle des concentrations : les ambivalences d’une « révolution antitrust à la française » », JCP E, 2002, no 46, p. 1802.

177 Loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques, art. 87.

178 Ibid.

73. Ainsi, le premier seuil relatif au chiffre d’affaires total des parties se voyait approximativement divisé par sept tandis que le second seuil était pour sa part divisé par vingt. Aussi, ce ne sont pas moins de 350 dossiers qui étaient notifiés entre le 18 mai 2002 et le 31 décembre 2003179. Le second de ces seuils a depuis été relevé de 15 à 50 millions d’euros par l’ordonnance du 25 mars 2004180. Il n’en reste pas moins qu’en une décennie, le seuil de contrôle des opérations de concentration en droit interne a largement été abaissé, faisant évoluer de façon inverse l’attention des réseaux de distri-bution à cette branche du droit de la concurrence. Plus encore, il convient de rappeler que la loi du 15 mai 2001 opère une mutation d’importance quant aux modalités de contrôle des opérations de concentration. La notification, jadis facultative, est depuis lors devenue obligatoire et systématique, renforçant évidemment la place centrale du droit des concentrations181.

74. Régime dérogatoire des magasins de détail. Cet intérêt a encore été ren-forcé par l’introduction d’un régime dérogatoire plus strict pour les opérations impli-quant des magasins de commerce de détail. L’article 430-2, II du Code de commerce abaisse en effet en pareil cas les seuils de sensibilité, respectivement à 75 et 15 millions d’euros182. Ce traitement particulier conféré aux commerces de détail est issu d’une proposition du groupe Canivet, lequel constatait que « le relèvement des seuils de notifi-cation obligatoire issu de la loi sur les nouvelles régulations économiques [par l’ordonnance du 25 mars 2004] a pour effet de rendre non contrôlables la plupart des petites opérations de prise de contrôle de supermarchés »183, alors que « ces opérations peuvent conduire à la constitution de positions dominantes locales »184. La commission proposait alors « un dispositif permettant à la DGCCRF d’examiner de sa propre initiative des opérations de concentration qui n’atteignent pas les seuils de notification obligatoire, mais qui sont sus-ceptibles de porter atteinte à la concurrence »185. Cette proposition a donc été traduite en droit positif, sous réserve de quelques nuances, par la loi de modernisation de l’éco-nomie du 4 août 2008. Les lignes directrices de l’Autorité de la concurrence viennent préciser la notion peu juridique de « commerce de détail » par référence aux règles d’équipement commercial. Sont ainsi visés les magasins qui effectuent « essentiellement, c’est-à-dire pour plus de la moitié de leur chiffre d’affaires, de la vente de marchandises à

179 Ententes, abus de position dominante, concentrations économiques, Francis Lefebvre, 2004, n° 2003.

180 Ordonnance n° 2004-274 du 25 mars 2004 portant simplification du droit et des formalités pour les entreprises, art. 25.

181 Sur cette question, v. notamment F. Brunet et G. Ianis, « Le nouveau régime de contrôle des concentrations : les ambivalences d’une « révolution antitrust à la française » », JCP E, 2002, no 46, p. 1802 ; R. Fabre et M. Dany, « Application de la nouvelle définition des opérations de concentration à la franchise », D., 2003, p. 195 ; V. Sélinsky et C. Montet, « États-Unis : Revirement de jurisprudence sur les prix minima de revente imposés », Rev. Lamy conc., 2007, no 13, p. 14 et s.

182 La première décision en la matière a été rendue par l’Autorité de la concurrence le 8 avril 2009 (Aut.

conc., décision du 8 avril 2009, SAS Pellier Metz c/ Bailly SAS, n° 09-DCC-001, Gaz. Pal., 2010, p. 474, Contrats conc. consom., 2009, comm. 176, note Bosco).

183 G. Canivet, Restaurer la concurrence par les prix : Les produits de grande consommation et les relations entre industrie et commerce, La documentation française, 2005, p. 114.

184 Ibid.

185 Ibid.

des consommateurs pour un usage domestique »186. Cette attention particulière portée au commerce de détail vient encore renforcer l’idée que les réseaux de distribution, et plus précisément les réseaux de franchise, sont directement concernés par le droit des concentrations, lequel réserve désormais un traitement spécifique à certains d’entre eux.

75. Modalités d’appréciation des seuils. La soumission des réseaux de franchise au droit des concentrations renforcée par les modalités de calcul du chiffre d’affaires pertinent. Comme le relèvent Maîtres Régis Fabre et Mireille Dany, il pourrait être tentant de se satisfaire de l’énoncé de ces chiffres pour constater que la plupart des fran-chiseurs ne réalisent pas de tels volumes d’affaires, et d’en conclure qu’ils échappent ainsi à tout contrôle des opérations de concentration à un niveau national, et a fortiori européen187. En réalité, un tel raisonnement s’avère largement biaisé, compte tenu des méthodes utilisées par les instances nationales et de l’Union pour déterminer le chiffre d’affaires des parties à l’opération de concentration. La question prend tout son intérêt dans l’hypothèse d’une fusion entre deux réseaux de franchise, c’est-à-dire d’un strict point de vue juridique, entre deux sociétés exerçant l’activité de franchiseur. Initiale-ment, l’analyse retenue par le Conseil de la concurrence avait suggéré une interpré-tation relativement restrictive dans un avis du 9 novembre 1993. Alors que l’une des parties à la concentration était une modeste filiale d’un groupe bien plus important, le Conseil ne retenait pour se prononcer que le chiffre d’affaires de ladite filiale, sans aucunement tenir compte de celui réalisé par le groupe qui, bien que dépourvu de per-sonnalité juridique, représentait l’entité économique intéressée à l’opération188. Cette analyse a cependant rapidement été abandonnée, le ministre de l’Économie estimant qu’il convient de « prendre en compte le chiffre d’affaires réalisé par l’ensemble des sociétés appartenant à un même groupe »189.

76. S’agissant des réseaux de franchise, la question se pose en des termes identiques, quoique la réponse mérite sans doute d’être plus nuancée. Il est en effet impossible d’assimiler les franchisés à de simples filiales du franchiseur. Il est cependant tout aussi impossible de nier, en terme d’analyse concurrentielle, que la fusion de deux réseaux de franchise dépasse largement la fusion des simples entités juridiques constituées par les sociétés des franchiseurs. L’arrêté du ministre dans la célèbre affaire Carrefour/Pro-modès explicite cette difficulté en précisant que « les magasins aux enseignes Carrefour et Stoc constituent un ensemble qui n’a pas à être dissocié selon le statut juridique de ces magasins [succursales ou franchisé] ; […] le groupe se comporte comme une entité unique même si, d’un point de vue contractuel, les entreprises qui le composent ne constituent pas

186 Aut. conc., Lignes directrices de l’Autorité de la concurrence relatives au contrôle des concentrations, 2009, n° 75.

187 R. Fabre et M. Dany, « Application de la nouvelle définition des opérations de concentration à la franchise », D., 2003, p. 195.

188 Cons. conc., 9 novembre 1993, SA Discol c/ SNC Prodirest, n° 93-A-16.

189 Lettre du Ministre de l’économie du 3 décembre 1993, BOCCRF, 11 décembre 1993.

une structure intégrée »190. On perçoit ainsi toute la difficulté pour le droit de la concur-rence à appréhender un ensemble partagé entre indépendance juridique et cohésion économique.

77. Hésitations doctrinales. Face à cette problématique, si les lignes directrices publiées par l’Autorité de la concurrence et par les instances européennes tentent de faire œuvre de clarté, la question suscite un léger flou en doctrine. Pour Maîtres Régis Fabre et Mireille Dany, « il convient de prendre en compte le chiffre d’affaires réalisé en propre par le franchiseur et par les franchisés de celui-ci pour apprécier si les seuils permet-tant le contrôle d’une opération de concentration concernant deux ou plusieurs franchiseurs sont atteints »191. Le Professeur Philippe Le Tourneau enseigne quant à lui qu’« il n’est pas tenu compte des ventes au public réalisées par les magasins exploités en franchisage [dans le calcul des seuils du chiffre d’affaires des réseaux de distribution] »192. Pour les économistes, la question doit être arbitrée par référence à la notion de contrôle193 : ne doivent être pris en compte dans le calcul du chiffre d’affaires des parties à l’opération de concentrations que les entreprises sur lesquelles elles sont susceptibles d’exercer un contrôle.

78. Clémence législative. En vérité, depuis la publication des lignes directrices de la DGCCRF, lesquelles ont été largement reprises par l’Autorité de la concurrence sur ce point, le droit interne opte pour une position nuancée, largement influencée par les normes européennes. Le recours aux notions de contrôle et d’influence déterminante permet en effet d’exclure du calcul du chiffre d’affaires du franchiseur les ventes au public réalisées par les franchisés, « dans la mesure où la tête de groupe ne dispose pas du droit de gérer les affaires de l’adhérent au sens de l’article 5 du Règlement communau-taire »194. Bien évidemment, il semble cependant nécessaire d’assortir cette sentence de l’ensemble des tempéraments qui ont pu être exposés quant à l’application de la notion d’influence déterminante au sein d’un réseau de franchise195. Dans l’hypothèse où le franchiseur serait susceptible d’exercer une telle influence sur ces franchisés, il en résulterait une réintégration du chiffre d’affaires de ces derniers dans le chiffre d’affaires de la tête de réseau196 et donc un contrôle plus que probable au titre du droit des concentrations.

190 Arrêté du 5 juillet 2000 relatif à l’acquisition par la société Carrefour de la société Promodès, BOCCRF, 18 octobre 2000.

191 R. Fabre et M. Dany, « Application de la nouvelle définition des opérations de concentration à la franchise », D., 2003, p. 195.

192 P. Le Tourneau, Les contrats de franchisage, 2e éd., Litec, 2007, n° 373.

193 M. Glais, Concentration des entreprises et droit de la concurrence, Economica, 2010, p. 110

194 DGCCRF, Lignes directrices relatives au contrôle des concentrations – Procédure et analyse (version du 30 avril 2007), n° 595.

La formule a été reprise à l’identique par les lignes directrices de l’Autorité de la concurrence (point n° 593).

195 Sur cette question, v. n° 49 et s.

196 Il est cependant peu probable que l’une des situations envisagées par l’article 5-4-b du règlement du 20 janvier 2004 se rencontre en matière de franchise, eu égard à la nécessaire indépendance qui préside a priori les relations entre franchiseur et franchisés.

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79. Il s’évince des développements précédents que le droit des concentrations a une influence, souvent sous-estimée, sur les parties au contrat de franchise, ainsi que sur le contrat lui-même. Son application potentielle peut apparaître dissuasive et permettre d’éliminer un certain nombre de pratiques nuisibles à l’autonomie du franchisé. Ainsi, l’abaissement des seuils par la loi NRE, puis par la loi de modernisation de l’économie (dite LME), sont de nature à renforcer la lutte contre des mécanismes tels que la prise de participation minoritaire ou l’achat de certains éléments d’actifs du franchisé qui permettent, in fine, au franchiseur d’exercer une influence notable sur la gestion de l’entreprise franchisée. Le droit des concentrations est ainsi riche en potentialités pour préserver l’autonomie du franchisé.

80. La soumission des réseaux de franchise au droit des concentrations étant acquise, dans les conditions précédemment évoquées, il convient désormais de s’inter-roger sur les modalités d’applications de ce droit, tant les spécificités d’un réseau de franchise interdisent de la considérer comme une entreprise ordinaire.

ii. l’

applicationDuDroitDes concentrations

auxcontrats Defranchise

81. Une opération de concentration telle que précédemment définie et dépassant les seuils susévoqués ne sera toutefois critiquable du point de vue du droit de la concur-rence que dans l’hypothèse où elle induit une entrave significative à la concurconcur-rence sur un marché donné. Ceci implique donc de définir le marché pertinent pour chaque opération de concentration (A), ainsi que d’apprécier le degré de concentration de ce marché (B) ; deux étapes qui se révèlent particulièrement complexes et spécifiques en présence d’un réseau de franchise.

A. L’appréciation duale de la dimension géographique

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