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Les limites du recours à internet par les franchisés

par le Droit De la concurrence

B. L’interdiction de vente sur internet, restriction caractérisée

2. Les limites du recours à internet par les franchisés

169. Si la volonté des instances européennes de permettre aux franchisés un large recours à internet est manifeste, elle n’en présente pas moins certaines limites qui tendent en vérité à la préservation minimale du réseau. La distribution sur internet peut ainsi faire l’objet de restrictions afin d’éviter une implosion du réseau en prohi-bant des pratiques « agressives » (a), ainsi qu’en limitant les attitudes de pure players (b).

a. La qualification exceptionnelle de ventes actives des ventes en ligne 170. Pratiques déloyales. Sous les réserves précédemment énoncées, le franchiseur demeure a priori libre d’interdire les ventes actives, sur internet comme ailleurs397. Or, la présomption faisant des ventes en ligne des ventes passives est une présomption réfragable. Le point 53 des lignes directrices énonce en effet que « une restriction à l’uti-lisation d’internet par les distributeurs parties à l’accord est compatible avec le règlement

« La distribution par Internet après l’arrêt Pierre Fabre », note sous CJUE, 13 octobre 2011, JCP E, 2012, 1111, p. 25.

392 Cette règle a été énoncée par les lignes directrices de 2000 au point 51.

393 V. supra, n° 160.

394 Communication relative aux lignes directrices sur les restrictions verticales, JOUE n° C 130, 19 mai 2010, p. 1, n° 52.

395 Ibid.

396 Sur cette question, V. n° 171 et s.

397 Sur les implications de cette distinction en matière de ventes en ligne, v. n° 167.

d’exemption par catégorie dans la mesure où la promotion des produits sur internet ou l’utilisation d’internet entraînerait, par exemple, la réalisation de ventes actives sur les territoires ou aux clients exclusifs d’autres distributeurs »398. Les exemples donnés par la commission de ce qui serait susceptible de constituer des ventes en ligne actives est particulièrement intéressant. Il pourrait s’agir, notamment, de la publicité ciblée ou de la rémunération d’un moteur de recherche afin d’atteindre spécifiquement une clientèle protégée par une clause d’exclusivité. Il s’agit en somme d’assurer une dose d’opposabilité à l’exclusivité consentie par le franchiseur à un autre franchisé, en pro-hibant des pratiques qui, si elles ne sont pas agressives, sont à tout le moins déloyales.

Aussi la portée de l’exception que constitue la qualification de ventes actives des ventes en ligne doit-elle être largement relativisée. Le franchiseur a certes la possibilité de limiter contractuellement de telles ventes sans perdre le bénéfice de l’exemption. Tou-tefois, même en l’absence d’une telle limitation contractuelle, il y a fort à parier que les principales pratiques visées seraient, en droit interne, susceptibles de tomber sous le coup d’une action en concurrence déloyale intentée par le co-franchisé. Davantage que la cohérence du réseau, c’est donc d’abord la simple loyauté de la concurrence qui est protégée entre les membres du réseau, comme elle le serait à l’égard de n’importe quel concurrent.

b. L’encadrement des pure players

171. Il s’agit là de la limite la plus importante que le franchiseur est susceptible d’imposer valablement à ses franchisés. Au terme des lignes directrices, le fournisseur est susceptible « d’exiger de ses distributeurs qu’ils disposent d’un ou de plusieurs points de vente physiques, comme condition pour pouvoir devenir membres de son système de distri-bution »399. Une telle restriction a pour but évident d’empêcher qu’un distributeur ne tire indûment profit de la renommée et du savoir-faire du réseau, sans en supporter les charges inhérentes à l’ouverture d’un point de vente physique. C’est ce que la doctrine économique, et dorénavant juridique, désignent sous le terme de « pure player ». La solution était déjà connue tant des autorités de la concurrence nationale400 et euro-péenne401 que des instances judiciaires402. Au reste, c’est paradoxalement le franchiseur qui se retrouvera parfois en pareille situation, c’est-à-dire distribuant ses propres pro-duits par le biais d’un site internet, sans nécessairement disposer en son nom personnel d’un point de vente physique sous la forme d’une succursale.

172. Cette possibilité offerte au franchiseur d’exclure les « pure players » fait l’objet d’une réception mitigée, d’aucuns contestant son opportunité et regrettant qu’une telle

398 Communication relative aux lignes directrices sur les restrictions verticales, JOUE n° C 130, 19 mai 2010, p. 1, n° 53

399 Ibid., n° 54.

400 Cons. conc., 24 juillet 2006, Festina France, n° 06-D-24.

401 Comm. CE, 17 mai 2001, Yves Saint-Laurent Parfums, communiqué IP/01/713 ou Comm. CE, 24 juin 2002, B &W Loudspeakers.

402 V., sur recours d’une décision du Conseil de la concurrence, C.A. Paris, 16 octobre 2007, Bijourama/

Festina France

restriction ne soit pas conditionnée à la démonstration par la tête de réseau d’une jus-tification objective. La Fédération du e-commerce et des ventes à distances (FEVAD) craint ainsi que cette règle « puisse désormais servir de prétexte à certains fournisseurs pour exclure de leur marché les sites vendant exclusivement sur internet ou sur catalogue »403. Ici, comme en beaucoup d’autres domaines, l’intérêt et la sauvegarde du réseau nous semblent toutefois justifier de légères restrictions de concurrence. Il est vrai que le raisonnement a ceci de particulier qu’il fait fi du principe de proportionnalité auquel le droit de la concurrence a pourtant fréquemment recours en pareille matière404. Gageons cependant que ce principe sera réintroduit par la seule loi du marché, la tête de réseau n’ayant a priori aucun intérêt à se priver du recours aux pure players (dont certains sont presque devenus incontournables dans leur secteur et représentent d’im-portantes parts de marché) si cette exclusion n’est pas justifiée par un motif légitime.

173. Méconnaissance du savoir-faire. Une voie médiane est encore envisagée par les lignes directrices qui autorisent le franchiseur à « imposer des normes de qualité pour l’utilisation du site internet aux fins de la vente de ses produits »405. Cette possibilité prend évidemment une importance particulière en matière de réseau de franchise. Il n’est pas impossible de penser que cette faculté soit susceptible, dans ce domaine, de se muer en obligation, tant l’assistance et la fourniture de normes pour l’ouverture d’un site internet entre dans le cadre de l’obligation pesant sur le franchiseur de transmission d’un savoir-faire406. Poussant le raisonnement, il est encore possible de s’interroger sur les conséquences d’une éventuelle incompatibilité entre le savoir-faire, la réputation du réseau et la vente sur internet. Le franchiseur a-t-il la possibilité d’interdire, purement et simplement, le recours à la vente en ligne à supposer que celle-ci soit incompatible avec l’activité du réseau ? Une telle position paraît de prime abord incompatible avec le point 52 des lignes directrices407, la préservation d’une supposée concurrence interne et de la libre circulation des produits l’emportant ici encore sur la sauvegarde du réseau.

L’arrêt Pierre Fabre408 offre un exemple édifiant des excès auxquels peut mener une telle position. Comme le note le Professeur Louis Vogel, « l’argument de la préservation de l’image de prestige du produit, qui pourtant est généralement considéré comme détermi-nant […], n’a aucune chance d’être retenu »409, le point 46 de la décision estimant que

« l’objectif de préserver l’image de prestige ne saurait constituer un objectif légitime pour

403 Fédération du e-commerce et des ventes à distances, Communiqué de presse du 16 avril 2010.

404 C’est notamment le cas en matière de clause de non-concurrence, tant du point de vue du droit des obligations que de celui des restrictions verticales de concurrence (V. infra, n° 336 et s).

405 Communication relative aux lignes directrices sur les restrictions verticales, JOUE n° C 130, 19 mai 2010, p. 1, n° 54.

406 V. supra, n° 15 et s.

407 V. supra, n° 163 et s.

408 CJUE, 13 octobre 2011, Pierre Fabre Dermo-Cosmétique SAS c/ Président de l’Autorité de la concurrence, n° C-439/09, JCP E, 2012, n° 11, p. 25, note Vogel.

409 L. Vogel, « La distribution par Internet après l’arrêt Pierre Fabre », note sous CJUE, 13 octobre 2011, JCP E, 2012, 1111, p. 25

restreindre la concurrence et ne peut ainsi pas justifier qu’une clause contractuelle poursui-vant un tel objectif ne relève pas de l’article 101, paragraphe 1, TFUE »410.

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174. Parvenus au terme de cette section consacrée aux pratiques et clauses expressé-ment prohibées entre les parties au contrat de franchise par le droit de la concurrence et principalement par le règlement européen sur les restrictions verticales, un constat semble s’imposer. Tant la prohibition des prix imposés que celle des restrictions quant aux ventes sont indéniablement de nature à favoriser la concurrence interne au réseau.

Il est toutefois regrettable que l’impact de ces prohibitions per se ne soit pas davantage mesuré par l’application d’une règle de raison. En effet, soucieux de protéger toute atteinte à la liberté du commerce, le droit de la concurrence pèche peut-être par excès de zèle. Ainsi, la prohibition des prix imposés semble particulièrement contestable s’agissant de franchises dites de production voire de service. En tout état de cause, son impact apparaît pour le moins limité – souvent à raison des exclusivités territoriales consenties aux franchisés qui dissuadent le consommateur de faire réellement jouer la concurrence interne au réseau. La concurrence par les prix entre distributeurs d’un même réseau relève souvent de l’infinitésimal (quelques centimes ou dixièmes de pour cent) et rend en revanche nécessairement moins lisible la concurrence interréseau. En matière de publicité comparative, par exemple, la prohibition des prix imposés rend particulièrement périlleux le lancement de campagnes nationales, ou oblige à de mul-tiples précautions oratoires à l’instar des biens connus « prix moyens constatés ». De la même manière, les récentes évolutions quant à la distribution en ligne sont proba-blement de nature à induire une multiplication de l’offre, parfois peu compatible avec l’exigence de lisibilité, voire difficilement conciliable avec le savoir-faire de certains réseaux. Commentant le célèbre arrêt Pierre Fabre rendu en matière de distribution sélective, le Professeur Louis Vogel n’hésite pas à affirmer qu’« un tel raisonnement appa-raît entièrement déconnecté des préoccupations de concurrence : ne tenant aucun compte, par définition, de la situation du marché, il se focalise sur les raisons d’ordre public qui pourraient fonder une restriction à la concurrence en droit de la libre circulation (mais qui ne trouvent aucun fondement en droit de la concurrence) »411.

175. Les récentes évolutions du droit européen néanmoins aller dans le sens d’un relatif assouplissement, tout au moins s’agissant des prix imposés. Elles ne sont mal-heureusement pas nécessairement en cohérence avec le droit interne. Des avancées dans le sens d’une meilleure prise en compte de la spécificité des réseaux de franchise

410 CJUE, 13 octobre 2011, Pierre Fabre Dermo-Cosmétique SAS c/ Président de l’Autorité de la concurrence, n° C-439/09, JCP E, 2012, n° 11, p. 25, note Vogel.

411 L. Vogel, « La distribution par Internet après l’arrêt Pierre Fabre », note sous CJUE, 13 octobre 2011, JCP E, 2012, 1111, p. 25.

pourraient peut-être venir d’un traitement différencié réservé à ces derniers par rapport aux autres modes de distribution verticale. Le raisonnement à opérer en matière de prix imposés ou de restrictions à la vente pourrait probablement utilement s’inspirer de celui utilisé en matière de restrictions simples, c’est-à-dire de pratiques licites, mais étroitement contrôlées par le droit de la concurrence.

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