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Un droit de la concurrence de plus en plus souple

178. Clause non essentielle. Le contrat de concession emporte a priori l’obligation pour le concessionnaire de s’approvisionner exclusivement auprès de son concédant413.

412 Il ne sera toutefois étudié dans cette section que les interdictions de concurrence produisant leurs effet pendant la durée du contrat. Les limitations de concurrence post-contractuelles, qui alimentent l’essentiel des débats doctrinaux et du contentieux jurisprudentiel, feront l’objet d’un traitement spécifique au sein du Titre II consacré à au maintien d’une concurrence loyale à l’issue des relations contractuelles.

413 Bien que cette affirmation ne soit pas parfaitement exacte, s’agissant notamment des contrats de concession automobile où le multimarquisme est possible au terme du règlement 1400/2002 du 31 juillet 2002. Celui-ci vit toutefois ses dernières heures car, bien qu’ayant été prorogé jusqu’au 31 mai 2013, la Commission a considéré qu’il n’était pas nécessaire de maintenir l’obligation spécifique du multimarquisme. Les concessionnaires automobile devraient donc, à l’été 2013, retourner dans le giron du droit commun (v. J. Vogel, « Les clauses de non-concurrence pendant la vie du contrat », Jurisprudence automobile, 2012, no 839, p. 15).

La situation est tout autre en matière de franchise : la transmission d’un savoir-faire et la réitération d’une réussite n’impliquent pas automatiquement la stipulation d’une obligation d’approvisionnement exclusif à la charge du franchisé. Ces clauses demeurent néanmoins fréquentes, dans la mesure où elles participent inévitablement de l’unité du réseau et augmentent la puissance d’achat dans le cadre des franchises de distribution. Le droit de la concurrence s’est très tôt penché sur leur licéité. C’est la Cour de justice des communautés européennes qui a, la première, tranché cette ques-tion dans le célèbre arrêt Pronuptia414, estimant que cette clause découle de la nécessité pour le franchiseur de « prendre les mesures propres à préserver l’identité et la réputation du réseau qui est symbolisé par l’enseigne »415. Toutefois, il convient, selon cette décision, que l’exclusivité soit nécessaire à la préservation de cette identité et qu’il soit impossible pour le franchiseur d’obtenir un résultat équivalent par l’imposition de normes de qualités. Cette position innervera l’ensemble du droit de la concurrence, tant interne qu’européen pendant plus de dix ans. Le règlement de 1988 exemptait en effet les clauses d’approvisionnement exclusif « dans la mesure où elles sont nécessaires pour pro-téger les droits de propriété industrielle ou intellectuelle du franchiseur, ou pour maintenir l’identité commune et la réputation du réseau franchisé »416. Cette position fut elle-même reprise tant en droit interne de la concurrence, qu’en droit commun – quoiqu’avec quelques nuances417.

179. Évolution favorable. Sans rompre totalement avec cette approche, le règle-ment de 1999 apporte quelques nuances et traduit une approche plus objective de la licéité des clauses d’approvisionnement exclusif, largement reprise par le règlement du 20 avril 2010 et ses lignes directrices. Les conditions successives posées par ces textes ne sont pas toujours synonymes de clarté, si bien qu’il n’est pas toujours aisé d’avoir une vision d’ensemble du droit positif. Selon l’article 1, d) du règlement, doit être qua-lifiée d’obligation de non-concurrence « toute obligation directe ou indirecte imposant à l’acheteur l’obligation d’acquérir auprès du fournisseur ou d’une autre entreprise désignée par le fournisseur plus de 80 % de ses achats annuels en biens ou en services contractuels et en biens et en services substituables sur le marché en cause »418. On peut aisément, a contrario, déduire de cette définition que toute clause d’approvisionnement exclusif qui imposerait un seuil d’achat minimum inférieur à 80 % échapperait automatique-ment à l’application du règleautomatique-ment. Ceci n’est pas illogique dans la mesure où une telle clause n’impose pas, de fait, un approvisionnement exclusif, mais seulement majori-taire. Dans l’hypothèse où le seuil des 80 % est franchi, la clause est qualifiée par le règlement d’obligation de non-concurrence. Pour pouvoir bénéficier de l’exemption,

414 CJCE, 28 janvier 1986, Pronuptia de Paris GmbH c/ Pronuptia de Paris Irmgard Schillgallis, n° 161/84.

415 Ibid.

416 Règlement (CEE) n° 4087/88 de la Commission du 30 novembre 1988 concernant l’application de l’article 85 paragraphe 3 du Traité à des catégories d’accords de franchise, art. 3.1.

417 V. infra, n° 191 et s.

418 Règlement (UE) n° 330/2010 de la Commission du 20 avril 2010 concernant l’application de l’article 101, paragraphe 3, du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne à des catégories d’accords verticaux et de pratiques concertées, art. 1, d.

une telle clause doit, au terme de l’article 5, 1), a) être limitée à une durée maximale de cinq ans. Cette condition posée à l’exemption s’accommode relativement mal aux objectifs poursuivis par une clause d’approvisionnement exclusif qui, par essence, a vocation à produire ses effets pendant toute la durée du contrat. Le fait que la clause d’approvisionnement fixe un seuil au-delà de 80 % et soit prévue pour une durée supé-rieure à cinq ans n’exclut cependant pas toute possibilité d’exemption.

180. Quatre conditions cumulatives à l’illicéité de la clause. Les lignes directrices sur les restrictions verticales réintroduisent en effet la solution classique consistant à exempter les obligations d’approvisionnement exclusif nécessaires à la protection du réseau. On y lit ainsi qu’« une obligation de non-concurrence relative aux biens ou ser-vices achetés par le franchisé ne relèvera pas de l’article 101, paragraphe 1, lorsqu’elle est nécessaire au maintien de l’identité commune et de la réputation du réseau franchisé »419, la durée de l’obligation de non-concurrence n’étant pas, en pareil cas, un facteur perti-nent. On pourrait s’étonner qu’il revienne aux lignes directrices, pourtant dépourvues de toute force normative, de limiter ainsi la portée d’une norme édictée par le règle-ment. Il en résulte néanmoins que l’exemption ne sera pas remise en cause à supposer que la clause d’approvisionnement exclusif porte sur plus de 80 % des achats et ait une durée supérieure à cinq ans, à condition de remplir les conditions posées par les lignes directrices. Aussi, est-il possible de résumer de la sorte le régime des clauses d’approvisionnement exclusif en droit de l’Union européenne en matière de contrat de franchise. Une telle clause n’est illicite que si elle remplit cumulativement l’ensemble des conditions suivantes :

elle affecte sensiblement le commerce entre États membres et restreint le jeu de la concurrence dans le marché commun ;

elle impose un approvisionnement concernant au moins 80 % des achats annuels en biens ou en services contractuels et en biens et en services substi-tuables sur le marché en cause ;

elle porte sur une durée supérieure à cinq ans ;

elle n’est pas nécessaire au maintien de l’identité commune et de la réputation du réseau franchisé.

Autant dire, au terme de cette analyse, que le régime des clauses d’approvisionnement exclusif s’est largement assoupli depuis l’arrêt Pronuptia, la défaillance de l’une seule des quatre conditions précitées suffisant à permettre de bénéficier de l’exemption. Le Conseil de la concurrence ayant toujours repris à son compte les analyses européennes pour juger de la validité des clauses d’approvisionnement exclusif420, notamment sous l’empire des précédents règlements, on peut gager qu’il en sera de même s’agissant du nouveau texte421. Le peu de recul et l’absence de jurisprudence récente incitent

419 Communication relative aux lignes directrices sur les restrictions verticales, JOUE n° C 130, 19 mai 2010, p. 1, n° 190.

420 V. par exemple Cons. conc., 24 mai 1994, Jacques Dessange, n° 94-D-31

421 Le Conseil de la concurrence a rendu, en 2007, une décision validant le recours à une clause d’approvisionnement exclusif aux motifs que celle-ci était « nécessaire pour assurer l’identité, l’unité et la réputation du réseau et de la marque » (Cons. conc., 24 janvier 2007, Jeff de Bruges,

toutefois à une certaine prudence. Cependant, cet assouplissement progressif, mais néanmoins appuyé du droit de la concurrence pourrait bien conduire à déplacer le débat. Il s’avère en effet que le droit commun, forgé à l’aune de l’arrêt Pronuptia, se trouve aujourd’hui en décalage avec ce qu’il est convenu d’appeler le « grand » droit de la concurrence.

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