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La protection inadaptée par le droit de la concurrence déloyale

A. Une protection partielle par le droit des obligations

2. La protection inadaptée par le droit de la concurrence déloyale

281. En l’absence d’obligation de non-concurrence, qu’elle soit purement contrac-tuelle ou d’origine légale, le droit de la concurrence déloyale a vocation à régir les rap-ports entre les anciens partenaires contractuels. Il ne s’agit pas ici de tenter de procéder à une étude systématique des comportements pouvant être sanctionnés par le biais de cette action. Cette tentative de typologie fera l’objet de développements à venir589. À

586 Pour la démonstration de ce postulat, v. n° 232 et s.

587 Cass. Com., 25 juin 1991, Vervelle c/ Ergand, n° 89-20.506, JCP E, 1992, II, 303, note Virassamy, D., 1992, jurispr. p. 249, note Batteur, D., 1993, somm. p. 156, obs. Picod, RTD civ., 1992, p. 391, obs. Mestre : la Cour régulatrice y affirme qu’« ayant retenu l’existence d’un mandat d’intérêt commun liant M. Ergand à M. Vervelle, et que M. Vervelle avait commis une faute à l’égard de son ancien mandant en conservant le fichier de la clientèle, la Cour d’appel a pu mettre à la charge de M. Vervelle une obligation de non-concurrence limitée dans le temps et dans l’espace ». Dans le commentaire critique qu’il réserve à cette déicsion, le Doyen Yves Picod remarque que seul Jean Hémard avait pu soutenir, en 1959, une position similaire à cette adoptée en l’espèce par la Cour (Y. Picod, note sous Cass. Com., 25 juin 1991, D., 1993, somm., p. 156).

588 Cass. Com., 25 juin 1991, Vervelle c/ Ergand, n° 89-20.506, JCP E, 1992, II, 303, note Virassamy, D., 1992, jurispr. p. 249, note Batteur, D., 1993, somm. p. 156, obs. Picod, RTD civ., 1992, p. 391, obs. Mestre

589 V. infra, n° 392.

ce stade de notre étude, il s’agit en revanche de tenter de démontrer que l’action en concurrence déloyale, malgré l’étendue de son champ d’application et sa formidable plasticité, ne peut constituer un élément suffisant de protection du réseau à l’issue des relations contractuelles ; cette lacune constituant une justification négative de l’inté-rêt d’une clause de non-concurrence. Il apparaît en effet que l’action en concurrence déloyale est inappropriée tant du point de vue de sa mise en œuvre (a) que de ses effets (b) aux buts poursuivis par le franchiseur, soucieux de protéger la structure qu’il a développée.

a. Une action inappropriée du point de vue de sa mise en œuvre

282. Au-delà de l’évidente différence de fondement, concurrence déloyale et concurrence anticontractuelle s’opposent quant aux modalités de la protection qu’elles assurent. Contrairement à la concurrence anticontractuelle qui sanctionne une activité, la concurrence déloyale ne peut sanctionner que les moyens utilisés pour exercer cette activité590. Là où l’obligation de non-concurrence annihile – au moins temporairement et dans un secteur géographique déterminé – totalement la liberté du commerce et de l’industrie, la concurrence déloyale maintient ce principe en en tempérant les usages abusifs. La réflexion sur la légitimité de l’insertion d’une clause de non-concurrence postcontractuelle par le franchiseur doit ainsi amener à s’interroger sur la pertinence de l’un ou l’autre de ces deux mécanismes au regard des objectifs poursuivis. En d’autres termes : la protection du réseau par le franchiseur nécessite-t-elle la prohibition pure et simple de l’activité exercée par le franchisé, ou peut-elle au contraire se satisfaire du simple contrôle de l’abus dans l’exercice de cette activité ?

283. La concurrence déloyale permet de prohiber au franchisé l’usage des princi-paux signes distinctifs du réseau et ainsi d’éviter tout risque de confusion591. Au-delà de la marque qui bénéficie souvent d’une protection spécifique, le franchisé sera ainsi automatiquement privé de l’enseigne du franchiseur, de son nom commercial592 ou encore de son nom de domaine593, tout usage indu tombant sous le coup de la concur-rence déloyale594. Cette protection, pour étendue qu’elle soit semble cependant inef-ficace pour protéger le réseau. Exigeant la preuve d’une faute, l’action en concurrence déloyale ne peut apporter une protection suffisante et rapide qu’aux éléments dont

590 Y. Picod, « Rapport français : la concurrence déloyale », in Association Henri Capitant, La concurrence, Société de législation comparée, 2010, p. 154.

591 V. infra, n° 440.

592 Le Professeur Le Tourneau remarque à juste titre que cette protection s’étend bien au-delà de ces seuls éléments. Elle s’applique également à l’emblème, aux publicités, voire au numéro de téléphone (P. Le Tourneau, Les contrats de franchisage, 2e éd., Litec, 2007, n° 609).

593 JurisData 263817

594 Pour une illustration jurisprudentielle, v. Cass. Com., 5 mai 1998, Gestion et transactions immobilières c/ FA1, n° 95-15.475 : Inédit. Il convient toutefois de réserver le cas où les modalités de démontage et de restitution des signes distinctifs tels que l’enseigne seraient prévues par le contrat de franchise – ce qui est probablement une sage précaution – auquel cas l’action ne peut être que contractuelle (C.A. Paris, 20 juin 2007 : Inédit, RG n° 05/04931, cité par Francois-Luc Simon,

« L’extinction du contrat de franchise (numéro spécial : un an d’actualité juridique en droit de la franchise) », LPA, 2008, n° 243, p. 55, n° 271).

l’utilisation est apparente, voire flagrante. Le cas de l’enseigne est à cet égard révélateur, tant il sera aisé pour le franchiseur de prendre connaissance de son utilisation indue et d’en exiger, éventuellement en référé, la cessation immédiate et sous astreinte595. 284. Difficulté probatoire. Il sera en revanche beaucoup plus délicat de prouver rapidement l’utilisation indue d’un savoir-faire ou, dans une moindre mesure, d’un fichier-clients596. Se pose en effet la délicate question de savoir quand l’utilisation de l’expérience acquise auprès du franchiseur devient déloyale. Comme le remarque un auteur, le principe en la matière reste en effet que l’utilisation du savoir-faire d’autrui n’est pas, en soi, un acte constitutif de concurrence déloyale597. Si la jurisprudence est abondante en matière de droit social, elle est plus rare concernant le contrat de fran-chise, mais le raisonnement par analogie ne semble poser aucune difficulté. Il convien-dra donc pour le franchiseur de prouver non seulement l’utilisation de son savoir-faire par le franchisé598, mais encore que celle-ci a pour conséquence une confusion ou un parasitisme économique599. L’exigence probatoire de l’action en concurrence déloyale est ici incompatible avec le souci du franchiseur de protéger efficacement son réseau.

285. Aussi la justification et la pertinence des restrictions contractuelles de concur-rence semblent-elles proportionnelles à l’importance du savoir-faire et des méthodes transmises par le franchiseur afin de permettre la réussite du franchisé. La clause de non-concurrence n’aura donc par exemple qu’un faible intérêt en matière de franchise industrielle, lorsque le savoir-faire du franchiseur consiste essentiellement en la mise à dispositions de machines, protégées par des droits de propriété industrielle, qui seront reprises à l’issue du contrat600. Il en sera inversement dans le cadre d’une franchise de services ou de distribution, où les méthodes de commercialisation, de suivi de clientèle et de marketing auront assuré l’essentiel de la réussite du franchisé, l’action en concur-rence déloyale n’étant pas à même d’en organiser la protection efficace601.

595 Pour une illustration jurisprudentielle, v. C.A. Paris, 6 octobre 2006, JurisData n° 2006-332901.

596 Sur le sort de ce dernier, v. n° 457 et s.

597 M. Malaurie-Vignal, « La protection des informations privilégiées et du savoir-faire », D., 1997, p. 207 et s., n° 18.

598 Ce qui nécessitera inévitablement des mesures d’instructions d’une ampleur bien plus grande qu’en matière d’enseigne ou de marque par exemple.

599 Cass. Com., 3 juin 1986, Sanitar c/ Nussbaum, n° 84-16.971 : Bull. civ. IV, n° 110, D., 1988, somm.

p. 212, obs. Serra.

600 François-Luc Simon relève ainsi que « l’ancien franchisé ayant adopté le savoir-faire et l’ayant intégré à sa pratique commerciale, il peut s’avérer difficile en pratique de l’empêcher d’utiliser ce savoir-faire, à moins que celui-ci n’implique l’emploi d’un matériel particulier dont le franchiseur a repris possession, soit qu’il en ait conservé la propriété et l’ait simplement mis à disposition du franchisé pendant la durée du contrat, soit qu’il l’ait racheté en fin de contrat en application des stipulations relatives à la reprise du matériel » (F.-L.

Simon, Théorie et pratique du droit de la franchise, Lextenso, 2009, n° 551).

601 P. Le Tourneau et M. Zoïa, « Franchisage - Franchisage dans le domaine des services - Le franchiseur et le franchisé », Fascicule n° 1050, in J.-Cl. Contrats - Distribution, 2008, n° 58 et s.

b. Une action inappropriée du point de vue des sanctions

286. Trop contraignante du point de vue de sa mise en œuvre pour assurer de façon pertinente la protection d’éléments non tangibles tels que le savoir-faire, l’action en concurrence déloyale se révèle en outre inadaptée du point de vue des mécanismes de sanction qu’elle propose. La fonction de l’action en concurrence déloyale, qui n’est autre qu’une application de la responsabilité civile délictuelle ou quasi délictuelle est d’abord réparatrice. Dans l’immense majorité des cas, la victime d’agissements déloyaux prétendra d’abord à la réparation de son préjudice par l’octroi de dommages et intérêts. Pour autant, l’ambition du franchiseur désireux de protéger les éléments attractifs de clientèle inhérents à son réseau n’est pas tant de réparer, mais de prévenir, ce même en l’absence de tout dommage. Il s’agit donc pour lui de mettre en place un dispositif sanctionnateur et comminatoire que l’action en concurrence déloyale ne peut que partiellement offrir602.

287. Certes, le franchiseur pourra espérer voir son ancien franchisé condamné sous astreinte à cesser l’utilisation du savoir-faire, ce qui pourra éventuellement se traduire par des mesures très concrètes telles que la modification de l’agencement du magasin603. Il ne s’agit là toutefois que de la partie émergente du savoir-faire, le reste étant constitué de méthodes et de connaissances pour lesquelles il s’avérera particulièrement délicat de condamner l’ex-franchisé à l’oubli sélectif et à la schizophrénie. Cette part purement intellectuelle du savoir-faire est en réalité consubstantielle de l’activité même. L’unique moyen d’en empêcher l’utilisation réside dans la prohibition de cette activité. Or, il sera a priori impossible au juge saisi d’une action en concurrence déloyale d’enjoindre la cessation totale de l’activité de l’ancien franchisé604.

* * * * *

288. Ainsi, il semble que le droit des obligations soit, en l’absence d’expression de la volonté des parties, relativement peu à même d’organiser la protection efficace du réseau de franchise à l’issue des relations contractuelles. Pour autant, cette abstention

602 Il est indiscutable que l’action en concurrence déloyale a, aussi, pour objet de sanctionner le comportement d’un concurrent indélicat. Le laxisme de la jurisprudence quant à l’exigence d’un dommage en est l’une des illustrations. Il n’en reste pas moins que ses vertus comminatoires et préventives sont sans commune mesure avec celles d’une clause de non-concurrence, c’est-à-dire d’une obligation de résultat, éventuellement assortie d’une clause pénale.

603 Pour un exemple, v. C.A. Paris, 1er juillet 1993, SARL Favec c/ SA Cinderella, LPA, 1993, n° 125, p. 12, note Gast, où l’ancien franchisé est condamné à modifier la couleur des murs de son salon de coiffure ainsi que celle des peignoirs.

604 Certaines décisions, unanimement critiquées par la doctrine, on toutefois procédé ainsi (Cass. Com., 28 avril 1980, n° 78-15.051 : Bull. civ. IV, n° 166, JCP G, 1982, II, 19791, note Azéma ou Cass.

Com., 17 octobre 1984, SARL Sibo & autres c/ Dame Siboni, D., 1985, p. 396, note Serra).

Il a été relevé à leur propos que « l’action en concurrence déloyale se développe dans le champ d’application du principe de la liberté de la concurrence, ce qui devrait conduire à ce que ce soient uniquement les agissements déloyaux qui puissent être prohibés par la juge, non l’activité concurrentielle elle-même que seule la loi ou la convention des parties peut interdire » (Y. Picod, Y. Auguet et N. Dorandeu, « Concurrence déloyale », in Rép. com. Dalloz, 2010, n° 231).

ou, à tout le moins, cet attentisme du droit commun nous paraît parfaitement justifié.

En effet, la nature du réseau de franchise ne nécessitera pas systématiquement une protection maximale se matérialisant par une interdiction pure et simple de concur-rence. Il est des cas, certes peut-être marginaux, mais réels605, où le simple contrôle de l’abus ou de l’excès par le biais de la concurrence déloyale sera suffisant à préserver une concurrence équilibrée. Dans l’hypothèse où le savoir-faire présentera une impor-tance telle qu’une véritable interdiction de concurrence sera nécessaire, la souplesse du droit des obligations permet aux parties d’aménager cette interdiction tout en refusant de la systématiser. Ce mécanisme nous paraît tout à la fois juste et équilibré tant il associe fermeté du principe que constitue la libre concurrence et souplesse des tempé-raments par la possibilité de dérogations conventionnelles encadrées. Il nous semble en outre expliquer, en creux, la multiplication des clauses restrictives de concurrence postcontractuelles que l’appréciation jurisprudentielle rigoureuse parvient cependant à cantonner au titre de (fréquentes) exceptions. Enfin, la protection limitée organisée par le droit des obligations se montre d’autant plus satisfaisante qu’une protection, plus restreinte quant à son champ d’application mais plus intense, est organisée par le droit de la propriété intellectuelle.

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