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Les prix imposés : facteur d’application du droit du travail sans requalification du contrat

par le Droit De la concurrence

A. Les prix imposés comme remise en question du régime juridique du contrat de franchise

1. Les prix imposés : facteur d’application du droit du travail sans requalification du contrat

127. Si l’application de l’article L. 7321-2, 2° du Code du travail pose cinq conditions à son application, la jurisprudence a considérablement adapté et assou-pli ces exigences, pour donner une portée au texte qu’il n’avait probablement pas à l’origine (a). Aussi, de ces cinq conditions, il nous semble que seule celle relative aux prix et conditions de vente imposés soit réellement dirimante en matière de franchise (b).

a. L’article L. 7321-2 du Code du travail, un texte « en expansion »285 128. Première approche juridique de la « dépendance économique ». La problé-matique des prix imposés a suscité une importante littérature en droit de la concur-rence286. Sans minimiser l’importance théorique et pratique de cette approche, il n’est pas inintéressant de constater que cette question se trouve également appréhen-dée par le droit social, lequel offre un recours intéressant au franchisé victime d’un franchiseur trop directif. L’identité des finalités poursuivies par ces deux réglementa-tions nous semble justifier que le présent travail consacré au droit de la concurrence ne fasse pas l’impasse sur les règles insérées dans le Code du travail287. L’article L.

7321-2 du Code du travail dispose en effet que peuvent, sous conditions, bénéficier de certaines dispositions du droit du travail ceux : « dont la profession consiste essen-tiellement […] à vendre des marchandises de toute nature qui leur sont fournies exclusi-vement ou presque exclusiexclusi-vement par une seule entreprise, lorsque ces personnes exercent leur profession dans un local fourni ou agréé par cette entreprise et aux conditions et prix imposés par cette entreprise »288. Issu d’une loi du 21 mars 1941, ce texte avait initia-lement pour vocation de permettre d’assurer une protection minimale aux vendeurs de billets de loterie, dépositaires d’entreprises de nettoyage, tenanciers de kiosques dans les gares fournis par une entreprise de messagerie ou autres correspondants de transporteurs289. Sa portée a cependant été bien plus large dans la mesure où ce texte consacre en réalité l’assimilation de la notion de « dépendance économique »290 par le droit du travail, avant même qu’elle ne connaisse son âge d’or en droit commer-cial. Le mécanisme du texte s’avère particulièrement alléchant pour les plaideurs, puisqu’il permet au franchisé placé sous le joug d’un franchiseur trop oppressant de réclamer, entre autres, un complément de rémunération à hauteur du salaire mini-mal, la rémunération d’heures supplémentaires, des indemnités de congés payés, le remboursement des frais professionnels, des indemnités de licenciement à la rupture ou au non-renouvellement du contrat, le tout devant un Conseil de prud’hommes et sans qu’il ne soit nullement nécessaire d’établir l’existence d’un lien de subordina-tion au sens juridique du terme291. Étrange situation où, comme le relève le Profes-seur Hugues Kenfack, le franchisé est « assimilé à un salarié dans ses rapports avec le

285 L’expression est empruntée à Messieurs Mousseron et Fabre (J.-M. Mousseron et R. Fabre, « La loi du 21 mars 1941 : une loi en expansion », Cah. dr. entr., 1978, no 2, p. 4).

286 V. notamment P. Arhel, Les pratiques de prix imposés, Etude DGCCRF, 1992 ; F. Delbarre,

« Réglementation des prix imposés, pour la retraite à 40 ans », RJDA, 1993, no 3, p. 167 ; D. Ferrier, Prix imposés, prix conseillés, Etude DGCCRF, 1998 ; T. Granier, « Prix imposés, prix conseillés : le contrat de franchisage à l’épreuve du droit de la concurrence », RTD com., 1991, p. 358 ; A. Malabard, La vente des articles de marque à prix imposés, Thèse : Université de Paris, 1935.

287 V. en ce sens, A. Brun et H. Galland, Droit du travail, Tome 1, Sirey, 1978, n° 551 et s.

288 Article L. 7321-2 du Code du travail modifié par la loi n° 2009-526 du 12 mai 2009.

289 J.-F. Cesaro, « Gérants de succursales », Fascicule n° 4-5, in J.-Cl. Travail Traité, 2010, n° 2.

290 A. Brun et H. Galland, Droit du travail, Tome 1, Sirey, 1978, n° 551.

291 Cass. Soc., 12 janvier 1983 : Bull. civ., V, n° 14, Cass. Soc., 1er février 2001, n° 98-45.868 ou encore Cass. Soc., 21 février 2007, France acheminement c/ Pollatz, n° 05-45.048, JurisData n° 2007-037640, Contrats conc. consom., 2007, comm. 120, note Malaurie-Vignal.

franchiseur, considéré comme un employeur dans les rapports avec son propre personnel et comme un commerçant dans ses rapports avec les tiers »292

129. Assouplissement des conditions d’application. En dépit de ces promesses mirifiques faites au franchisé, on aurait pu penser que ce texte resterait cantonné à des situations relativement marginales au vu des conditions relativement strictes posées pour son application. Afin de permettre l’application distributive du droit du travail, l’article L. 7321-2, 2° , a) exige en effet la preuve de plusieurs conditions cumulatives :

les personnes concernées sont a priori des personnes physiques, l’activité doit consister en la vente de marchandises,

elle doit faire l’objet d’une quasi-exclusivité,

le local doit être fourni ou agréé par l’entreprise « dominante »,

les prix de revente et les conditions de l’activité doivent être imposés par cette dernière.

130. C’était cependant sans compter sur l’audace de la jurisprudence qui n’a pas hésité à assouplir considérablement certaines de ces exigences. C’est ainsi que le béné-fice de l’article L. 7321-2 est reconnu au franchisé personne morale, à condition que soit établie l’existence d’un lien intuitu personae entre le franchiseur et le dirigeant de la société franchisée293. On imagine donc que la première de ces cinq conditions sera, en matière de franchise, assez facilement remplie tant il est rare qu’un contrat de fran-chise ne soit pas conclu intuitu personae294. De la même manière, il est difficilement concevable que le local dans lequel exerce le franchisé n’ait pas été préalablement agréé par le franchiseur. La Cour de cassation estime en effet qu’un local a été « agréé » dès lors que la tête de réseau a aidé le gérant à l’acheter, à l’équiper, notamment en lui fournissant le matériel publicitaire et l’enseigne et a exigé un droit de contrôle sur son aménagement295 ce qui recoupe en réalité les obligations du franchiseur en matière de transmission de savoir-faire. En outre, la deuxième condition n’implique rien d’autre que le texte ne pourra être appliqué qu’aux franchises de distribution, qui représen-tent néanmoins la part la plus importante des réseaux de franchise d’un point de vue économique296. En bref, sur cinq conditions imposées par le Code du travail pour

292 H. Kenfack, « Le prix de la dépendance : l’application des dispositions du code du travail à une relation commerciale », D., 2002, p. 1934, n° 7.

293 Pour un exemple récent, voir Cass. Soc., 1er février 2011, SFR c/ Wagner, n° 08-45.223, 08-45.295 et 09-65.999 : Inédit : la Cour de cassation y approuve une Cour d’appel d’avoir fait application du texte dès lors qu’elle a « relevé que le contrat partenaire mentionnait le caractère intuitu personae des relations établies et que toute opération de cession ou de nature à influer sur le capital social devait être soumise à l’agrément de la SFR ».

294 V. par exemple en ce sens P. Le Tourneau, Les contrats de franchisage, 2e éd., Litec, 2007, n° 7 et 260 :

« en pratique, la majorité des contrats de franchisage comportent une clause affirmant ce caractère intuitu personae, de façon en quelque sorte unilatérale, au regard de la personne du dirigeant ou de l’associé majoritaire de la société franchisée ».

295 En ce sens, Cass. Soc., 12 décembre 1995, Sté Elf France c/ Lemière, n° 92-42.856. V. également, C.A. Riom, 29 juin 2004, LPA, 2006, n° 48, p. 8, obs. Mainguy, Respaud et Cadoret.

296 La part des secteurs d’activité des franchises de distribution représente, en 2010, près de 50 % du total de l’ensemble des réseaux de franchise, toutes activités confondues d’après l’Observatoire de la franchise (http://www.observatoiredelafranchise.fr/statistiques/chiffres-cles.htm).

permettre l’application de l’article L. 7321-2, 2° , il n’est pas excessif de considérer que trois sont nécessairement et a priori remplies en matière de franchise de distribution.

À l’inverse, il serait même possible de considérer le franchiseur fautif si ces conditions faisaient défaut.

131. Deux conditions cumulatives. La qualification d’un franchisé en gérant de succursales repose donc uniquement sur deux critères : la présence d’une quasi-exclu-sivité et la mainmise du franchiseur sur les conditions et tarifs de vente. Or, si la première pratique est strictement encadrée297, elle n’en demeure pas moins licite sous conditions. La seconde – objet de la présente étude – est en revanche totalement pro-hibée. L’articulation entre le droit de la concurrence et le droit social est ici particu-lièrement intéressante : le respect du premier implique l’éviction du second, les cinq conditions susévoquées étant cumulatives. À l’inverse, si la pratique de prix imposés ne suffit pas à faire bénéficier le franchisé de l’article L. 7321-2 du Code du travail, il y a toutefois de grandes chances qu’il parvienne à triompher dans ses prétentions, quatre des cinq conditions du texte étant alors nécessairement remplies298. L’expansion de l’article L. 7321-2 du Code du travail n’en finit plus, si bien qu’il vient aujourd’hui prêter main-forte au droit de la concurrence, avec la vigueur propre aux sanctions du droit social299.

b. La sanction par le droit social des « conditions et prix imposés » 132. Rôle des juridictions prud’homales. Il peut dès lors apparaître assez surpre-nant de voir le débat relatif aux prix imposés se dérouler massivement devant les juri-dictions prud’homales et donner lieu à une jurisprudence relativement abondante de la Chambre sociale. Il n’est d’ailleurs par rare de voir la Cour de cassation contrainte de rappeler aux juridictions du fond statuant en matière sociale que ce débat relève bien de leur compétence, y compris en l’absence de lien de subordination entre fran-chiseur et franchisé300. Sur le fond, l’appréciation du caractère imposé ou non des prix fait l’objet d’une appréciation largement compréhensive de la Chambre sociale, qui semble considérer qu’il s’agit là d’un élément d’appréciation souveraine. Tout au plus, les magistrats du quai de l’Horloge se contentent-ils d’un contrôle restreint. Ainsi, dans l’un des arrêts France Acheminement, le franchiseur sollicitait la censure de l’arrêt rendu par la Cour d’appel qui avait estimé que les prix étaient imposés, alors que le

297 Sur la question des conditions de validité d’une clause d’exclusivité, v. n° 182 et s.

298 En ce sens, D. Legeais, « Franchise », Fascicule n° 316, in J.-Cl. Commercial, 2009, n° 63.

299 Une affaire particulièrement médiatique a encore récemment témoigné de la vigueur de l’article L. 7321-2, 2° , une quinzaine de franchisés de l’opérateur de téléphonie mobile ayant décidé de solliciter l’application de ce texte. En raison des enjeux financiers, ces procédures ont trouvé un écho dans la presse généraliste nationale (v. notamment Laurence Neuer, « SFR en procès avec ses franchisés », Le Point du 20 novembre 2008).

300 V. par exemple, deux des célèbres arrêts France Acheminement : Cass. Soc., 4 décembre 2001, France acheminement c/ Bouchet, n° 99-43.440, JurisData n° 2001-012004, Cah. dr. entr., 2001, n° 3, p. 31, obs. Mainguy, D., 2002, p. 3006, obs. Ferrier et Cass. Soc., 4 décembre 2001, France acheminement c/ Dalval, n° 99-44.452, JurisData n° 2001-012006, Cah. dr. entr., 2001, n° 3, p. 31, obs. Mainguy, D., 2002, p. 3006, obs. Ferrier.

contrat de franchise se contentait de fixer la part du prix qui devait revenir à la tête de réseau, sans pour autant déterminer le prix de vente au consommateur301. Le contrat stipulait au contraire que « le franchisé s’engage à transmettre au franchiseur les éléments de prix et tarifs applicables à chaque prestation ou type de prestation »302. Qu’importe pour la Cour de cassation qui se satisfait de l’appréciation faite par la Cour d’appel, relevant au surplus que les factures étaient directement encaissées par le franchiseur. Malgré ce contrôle relativement souple, la motivation des décisions en matière sociale recoupe assez largement celle que l’on peut connaître en droit de la concurrence. C’est ainsi que, ne sont pas considérés comme imposés au sens de l’article L. 7321-2 du Code du travail, des prix conseillés ou maximums, dans la mesure où « il n’est pas démontré que la conservation de la marge bénéficiaire [rendrait] impossible une revente à un prix inférieur »303.

133. À l’inverse, le fait que le franchiseur « entreprenne des actions publicitaires à sa seule initiative, mette à la disposition du distributeur des documents publicitaires à remettre à la clientèle selon des instructions promotionnelles strictes, précise les modifications de prix et envoie même des étiquettes à positionner et des adhésifs pour le masquage du prix barré »304 caractérise à l’évidence une situation exclusive de toute indépendance du franchisé dans la détermination des prix de vente. De la même manière, dans le cadre d’une franchise de transport, on ne saurait tolérer que le franchiseur fournisse direc-tement les étiquettes de transport à des prix fixes à ses franchisés, quand bien même il arguerait qu’il ne s’agit là que de prix indicatifs305. Les deux textes ne se recoupent cependant pas totalement. Comme le remarque Maître François-Luc Simon, il est pos-sible d’imaginer des situations où la relation franchiseur-franchisé serait susceptible de tomber sous le coup du droit du travail, sans pour autant encourir de grief du point de vue du droit de la concurrence. C’est notamment le cas lorsque le franchisé n’a qu’une activité de dépôt-vente et se contente donc de vendre des produits qui demeurent appartenir au franchiseur306. L’article L. 7321-2 du Code du travail, plus restrictif que le droit de la concurrence pour des problématiques qui semblent pourtant relever de cette branche du droit, peut alors faire figure de « machine infernale »307. Il participe

301 Cass. Soc., 4 décembre 2001, France acheminement c/ Sierra, n° 99-41.265, JurisData n° 2001-012007, Cah. dr. entr., 2001, n° 3, p. 31, obs. Mainguy, D., 2002, p. 3006, obs. Ferrier.

302 Ibid.

303 C.A. Dijon, 30 juin 2005, Poyard c/ Phildar, JurisData n° 2005-283427.

304 C.A. Nîmes, 20 décembre 2002, Warczyglowa c/ Yves Rocher, n° 02/3168, JurisData n° 2002-199407, D., 2003, p. 2431, obs. Ferrier

305 Cass. Soc., 26 septembre 2007, Kermarrec c/ SAS Ginkgo, n° 06-44.863, JurisData n° 2007-040579, Contrats conc. consom., 2007, comm. 301, note Malaurie-Vignal.

306 F.-L. Simon, « L’identification du contrat de franchise (numéro spécial : un an d’actualité juridique en droit de la franchise) », LPA, 2008, no 243, p. 11. Pour un exemple de décision refusant d’appliquer les sanctions du droit de la concurrence à un distributeur de produits appartenant à la tête de réseau, v. C.A. Paris, 18 juin 2003, Sté Mignan & Fils c/ Sté Zannier, JurisData n° 2003-225468, Cont. conc.

consom., 2004, n° 2, comm. 19, note Leveneur. On est cependant en droit de s’interroger en pareil cas sur la pertinence de la qualification de contrat de franchise.

307 A. Constantin, « Requalification d’un contrat de franchise en contrat de travail », note sous Cass. Soc., 4 décembre 2001, JCP G, 2002, I, 148.

toutefois indéniablement à la préservation d’un certain équilibre contractuel, et donc de l’idée selon laquelle un accord de franchise ne doit pas annihiler toute concurrence entre les membres du réseau. Protectrice de l’indépendance du franchisé, la requalifi-cation du contrat poursuit les mêmes fins.

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