• Aucun résultat trouvé

Un droit commun relativement incertain

181. La clause d’approvisionnement exclusif n’a pas suscité l’intérêt du législateur depuis la fameuse loi du 14 octobre 1943. C’est dès lors à la jurisprudence qu’il est revenu de forger le régime de ces clauses, au regard du droit commun. Aussi, la Cour de cassation s’est-elle initialement alignée sur la position européenne, au milieu des années 1990. Aussi, ce sont les critères en vigueur à cette époque au plan européen qui ont été consacrés (1), créant aujourd’hui un certain décalage du fait de l’assouplisse-ment des normes européennes (2).

1. Les critères classiques de validité

de la clause d’approvisionnement exclusif

182. Au regard du droit commun, le législateur s’est ainsi attaché à fixer la durée de la clause d’exclusivité (a), tandis que c’est à la jurisprudence qu’il est revenu la tâche de fixer le régime de cette clause, principalement quant à son opportunité (b).

a. Le critère légal quant à la durée

183. Article L. 330-1 du Code de commerce. La loi du 14 octobre 1943, codifiée à l’article L. 330-1 du Code de commerce, limite à dix ans la durée de validité de toute clause d’exclusivité. Il en résulte un décalage évident entre les conditions de validité d’une clause d’exclusivité selon qu’elle est appréciée sous l’angle du droit commun ou du droit de la concurrence. Les contrats qui ne sont pas susceptibles d’affecter le marché et qui échappent ainsi à l’application du droit des ententes bénéficient donc d’un régime plus souple à l’égard de la durée des clauses d’approvisionnement exclusif.

Au surplus, la jurisprudence est venue préciser qu’une clause dont la durée serait supé-rieure à dix ans n’encourt pas pour autant la nullité. Cette stipulation produit ses effets pendant les dix premières années, et devient caduque au-delà422. De même, à supposer que la clause d’exclusivité soit un élément déterminant du consentement des parties – ce qui apparaît peu probable en matière de franchise – le contrat serait également

n° 07-D-04, Contrats conc. consom., 2007, comm. 70, note Malaurie-Vignal). Comme le relève un auteur, en l’absence de précision, on ignore si cette position doit être analysée comme une résurgence de l’ancienne solution, ou l’application des lignes directrices alors en vigueur (F.-L. Simon, Théorie et pratique du droit de la franchise, Lextenso, 2009, n° 321).

422 Pour l’application de cette solution à un contrat de franchise, v. C.A. Toulouse, 4 décembre 1997, JurisData n° 1997-056215. Dans le même sens déjà, Cass. Com., 1er décembre 1981 : Bull. civ. IV, n° 423.

caduc à l’issue de la période de dix ans423. En somme, l’intérêt de cette disposition est aujourd’hui extrêmement mesuré. Il en va tout autrement des critères forgés par la jurisprudence.

b. Les critères jurisprudentiels quant à l’opportunité

184. La jurisprudence dégage deux critères, a priori cumulatifs, pour apprécier de la validité des clauses d’approvisionnement exclusif. Il convient d’une part que ces pro-duits aient un lien direct avec le savoir-faire (b-1), mais encore qu’il soit impossible de définir des critères objectifs de qualité permettant leur substitution (b-2).

a-1. Une exclusivité portant sur des produits en lien avec le savoir-faire

185. Dénaturation du savoir-faire. La clause d’exclusivité d’approvisionnement peut en réalité avoir deux liens différents avec le savoir-faire, selon le type de fran-chise424. Dans le cadre d’une franchise de distribution, l’exclusivité aura pour but de contraindre les franchisés à se fournir par le biais de la centrale d’achat du réseau, afin d’augmenter la puissance d’achat et l’effet de levier de ce dernier. C’est alors afin de préserver l’intérêt du réseau et de ses adhérents qu’est stipulée la clause d’exclu-sivité425. Dans le cadre de franchises de service, la clause d’exclusivité entretient un lien encore plus étroit avec le savoir-faire : il s’agira pour le franchiseur de contrôler que les produits utilisés par le franchisé n’altèrent pas le savoir-faire communiqué.

L’exemple typique est celui des franchises de salon de coiffure, où les franchisés s’engagent à utiliser les produits de coiffage recommandés par la tête de réseau426. Bien évidemment, ces deux justifications à la clause d’exclusivité ne sont pas anti-nomiques l’une de l’autre. Un franchiseur dans le domaine des grandes surfaces exigera ainsi non seulement de ses franchisés qu’ils se fournissent auprès de sa cen-trale d’achat pour leur stock, mais également auprès de lui-même ou de fournisseurs référencés s’agissant de divers matériels immobilisés tels que les enseignes et autres systèmes de gestion.

186. La seconde hypothèse, touchant principalement les franchises de services, est la plus aisément concevable. La jurisprudence s’attachera alors à vérifier que les produits visés par l’exclusivité sont bien nécessaires à la mise en œuvre du savoir-faire délivré par le franchiseur. Sont par conséquent regardées comme illicites les clauses visant à limiter les possibilités d’approvisionnement quant aux caisses enregistreuses427, aux

423 Cass. Com., 10 février 1998, ED Le Maraicher c/ Sté ED Le Maraicher La Courneuve, n° 95-21.906, JurisData n° 1998-000524 : Bull. civ. IV, n° 71, JCP G, 1998, IV, 1733.

424 Sur ces distinctions, v. n° 19.

425 Le Conseil de la concurrence avance ainsi que la clause d’exclusivité a pour but « la négociation avec les fournisseurs de remises et de ristournes fondées sur les volumes de vente potentiels et la garantie de paiement du franchiseur » (Cons. conc., 11 avril 2000, n° 00-D-10).

426 Ce sont notamment les faits ayant donné lieu à la décision Jacques Dessange (Cons. conc., 24 mai 1994, Jacques Dessange, n° 94-D-31).

427 C.A. Paris, 18 mars 1997, JurisData n° 1997-023957.

imprimantes428, aux éléments d’aménagement des magasins429 ou encore au matériel publicitaire430 – quoique l’on pourrait avancer que ces deux derniers éléments sont loin d’être sans lien avec le savoir-faire.

187. Problème des centrales d’achat. Le lien entre savoir-faire et clause d’exclusi-vité est en revanche, de prime abord, moins évident dans l’hypothèse où l’exclusid’exclusi-vité a pour objet les marchandises distribuées et vise à instaurer un monopôle auprès d’une centrale d’achat. Cette restriction de concurrence aurait pour but de permettre aux franchisés de bénéficier de tarifs plus attractifs par le biais de l’effet de groupe. Si tel est réellement le cas, on conçoit cependant mal quel pourrait être l’intérêt pour un distributeur de violer la clause : perdant l’effet de levier propre au réseau, il serait alors contraint de se fournir à des prix plus élevés que ceux dont il bénéficie en s’approvi-sionnant auprès de son propre groupement. La simple incitation économique devrait donc suffire à contraindre le franchisé au respect de l’exclusivité. À l’inverse, la viola-tion de cette obligaviola-tion par un membre du réseau signifierait que celui-ci est capable, individuellement, de s’approvisionner dans des conditions plus favorables que celles proposées par le groupement. C’est ainsi dire, en pareil cas, que la clause d’exclusivité n’a pas d’intérêt pour la protection du réseau et du savoir-faire. Ainsi présentée, la clause d’exclusivité portant sur les produits distribués dans les franchises de distribu-tion est donc au mieux superflue, au pire injustifiée431.

188. Elle peut en revanche trouver une justification similaire à celle avancée dans les franchises de service dans l’hypothèse où le franchiseur procède à une sélection d’articles, par exemple sur des critères de qualité. La clause d’exclusivité visera alors à prévenir des comportements que les économistes qualifient de « passager clandestin », un membre du réseau profitant de la notoriété de ce dernier, sans pour autant commer-cialiser des marchandises répondant aux critères de qualité imposés.

b-2. L’impossibilité de définir des critères objectifs de qualité

189. La clause d’exclusivité ne peut apparaître nécessaire ou indispensable au main-tien de l’image du réseau et de son savoir-faire que si les franchisés n’ont pas la possibi-lité de se procurer des produits identiques, ou à tout le moins similaires et équivalents, auprès d’autres fournisseurs. De là, la jurisprudence déduit implicitement qu’une clause d’exclusivité n’est valable qu’à la condition qu’elle soit justifiée par l’impossibi-lité ou la difficulté de définir et de mettre en œuvre des critères objectifs permettant de sélectionner les produits à utiliser ou à distribuer dans le cadre de la franchise432. Cette

428 L. Boy, « L’abus de pouvoir de marché : contrôle de la domination ou protection de la concurrence ? », RID éco., 2005, no 1, t. XIX, p. 27 et s.

429 En ce sens, v. F.-L. Simon, Théorie et pratique du droit de la franchise, Lextenso, 2009, n° 719.

430 Cons. conc., 6 juillet 1999, Yves Rocher, n° 99-D-49, LPA, 1999, n° 211, p. 11, note Arhel.

431 Il serait toutefois caricatural d’exclure toute idée de sélection dans le domaine, le franchiseur étant parfaitement fondé à limiter les produits distribués par ses franchisés, afin que ces derniers ne violent pas le concept de la franchise.

432 Cass. Com., 2 juillet 2002, Sté Intercaves c/ Le Hen, n° 00-14.939 : Inédit, RJDA, 2002, n° 1206.

idée est probablement à mettre en lien avec la notion de proportionnalité, laquelle permet à un auteur d’avancer qu’il convient « de proportionner la clause d’approvision-nement aux performances du modèle à réitérer »433. Plus la sélection des produits s’avère délicate à réaliser, plus la clause d’approvisionnement sera considérée comme justi-fiée. Ainsi, la Cour de cassation approuve-t-elle une Cour d’appel d’avoir validé une clause d’approvisionnement exclusif dans la mesure où, « compte tenu de la gamme des marchandises proposées ainsi que de l’évolution constante et rapide des techniques de fabri-cation, la formulation des spécifications objectives de qualité que les franchisés pourraient eux-mêmes appliquer s’est révélée impraticable de même que la mise en place d’un contrôle effectif auprès de chacun des points de vente »434.

190. Divergences entre droit interne et droit européen. Il résulte de ce qui pré-cède que la jurisprudence interne est nécessairement bien plus restrictive que les règles européennes. En effet, le règlement d’exemption ne prend en compte la légitimité et l’opportunité de la clause au regard du savoir-faire que dans l’hypothèse où elle franchit le seuil de 80 % et a une durée supérieure à cinq ans. Ce critère relativement restrictif n’est donc que facultatif en droit européen, alors qu’il est automatique et capital en droit interne. Se pose donc inévitablement la question d’une éventuelle harmonisation des deux corps de règles.

2. Vers une harmonisation avec le droit de la concurrence ?

191. Critères datant de 1988. Ce phénomène de réception prétorienne du droit européen laisse aujourd’hui planer quelques doutes sur la pérennité des solutions tra-ditionnelles. La jurisprudence nationale, forgée au regard des textes européens passés, est-elle appelée à leur survivre ? Il semble paradoxalement falloir répondre par l’affir-mative, les juridictions de droit commun appelées à connaître de la validité d’appro-visionnements exclusifs persistant, y compris fort récemment, à appliquer les critères dégagés sous l’influence du règlement de 1988. Ainsi, une Cour d’appel estime-t-elle que « la validité d’une telle clause ne peut être mise en cause dès lors qu’elle a pour but de maintenir l’unité et la cohésion de l’ensemble du réseau »435. Bien évidemment, de telles formules ne sont pas à proprement parler inexactes, même au regard des nouvelles dispositions européennes436. L’illicéité de la clause ne peut découler que de la réunion des quatre critères cumulatifs posés à la foi par le règlement et les lignes directrices437. Dès lors, la seule constatation de ce que la clause protège l’unité du réseau suffit à caractériser sa licéité.

433 J.-M. Leloup, La franchise, droit et pratique, 4e éd., Delmas, 2004, n° 571.

434 Cass. Com., 6 avril 1999, Daubresse c/ Phildar, n° 96-20.606, JurisData n° 1999-001597 : Inédit.

435 C.A. Toulouse, 13 janvier 2010, SARL Poitiers Pizza Distribution Popidis et autres c/ SA Socorest, n° 08/01751.

V. dans le même sens, C.A. Nîmes, 3 décembre 2009, SNC Boudon Gisclon c/ SA Maxi Livres, n° 08/05180 ou C.A. Riom, 20 juin 2007, Sté Item c/ Sté Babou, n° 06/01272 : Inédit.

436 Sur cette question, v. n° 178 et s.

437 V. supra, n° 180.

192. Le raisonnement inverse est en revanche beaucoup plus problématique. Affir-mer qu’une clause qui ne serait pas nécessaire au maintien de l’unité du réseau serait automatiquement illicite est aujourd’hui contraire à la position des textes européens.

Au regard de ces dispositions, une telle clause peut en effet être validée, si tant est qu’elle porte sur moins de 80 % des achats annuels ou encore que sa durée soit infé-rieure à cinq ans. Pourtant, la Cour de cassation n’a pas hésité à approuver une Cour d’appel qui avait annulé un contrat contenant une clause d’approvisionnement exclusif au seul motif que celle-ci « n’était pas nécessaire au maintien de l’identité commune ou à la réputation du réseau et que, compte tenu de la nature des produits, qu’elle décrit, il était possible d’appliquer des spécifications objectives de qualité »438. Si cette décision venait à être confirmée – ce qui, à notre connaissance – n’a pas été le cas, il s’agirait là d’un processus singulier d’autonomisation et de différenciation du droit interne par rapport au droit européen, dont il est pourtant initialement issu.

* * * * *

193. Le régime des clauses d’approvisionnement exclusif a ainsi connu un impor-tant assouplissement en droit européen, la question de la nécessité de ces clauses éimpor-tant devenue relativement subsidiaire. Il n’est toutefois pas certain que ces évolutions soient amenées à connaître une traduction immédiate en droit interne et qu’elles conduisent à modifier instantanément la pratique décisionnelle de nos juridictions. S’il existe donc potentiellement un décalage entre droit interne et droit européen s’agissant des clauses d’approvisionnement exclusif, on observe en revanche davantage de convergence en ce qui concerne les obligations de concurrence.

ii. l

esobligationsDe non

-

concurrence

194. Non-concurrence pendant l’exécution du contrat. Au titre des restrictions simples, le règlement d’exemption aborde la question des obligations de non-concur-rence post-contractuelles439. En raison de l’importance des controverses qu’elles sus-citent et dans un souci de cohérence avec le plan chronologique adopté pour présenter l’influence du droit de la concurrence sur les parties au contrat, la réglementation de telles obligations sera abordée dans le Titre II, consacré au maintien d’une concurrence loyale à l’issue des relations contractuelles440. Le règlement d’exemption n’est toute-fois pas muet quant aux clauses de non-concurrence produisant leurs effets pendant le contrat et adopte d’ailleurs à leur égard une position plus que compréhensive et

438 Cass. Com., 2 juillet 2002, Sté Intercaves c/ Le Hen, n° 00-14.939 : Inédit, RJDA, 2002, n° 1206.

439 Règlement (UE) n° 330/2010 de la Commission du 20 avril 2010 concernant l’application de l’article 101, paragraphe 3, du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne à des catégories d’accords verticaux et de pratiques concertées, art. 5§3.

440 V. infra, n° 222 et s.

favorable441. En vérité, la licéité de telles stipulations n’est contestée par personne (B) ; c’est davantage leur éventuelle absence qui permet de nourrir diverses interrogations doctrinales et jurisprudentielles. On peut en effet se demander si, même en l’absence d’une clause de non-concurrence, le franchisé ne demeure pas tenu d’une obligation de non-concurrence pendant l’exécution de son contrat (A).

Outline

Documents relatifs