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Vieux sujet ? Une autre approche eût parfaitement été possible : plutôt que d’interroger l’influence du droit de la concurrence sur le contrat de franchise, il eût

ii. i mportance , intérêt et impact

33. Vieux sujet ? Une autre approche eût parfaitement été possible : plutôt que d’interroger l’influence du droit de la concurrence sur le contrat de franchise, il eût

été possible d’inverser l’analyse et d’étudier l’influence du contrat de franchise sur la concurrence. Une telle formulation conduit cependant à évincer de la problématique une notion fondamentale : le droit. En effet, sonder l’impact du contrat de franchise ou des réseaux de franchise sur la structure de la concurrence relève davantage de l’ana-lyse économique – le fameux « bilan économique » – que de la réflexion juridique. À l’inverse, l’influence du droit de la concurrence sur le(s) contrat(s) demeure un sujet des plus juridiques ; « un vieux sujet »98 ont même écrit certains. Il est vrai que nom-breux sont les écrits juridiques associant le couple contrat et concurrence99. Leur liaison est ancienne, voire évidente : les échanges entre opérateurs économiques se font par le biais de contrats ; les mêmes contrats étant susceptibles de modifier l’organisation de la concurrence entre les entreprises. Comme l’écrit Madame le Professeur Marie-Anne Frison-Roche, « à l’inverse de l’économie administrée, le marché concurrentiel suppose d’une part la propriété privée, d’autre part la circulation des biens grâce à l’échange de ceux-ci contre un équivalent monétaire, par le biais d’un contrat obligatoire entre l’offreur

97 Sur cette approche, v. notamment M.-A. Frison-Roche, « Contrat, concurrence, régulation », RTD civ., 2004, no 3, p. 451, n° 23 et s.

98 Ibid., n° 1.

99 Sans que la liste ne soit exhaustive : O.-M. Boudou, La liberté contractuelle au regard du droit de la concurrence (droit communautaire et droit français), Thèse : Paris II, 2001 ; M. Chagny, Droit de la concurrence et droit commun des obligations, Thèse : Paris I, Dalloz, 2004 ; N. Decoopman, « Droit du marché et droit des obligations », in Travaux de l’association Henri Capitant, Le renouvellement des sources du droit des obligations, 1996 ; F. Dreifuss-Netter, « Droit de la concurrence et droit commun des obligations », RTD civ., 1990, p. 369 ; Y. Guyon, « Droit du marché et droit commun des obligations, rapport de synthèse », RTD com., 1998, p. 121 ; L. Idot, « La protection par le droit de la concurrence », in Christophe Jamin etDenis Mazeaud, Les clauses abusives entre professionnels, Economica, 1998 ; M.-L. Izorche, « Droit du marché et droit commun des obligations, les fondements de la sanction de la concurrence déloyale et du parasitisme », RTD com., 1998, p. 17 ; C. Lucas de Leyssac et G.

Parléani, « L’atteinte à la concurrence, cause de nullité du contrat », in Le contrat au début du XXIe siècle : Etudes offertes à J. Ghestin, L.G.D.J., 2001 ; M. Malaurie-Vignal, « Droit civil des contrats et droit de la concurrence à l’aube de l’an 2000 », Cont. conc. consomm., 2000, no 1 ; M. Malaurie-Vignal,

« Droit de la concurrence et droit des contrats », D., 1995, p. 51 ; M. Malaurie-Vignal, « Liberté contractuelle, transparence tarifaire et égalité entre concurrents », Cont. conc. consomm., 2003, no 3 ; J. Mestre et B. Fages, « Droit du marché et droit commun des obligations, l’emprise du droit de la concurrence sur le contrat », RTD com., 1998, p. 71 ; B. Montels, « La violence économique, illustration du contrat entre droit commun des contrats et droit de la concurrence », RTD com., 2002, p. 417 ; B. Oppetit, « La liberté contractuelle à l’épreuve du droit de la concurrence », Rev. des sciences morales et politiques, 1995, p. 241 ; G. Parléani, « Violence économique, vertus contractuelles, vices concurrentiels, in Aspects actuels du droit des affaires », in Mélanges Y. Guyon, Dalloz, 2003 ; Y. Picod,

« Droit du marché et droit commun des obligations, rapport introductif », RTD com., 1998, p. 1 ; G. Ripert, « L’ordre économique et la liberté contractuelle », in Mélanges Gény, 1934 ; J. Rochefeld,

« Nouvelles régulations économiques et droit commun des contrats », RTD civ., 2001, p. 671 ; Y.

Serra, « Droit du marché et droit commun des obligations, les fondements et le régime de l’obligation de non-concurrence », RTD com., 1998, p. 7 ; L. Vogel, « L’articulation entre le droit civil, le droit commercial et le droit de la concurrence », Concurrence et consommation, 2000, p. 7 et s.

et le demandeur. Ainsi il ne peut y avoir de marché concurrentiel sans contrat, sans doute parce qu’on ne peut avoir d’ordre marchand sans contrat et que le marché concurrentiel n’est qu’une forme ultérieure de l’ordre marchand »100. Concurrence et contrat serait donc un vieux couple et un couple convenu : pas de quoi susciter l’enthousiasme.

34. Problème insoluble ? Toutefois, à dire vrai, ceux-là mêmes qui relèvent l’an-cienneté du sujet constatent que celle-ci « n’a pas pour autant aplani toutes les difficul-tés »101. À l’évidence, contrats et droit de la concurrence ne cessent de se confronter : cette confrontation est d’autant plus intense s’agissant du contrat de franchise, véri-table concentré des difficultés qui peuvent se poser en la matière. En effet, qui mieux que le contrat de franchise, organisant le regroupement de centaines de commerçants indépendants autour de la tête de réseau est susceptible de favoriser une concentration d’entreprises ? La conclusion de tels contrats, visant à la mise en commun de certains moyens, à l’organisation d’une politique commerciale commune et à une harmoni-sation des méthodes de vente, le tout entre commerçants indépendants n’est-elle pas constitutive d’une entente ? Le réseau de franchise n’est-il pas un terrain particulière-ment fertile aux abus de domination, abus de dépendance et autres pratiques restric-tives de concurrence ? L’ensemble de ces interrogations reste pour partie en suspens.

35. Précédents travaux. Car, si le couple contrat et concurrence est éprouvé, celui formé entre contrat de franchise et droit de la concurrence est plus novateur. Il n’est pas totalement inédit : la plupart des ouvrages traitant du contrat de franchise consacrent naturellement un chapitre au droit de la concurrence102. Le Professeur Louis Vogel a par ailleurs dirigé un stimulant ouvrage de droit comparé intitulé La franchise au carre-four du droit de la concurrence et du droit des contrats103 récemment publié aux éditions Panthéon-Assas ; lequel apporte un éclairage sur les clauses interdites, les clauses licites et les clauses licites sous conditions au regard du droit de la concurrence sous le prisme du droit des États-Unis, de l’Union européenne, de la France, de l’Allemagne et de l’Italie. Enfin, une thèse dirigée par le Professeur Jacqueline Amiel-Donat a été soute-nue en 2011 sur le thème « Franchise et concurrence : la protection du franchiseur face à la concurrence de son ancien franchisé »104. L’auteur de cette étude limite toutefois ses investigations aux questions relatives à la clause de non-concurrence post-contractuelle

100 M.-A. Frison-Roche, « Contrat, concurrence, régulation », RTD civ., 2004, no 3, p. 451, n° 7. Dans le même sens, v. M.-A. Frison-Roche, « Valeurs marchandes et ordre concurrentiel », in L’ordre concurrentiel, Frison-Roche, 2003.

101 M.-A. Frison-Roche, « Contrat, concurrence, régulation », RTD civ., 2004, no 3, p. 451, n° 1.

102 C’est notamment le cas des ouvrages des Professeurs Le Tourneau (P. Le Tourneau, Les contrats de franchisage, 2e éd., Litec, 2007) et Grimaldi (C. Grimaldi, S. Méresse et O. Zakharova-Renaud, Droit de la franchise, Litec, 2010), ainsi que de ceux du bâtonnier Leloup (J.-M. Leloup, La franchise, droit et pratique, 4e éd., Delmas, 2004) et de Maître François-Luc Simon (F.-L. Simon, Théorie et pratique du droit de la franchise, Lextenso, 2009).

103 L. Vogel, La franchise au carrefour du droit de la concurrence et du droit des contrats, Ed. Panthéon-Assas, 2011.

104 A. Calvet, Franchise et concurrence : la protection du franchiseur face à la concurrence de son ancien franchisé, Thèse : Perpignan, 2011.

imposée par le franchiseur à l’ancien franchisé, ce qui constitue donc un champ d’étude plus précis que celui assigné à notre travail. Au final, en dépit de l’importance du sujet, aucun ouvrage n’a réellement tenté la confrontation globale de l’ensemble du droit de la concurrence, entendu dans son acception large, avec le contrat de franchise. Bien au contraire, l’œuvre doctrinale en la matière semble davantage obéir à la méthode des coups de projecteurs, dont l’orientation est souvent dictée par l’actualité jurispruden-tielle. Ainsi, le débat quant au sort de la clientèle du franchisé a été au centre de toutes les attentions à la fin des années 1990 et au début des années 2000105. Le débat s’est progressivement déplacé sur le terrain du régime des clauses de non-concurrence, pour atteindre son paroxysme en 2007 avec le fameux arrêt société Eté c/ SFR106. On sent aujourd’hui la doctrine particulièrement attentive à des mécanismes plus complexes et sournois, à l’instar de la franchise participative107. On peut en revanche regretter

105 V. notamment, G. Amédée-Manesme, « Franchise et propriété commerciale : quand le contrat de franchise tient la clientèle du réseau en l’état », Gaz. Pal., 1996, 3, doctr., p. 1394 ; F. Auque, « Le franchisé bénéficie du statut des baux commerciaux », note sous Cass. Civ. 3e, 27 mars 2002, JCP E, 2002, 1252 ; D. Baschet, « La franchise est en deuil ! Franchise et propriété commerciale », RJ com., 1996, p. 327 ; D. Baschet, « La propriété de la clientèle dans le contrat de franchise ou… la franchise est en danger de mort », Gaz. Pal., 1994, doctr., p. 1256 et s ; H. Bensoussan, « La clientèle « au » franchisé, facteur d’illégitimité de la clause de non-rétablissement », D., 2001, p. 2498 ; J.-P. Blatter,

« Franchise et propriété commerciale », note sous Cass. Civ. 3e, 27 mars 2002, AJDI, 2002, p. 376 ; B. Boccara, « Le fonds de commerce, la clientèle et la distribution intégrée », Gaz. Pal., 1994, doctr., p. 1021 et s ; A. Brunet, « Clientèle commune et contrat d’intérêt commun », in Etudes dédiées à Alex Weill, Dalloz-Litec, 1983 ; J.-J. Burst, « Eléments de ralliement de la clientèle et franchise », Cah.

dr. entr., 1988, no 2, p. 21 et s ; J.-J. Burst et D. Ferrier, « Appartenance de la clientèle et clause de non-concurrence », Cah. dr. entr., 1983, no 1, p. 21 et s ; E. Chevrier, « Le franchisé a la propriété commerciale du fonds exploité », note sous Cass. Civ. 3e, 27 mars 2002, D., 2002, p. 1487 ; P. de Belot, « Un franchisé a-t-il le droit à la propriété commerciale ? », Administrer, 1991, no 3, p. 2 et s ; P.

de Belot, note sous T.G.I. Evry, 9 décembre 1993, Gaz. Pal., 1994, Jur., p. 207 ; P. de Belot, note sous T.G.I. Paris, 24 novembre 1992, Gaz. Pal., 1994, Jur., p. 203 ; J. Derrupé, « Fonds de commerce et clientèle », in Etudes dédiées à A. Jauffret, 1974 ; J. Derrupé, « Le franchisé a-t-il encore une clientèle et un fonds de commerce ? », AJPI, 1997, p. 1002 et s ; R. Fabre, « La clientèle dans la franchise », JCP E, 1996, no 3, Cah. dr. entr., p. 17 et s ; D. Ferrier, « Le franchisé bénéficie de la propriété commerciale dès lors que le franchiseur lui reconnaît le droit d’en disposer », note sous Cass. Civ. 3e, 27 mars 2002, D., 2002, p. 3006 ; L. Godon, « Renaissance de la propriété commerciale au profit du franchisé », note sous Cass. Civ. 3e, 27 mars 2002, LPA, 2003, 132132, p. 67 ; H. Kenfack, « Le franchisé bénéficie du statut des baux commerciaux », note sous Cass. Civ. 3e, 27 mars 2002, D., 2002, p. 2400 ; Y.

Marot, « Franchise et propriété de la clientèle : la Cour de cassation a tranché définitivement », note sous Cass. Civ. 3e, 27 mars 2002, LPA, 2003, 2525, p. 3 ; J. Monéger, « La clientèle du franchisé », note sous Cass. Civ. 3e, 27 mars 2002, RTD com., 2003 ; Sabirau-Perez, « Le rôle de la clientèle dans le fonds de commerce », Gaz. Pal., 1998, doctr., p. 1313 et s ; B. Saintourens, « La reconnaissance par la Cour de cassation de l’existence d’une clientèle propre du franchisé, élément de son fonds de commerce », note sous Cass. Civ. 3e, 27 mars 2002, RTD com., 2002, p. 457.

106 Cass. Com., 9 octobre 2007, Sté ETE c/ Sté SFR, n° 05-14.118, JurisData n° 2007-040801, RDC, 2008, n° 2, p. 410, note Behar-Touchais, JCP G, 2007, II, p. 10211, note Dissaux, RTD civ., 2008, p. 300, obs. Fages, Rev. Lamy dr. aff., 2007, n° 22, p. 40, note Ferré et Deberdt, D., 2008, p. 388, note Ferrier, RTD civ., 2008, n° 1, p. 119, note Gautier, RJDA, 2008, n° 4, p. 355, note Kenfack, RLDC, 2008, n° 47, p. 6, note Mainguy et Depincé, Contrats, conc. consom., 2007, n° 12, comm. 298, note Malaurie-Vignal, Comm. com. électr., 2008, n° 3, comm. 42, note Stoffel-Munck.

107 Sur cette question, M. Behar-Touchais, « Les obstacles à la sortie du franchisé », Rev. Lamy conc., 2012, no hors série actes du colloque « La Franchise : questions sensibles », Cour de cassation, 27 janvier 2012, p. 32 et s ; B. Dondero, « L’instrumentalisation du droit des sociétés : la franchise

qu’aucune tentative de synthèse, voire d’ébauche d’un régime commun et cohérent à ces différentes problématiques n’ait été entreprise. C’est tout le sens notre étude.

36. Ampleur du sujet – Limites de l’étude. La tâche est cependant particulière-ment ardue au regard de l’ampleur du sujet et de la diversité des règles applicables.

N’est-il en effet pas vain d’espérer trouver un point commun entre le raisonnement mené par la Commission européenne statuant sur un projet de fusion entre deux réseaux de franchise d’envergure internationale et le juge de tel tribunal de commerce réglant un litige de concurrence déloyale entre un ancien franchisé et le réseau auquel il appartenait ? Les enjeux ne sont pas les mêmes, le niveau de décision est inégal, les textes applicables sont non seulement différents, mais participent encore de concep-tions distinctes de l’office du juge voire du rôle du droit : bref, un monde sépare ces deux univers. Pourtant, cette véritable atomisation du juge et du droit de la concur-rence a pour corollaire l’étroitesse de la cible que constitue le contrat de franchise : les règles les plus diverses vont, in fine, se rencontrer, être confrontées, et devoir être conciliées dans la rédaction et l’exécution du contrat ainsi, plus largement, que dans la vie du réseau. S’enquérir de leur cohérence apparaît ainsi légitime, voire primordial.

37. Plan de l’étude. Le réseau de franchise focalisant donc l’ensemble des règles du droit de la concurrence, il était naturel de bâtir l’articulation de notre réflexion autour de cette entité. Si l’on considère le réseau de franchise comme sujet à la concurrence, Martine Behar-Touchais résume de façon limpide la situation : « il y a des atteintes internes qui sont autant de pathologies du réseau et des atteintes externes dues à l’envie que suscite le réseau »108. À l’inverse, si l’on prend en compte le réseau comme un acteur de la concurrence, on peut schématiquement considérer que la conclusion de contrats de franchise a pour conséquence immédiate de réduire la concurrence interne, entre les parties au contrat et plus largement entre les membres du réseau, tandis qu’elle l’accroît vis-à-vis des tiers. En somme, le réseau de franchise peut apparaître comme une bulle : la concurrence y est plus faible à l’intérieur, mais plus intense à l’extérieur.

38. Pour ces raisons, il est apparu opportun de s’attacher, dans un premier temps, à étudier l’influence du droit de la concurrence dans les rapports internes au réseau, c’est-à-dire entre les parties au(x) contrat(s) de franchise. Cette approche devrait per-mettre de confirmer ou d’infirmer l’hypothèse de départ selon laquelle le droit de la concurrence tend, dans les rapports intraréseau à juguler l’effet de ce dernier, afin d’évi-ter une annihilation totale de la concurrence. À l’inverse, le second temps de l’étude sera consacré à l’examen de l’appréhension par le droit de la concurrence des relations

participative », JCP E, 2012, 1671 ; P. Le Cannu et B. Dondero, « La compétence de l’assemblée générale extraordinaire pour autoriser la résiliation d’un contrat d’enseigne », note sous C.A. Orléans, 17 février 2011, RTD com., 2011, 44, p. 764 ; D. Mainguy, note sous Cass. Com., 30 mai 2012, JCP E, 2013, 1515, p. 38.

Pour de plus amples développements, v. n° 105 et s.

108 M. Behar-Touchais, « La protection du réseau de distribution », in Aspects contemporains du droit de la distribution et de la concurrence, Montchrestien, 1996, n° 2.

entre le réseau et les tiers, que ces derniers soient concurrents ou partenaires commer-ciaux. Les caractéristiques particulières du réseau de franchise qui, s’il est un opérateur économique, n’en est pas forcément un sujet de droit, laissent présager des difficultés que pose sa perception par le droit de la concurrence.

Partie I – L’encadrement vigilant des relations entre les parties au contrat de franchise Partie II – La régulation lacunaire des relations avec les tiers au contrat de franchise

L’ENCADREMENT VIGILANT

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