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La création de liens capitalistiques

du degré de concentration du marché

A. La création de liens capitalistiques

105. Étudiant les possibilités d’émancipation d’un franchisé, le Professeur Martine Béhar-Touchais propose d’opérer une distinction entre ce qu’elle désigne comme les

« franchises non participatives » et les « franchises participatives »248. Dans ces der-nières, le franchiseur est titulaire de droits sociaux – parfois dans des proportions très minoritaires – au sein de la société franchisée. Si la validité d’un tel montage n’a jamais été expressément consacrée par les tribunaux, il paraît difficile d’en plaider l’illicéité de principe249. Il résulte néanmoins de cette pratique, au-delà des liens contractuels, des liens capitalistiques souvent bien plus difficiles à briser. Un tel montage est en effet de nature à gêner considérablement (1), voire à rendre totalement impossible tout chan-gement d’enseigne du franchisé (2).

1. La difficulté à changer d’enseigne

dans le cadre d’une participation minoritaire classique

106. La simple prise de participation minoritaire du franchiseur au capital de la société franchisé n’est pas, par elle-même, de nature à paralyser tout changement d’enseigne, qui demeure un choix de gestion de l’entreprise franchisée ne nécessitant aucunement une décision unanime des associés. Affleure toutefois le problème du devenir de la participation du franchiseur au capital du franchisé passé sous « pavillon ennemi ». Comme le souligne le Professeur Martine Béhar-Touchais, « il est peu envi-sageable de devenir franchisé d’une autre enseigne, tant que le franchiseur de l’ancienne est encore associé de la société franchisée »250. La logique commanderait donc que le franchi-seur averti du changement d’enseigne de son franchisé cède immédiatement ses parts.

Idéalement, il devrait en être ainsi, mais rien toutefois ne permet de contraindre la tête de réseau à une telle cession. Que faire face à son refus d’y consentir ?

248 Ibid.

249 V. toutefois, B. Dondero, « L’instrumentalisation du droit des sociétés : la franchise participative », JCP E, 2012, 1671, qui s’interroge : « si l’indépendance du franchisé est une condition essentielle de la relation de franchise, est-il concevable que le franchiseur détienne une part significative du capital social de la société franchisée » ?

250 M. Behar-Touchais, « Les obstacles à la sortie du franchisé », Rev. Lamy conc., 2012, no hors série actes du colloque « La Franchise : questions sensibles », Cour de cassation, 27 janvier 2012, p. 32 et s., n° 25.

107. Devenir des parts du franchiseur. La Cour de cassation refuse clairement la possibilité aux juges du fond de contraindre un associé à céder ses parts. La Haute juri-diction constate en effet « qu’aucune disposition légale ne donne pouvoir à la jurijuri-diction saisie d’obliger l’associé qui demande la dissolution de la société par application de l’article 1844-7-5 du Code civil à céder ses parts à cette dernière et aux autres associés qui offrent de les racheter »251. Le droit positif laisse toutefois la place à l’existence d’une clause statu-taire permettant l’exclusion252, mais l’on peut douter que le franchiseur accepte l’inser-tion d’une telle stipulal’inser-tion dans les statuts de la société de son franchisé. Une lueur d’espoir et la perspective d’un assouplissement pour les franchisés pourrait venir de l’arbitrage. Dans un arrêt du 16 septembre 2010, la Cour d’appel de Grenoble statuant dans le cadre d’un recours contre une sentence arbitrale a en effet entériné l’exclusion d’un franchiseur du capital de la société franchisé. Les arbitres avaient, pour motiver leur sentence, estimé qu’il existait une volonté implicite des associés « de faire dépendre leur participation dans le capital de la société au maintien des relations contractuelles de distribution »253. Pour la Cour d’appel de Grenoble, une telle motivation – quoique contraire au droit positif – ne viole pas l’ordre public sociétaire. Sauf à bénéficier de la bienveillance d’un tribunal arbitral, le franchisé engagé dans une franchise participa-tive n’aura cependant bien souvent d’autre choix que de procéder à la dissolution de sa société s’il veut rejoindre une enseigne concurrente. La situation peut cependant être encore plus délicate dans l’hypothèse où les droits sociaux conférés au franchiseur lui octroient des prérogatives particulières.

2. L’impossibilité de changer d’enseigne

dans le cadre d’une participation minoritaire « de préférence »

108. Prérogatives spéciales accordées au franchiseur. Les parts ou actions pro-priété du franchiseur peuvent être assorties de prérogatives particulières, comme celle de bloquer toute décision stratégique concernant le changement d’enseigne. Ce fai-sant, une seule part sociale peut suffire à la tête de réseau pour emprisonner totalement le franchisé. Une doctrine autorisée constate que la contrepartie d’un tel montage est que le franchiseur doit alors être nécessairement considéré comme contrôlant le franchisé au regard du droit des concentrations254. En dépit du rôle dissuasif et

pré-251 Cass. Com., 12 mars 1996, SNC Nollet c/ Salon, n° 93-17.813, JCP E, 1996, II, 831, note Paclot, Dr. soc., 1996, comm. 96, note Bonneau, RTD civ., 1996, p. 987, obs. J. Mestre, D. 1997, jurispr.

p. 133, note Langlès. Il a toutefois pu exister quelques hésitations jurisprudentielles sur la question et l’on dénombre un certain nombre de décisions des juges du fond ayant accepté une telle exclusion (v. par exemple C.A. Reims, 24 avril 1989, Gaz. Pal., 1989, II, p. 423, note Fontbressin, LPA, 1989, n° 65, p. 26, RTD com., 1989, p. 683, JCP E, 1989, II, 15677).

252 C.A. Aix-en-Provence, 26 juin 1984, D., 1985, p. 372, note Mestre ; C.A. Rouen, 8 février 1974, Rev.

sociétés, 1974, p. 507, note Rodière RTD com., 1974, p. 291, obs. Houin ; Cass. Civ., 10 avril 1954, D., 1954, p. 54 ; Cass. Req., 16 novembre 1943, S., 1944, 1, p. 15, note Picard.

253 C.A. Grenoble, 16 septembre 2010, SA ITM Entreprises c/ Dubois, n° 10/00062, JurisData n° 2010-030228, Dr. sociétés, 2011, comm. 125, note Coquelet.

254 M. Behar-Touchais, « Les obstacles à la sortie du franchisé », Rev. Lamy conc., 2012, no hors série actes du colloque « La Franchise : questions sensibles », Cour de cassation, 27 janvier 2012, p. 32 et s., n° 26.

V. infra, n° 60 et s.

ventif que peut jouer le droit des concentrations, il ne sera que d’un maigre secours au franchisé victime d’une telle situation. La libération du franchisé passe alors peut-être par le recours à des règles classiques du droit des sociétés, afin d’éviter que ce dernier ne soit « instrumentalisé »255 à des fins restrictives de concurrence. Deux voies peuvent ainsi être envisagées, en dehors du recours à l’abus de dépendance économique : d’une part la requalification de l’opération dans son ensemble ou à tout le moins du rôle du franchiseur (a), d’autre part la sanction des comportements abusifs du franchiseur, associé minoritaire (b).

a. La franchise participative requalifiée

109. Requalification en mandat ou contrat de travail. La doctrine met en garde les franchiseurs souhaitant recourir à la franchise participative contre le risque éventuel de requalification de leur relation avec les franchisés. Plusieurs voies peuvent en effet être ouvertes au franchisé pour tenter de faire reconnaître que la participation du franchiseur au capital de sa société exclut toute indépendance de sa part. Ainsi, le Professeur Bruno Don-dero estime qu’en présence d’une influence trop pressante du franchiseur sur le franchisé, ce dernier pourrait bien n’être qu’une filiale de la société du franchiseur. De la sorte, « il n’y aura plus lieu à reconnaissance d’une relation de franchise, mais, par exemple, à la recon-naissance d’un mandat »256, donné à une filiale du groupe257. La requalification en mandat semble néanmoins délicate au seul motif de l’existence de liens capitalistiques entre le fran-chisé et le franchiseur. Les rares décisions ayant requalifié un contrat de franchise en mandat s’attachent à établir l’absence totale d’indépendance du franchisé, réputé agir au nom et pour le compte du pseudo-franchiseur258. Poussé à l’extrême, le raisonnement pourrait tou-tefois conduire à la reconnaissance d’un véritable lien de subordination entre le franchisé et le franchiseur et à la requalification du contrat en relation de travail259.

110. Franchiseur dirigeant de fait. De façon moins extrême et à supposer que le franchiseur, grâce à la prise de participation minoritaire, conserve un contrôle étroit sur la marche de l’entreprise franchisée, il n’est pas impossible que ce der-nier puisse être qualifié de dirigeant de fait. Une telle qualification recoupe, selon la Cour de cassation, l’hypothèse dans laquelle un tiers exerce « une influence cer-taine sur la marche et la conduite de la société »260 aux lieu et place de ses représentants

255 B. Dondero, « L’instrumentalisation du droit des sociétés : la franchise participative », JCP E, 2012, 1671.

256 Ibid., n° 39.

257 A la différence du franchisé, le mandataire exerce naturellement au nom du mandant. Pour une illustration des hésitations qui peuvent entourer la qualification de de franchise ou de mandat, v. C.A.

Lyon, 26 octobre 2006, JurisData n° 2006-320959 ou C.A. Paris, 18 juin 2003, SA Mignan et frères c/ Sté Zannier, n° 2003-225468, Cont. conc. consom., 2004, n° 2, comm. 19, note Leveneur.

258 C.A. Paris, 18 juin 2003, SA Mignan et frères c/ Sté Zannier, n° 2003-225468, Cont. conc. consom., 2004, n° 2, comm. 19, note Leveneur

259 Sur cette question abordée sous l’angle des prix imposés, v. n° 134 et s.

260 Cass. Com., 12 juillet 2005, Jean-Pierre X… c/ Ministère Public, n° 03-14.045, Dr. soc., 2005, comm. 175, obs. Legros, Bull. Joly Sociétés, 2006, p. 22, note Saintourens, JCP G, 2006, I, 115, n° 8, obs. Caussain, Deboissy Wicker, D., 2005, act. jurispr., p. 2071, obs. Lienhard, Rev. soc, 2006, p. 163, note Lucas, Gaz. Pal,. 2005, doctr., p. 3719, obs. D. Voinot, JCP E, 2006, 1066, obs. Pétel.

légaux261. Le contentieux sur cette question est abondant en matière de franchise, et n’a pas attendu les affres de la franchise participative pour se développer. Il est ainsi possible d’avoir d’ores et déjà quelques éléments d’appréciation. Est ainsi considéré comme dirigeant de fait de l’entreprise franchisée le franchiseur qui détient les docu-ments comptables, sociaux et bancaires de la société franchisée, détient la signature de celle-ci, établit ses déclarations fiscales et contrôle l’embauche du personnel262. Est encore considéré par la jurisprudence comme un dirigeant de fait, le franchiseur qui s’autorise à licencier un employé du franchisé et à augmenter d’autres salariés263. De façon moins caricaturale, il existe également un lien entre pratique des prix imposés et requalification du franchiseur en tant que dirigeant de fait, comme l’illustre un arrêt de la Cour d’appel de Rouen du 14 mai 1992264.

111. La qualification de dirigeant de fait est particulièrement évocatrice et répond bien à la problématique de l’influence que peut exercer le franchiseur sur son « fran-chisé participatif ». Il n’en demeure pas moins que cette qualification n’a d’intérêt et ne permet d’aboutir à une sanction que dans l’hypothèse où le franchiseur aura commis une faute de gestion ayant contribué à l’insuffisance d’actif265. Elle ne peut donc être utilisée pour protéger l’indépendance du franchisé dans la marche normale de son entreprise. De ce point de vue, l’abus de minorité reste, en droit commun, l’arme la plus efficace.

b. Le franchiseur abusant de sa participation minoritaire

112. L’abus de minorité est une notion bien connue en droit des sociétés qui n’est qu’un développement de celle plus générale d’abus de droit266. Traditionnellement, on considère que l’abus de minorité suppose la réunion de deux éléments : une atteinte à l’intérêt social et le dessein des minoritaires de favoriser leurs intérêts propres au détri-ment de ceux des autres associés267. Il n’est ainsi pas rare que les associés minoritaires d’une société entendent, par absentéisme ou par un vote négatif, bloquer tout change-ment statutaire. Dans l’hypothèse où le changechange-ment d’enseigne nécessite l’accord du franchiseur – soit que l’enseigne figure dans les statuts ou que ces derniers nécessitent une majorité renforcée pour sa modification –, on perçoit bien tout l’intérêt qu’une

On notera la terminologie fort proche de celle utilisée en matière de droit des concentrations qui fait pour sa part référence à l’influence déterminante. V. supra n° 49 et s.

261 Sur cette notion, v. D. Tricot, « Les critères de la gestion de fait », Dr. et patr., 1996, no 1, p. 24 et de façon plus générale, L. Leveneur, Situation de fait et droit privé, L.G.D.J., 1990, n° 49.

262 Cass. Com., 9 novembre 1993, Beylstein Rousselet Michel et Cie c/ époux X… n° 91-18.351, JCP G, 1994, II, 22304 note Virassamy, Rev. sociétés, 1994, p. 322, note Le Tourneau.

263 Cass. Com., 9 juillet 1980, BRDA, 1980, n° 23, p. 12.

264 C.A. Rouen, 14 mai 1992, JurisData n° 1992-048824.

265 Article L. 651-2 du Code de commerce modifié par l’ordonnance n° 2010-1512 du 9 décembre 2010.

266 V. P. Merle, « L’abus de minorité », RJ com., 1991, no spécial, p. 81 ; M. Boizard, « L’abus de minorité », Rev. sociétés, 1988, p. 365. ; P. Le Cannu, « L’abus de minorité », Bull. Joly Sociétés, 1986, p. 429 ; A. Couret, « Le harcèlement des majoritaires », Bull. Joly Sociétés, 1996, p. 112.

267 A. Constantin, « La tyrannie des faibles ; de l’abus de minorité en droit des sociétés », in Mélanges Y.

Guyon, Dalloz, 2003.

telle politique de la chaise vide peut avoir pour le promoteur du réseau. En pareille hypothèse, les conditions de l’abus de minorité sont-elles remplies ? Il semble difficile de soutenir le contraire : l’impossibilité de tout changement d’enseigne heurte néces-sairement l’intérêt social, sauf à soutenir que le franchisé aspire à changer de réseau par pur masochisme. De même, cette paralysie sert d’évidence les intérêts du franchiseur qui conserve ainsi le franchisé dans son réseau, ce qui lui permet de ne rien modifier à l’organisation géographique de celui-ci tout en continuant de percevoir les redevances du franchisé. Toute prise de participation minoritaire et tout conflit entre le franchiseur et le franchisé ne sont cependant pas synonymes d’abus de minorité. Ainsi, la Cour d’appel de Paris a pu estimer que « la souscription par un franchiseur d’une minorité de blocage dans une société alliée ne constitue pas une pratique exorbitante de droit commun, car elle permet de contrôler les cessions dans le droit fil des dispositions législatives sur les sociétés à responsabilité limitée, visant notamment les modifications statutaires. Il ne saurait donc être reproché à cette société alliée d’avoir abusé de sa minorité de blocage en refusant d’agréer une cession de parts »268. Ce faisant, l’abus de minorité autorise une apprécia-tion cas par cas – à l’instar de celle effectuée sous le prisme de la dépendance écono-mique – et apparaît parfaitement à même de lutter contre d’éventuelles restrictions de concurrence engendrées par la franchise participative. Reste toutefois qu’il faudra une certaine dose d’audace et de courage pour le franchisé qui devra alors assigner celui qui n’est rien de moins que son franchiseur et son associé… La prise de participation minoritaire a alors un effet davantage psychologique et dissuasif que juridique.

113. Coup d’arrêt jurisprudentiel. Les derniers dénouements jurisprudentiels peuvent toutefois conduire à penser que la franchise participative vit peut-être ces dernières heures. Comme l’a écrit un auteur269, celle-ci a effet subit un « coup dur » par un arrêt rendu le 30 mai 2012 par la Cour de cassation au visa de l’article 1844-10, alinéa 2, du Code civil, ensemble les principes de la liberté contractuelle et de la liberté de la concurrence270. En l’espèce, une clause des statuts de la société franchisée donnait compétence à l’assemblée générale extraordinaire pour statuer sur un non-renouvelle-ment du contrat de franchise. Or, le franchiseur possédait la nue-propriété de 34 % des actions, c’est-à-dire une minorité de blocage en pareil cas. La Cour d’appel avait estimé qu’une telle clause ne contrevenait « ni à la liberté du commerce, ni à la prohibition des ententes anticoncurrentielles ou des engagements perpétuels »271. Elle est censurée par la Cour de cassation faute d’avoir recherché « si cette disposition statutaire, considérée non pas seulement en elle-même, mais au regard des circonstances constituées par la minorité de blocage dont disposait la [filiale du franchiseur], n’avait pas pour objet ou pour effet de

268 C.A. Paris, 29 juin 1993, Lavidis c/ Promodes, JurisData n° 1995-021899.

269 B. Dondero, « Coup dur pour la franchise participative ! », note sous Cass. Com., 30 mai 2012, JCP E, 2012, 1641.

270 Cass. Com., 30 mai 2012, Sté Lioser c/ Sté ITM région parisienne, n° 11-18.024, JurisData n° 2012-011526, JCP E, 2012, 1641, note Dondero, D., 2012, p. 2717, note Constantin, D., 2013, p. 732, note Ferrier, JCP E, 2013, n° 15, p. 38, note Mainguy.

271 Ibid.

porter atteinte à la liberté contractuelle et de la concurrence »272. Même s’il est trop tôt pour le dire, cet arrêt pourrait bien ressembler à un arrêt de règlement, signant la mort de la franchise participative273 (à tout le moins lorsqu’elle est utilisée comme un moyen d’enfermement du franchisé dans le réseau), à l’instar de ce qu’avait pu décider la Cour de cassation pour les clauses d’enseigne.

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