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La protection du savoir-faire

B. La nécessaire protection de l’achalandage du franchiseur

2. La protection du savoir-faire

255. Le savoir-faire apparaît comme l’élément déterminant tant dans la réussite individuelle des franchisés que, plus largement dans celle du réseau. Il présente donc un caractère primordial du point de vue du franchiseur, dont il conditionne en grande partie l’activité (a). À ce titre, il peut légitimement apparaître comme le fondement le plus sûr – mais non absolu – des clauses restrictives de concurrence (b).

a. Le savoir-faire, élément principal du fonds de commerce du franchiseur

256. Le savoir-faire est généralement l’élément principal assurant au franchisé rejoi-gnant le réseau l’avantage concurrentiel pour lequel ce dernier est prêt à payer une redevance au franchiseur. Il est ainsi souvent perçu comme la cause de l’obligation du franchisé548. Dès lors, la divulgation du savoir-faire ou sa réutilisation par un ancien franchisé mettrait rapidement en péril l’activité du franchiseur. À ce titre, le savoir-faire est un élément incontournable qu’il convient de protéger. Il faut toutefois remarquer que la nature du savoir-faire diffère largement selon les contrats de franchise. Aussi, dans nombre de franchises de distribution, le risque de réutilisation du savoir-faire par l’ancien franchisé sera relativement mince, dans la mesure où le savoir-faire consistera principalement en un mode d’organisation performant tenant à l’organisation interne du réseau. Ainsi, quittant le réseau, le franchisé se privera automatiquement de ce savoir-faire, sans pouvoir l’utiliser à nouveau549.

257. Néanmoins, le savoir-faire, dans d’autres réseaux, sera constitué d’éléments plus facilement reproductibles. Y compris dans le cadre de franchises de distribu-tion, le savoir-faire peut principalement être constitué d’une sélection de produits à distribuer. S’il n’existe pas d’accord d’exclusivité, il sera facile à l’ancien franchisé de proposer des produits similaires à l’issue du contrat de franchise. Il en ira également ainsi des méthodes de commercialisation, qui seront elles plus facilement transposables et pourront éventuellement être réutilisées en dehors du réseau. Au-delà, le savoir-faire est susceptible de recouvrir des éléments tels qu’une ambiance, un agencement, ou un simple concept. Maître Hubert Bensoussan voit dans le fait que le savoir-faire soit souvent « un assemblage d’éléments qui, pris isolément, ne sont pas spécifiques »550

548 V., pour une illustration récente, Cass. Com., 14 septembre 2010, SARL Sun Bronzage c/ SA Alizes Diffusion, n° 09-17.079, JurisData n° 2010-020055, Cont. conc. consom., 2010, n° 12, p. 17, note Malaurie-Vignal ; ou encore C.A. Paris, 7 juin 2006, Sté Astarte c/ Daufouy, JurisData n° 2006-312420.

549 Jacques Raynard relève que l’« on a parfois raillé le savoir-faire délivré par les grandes enseignes de distribution alimentaire et qui tient davantage dans des moyens logistiques, systèmes d’approvisionnement de paiement et autres mis en place par le réseau au profit des franchisés que dans une bible porteuse de secrets commerciaux confidentiellement dispensés à ceux-là, en sorte que l’exploitation du magasin sous une enseigne concurrente commande nécessairement l’abandon du savoir-faire de l’enseigne éconduite » (J.

Raynard et al., « Technique contractuelle (chronique) », JCP E, 2005, 446, n° 9).

550 H. Bensoussan, « Les clauses restrictives de non-concurrence, vestige des temps anciens ? », in Nicolas Dissaux etRomain Loir, La protection du franchisé au début du XXIe siècle : entre réalités et illusions, L’Harmattan, 2009, p. 151.

l’une des « raisons non avouées »551 à l’insertion de clauses restrictives de concurrence postcontractuelles. L’auteur note que « seule la composante crée l’originalité »552. Cette constatation, pour pertinente qu’elle soit, ne remet cependant pas en cause l’exigence de protection du savoir-faire. Bien au contraire, l’absence d’originalité de chacun des éléments constitutifs du savoir-faire est de nature à renforcer cette exigence dans la mesure où la protection légale sera alors des plus lacunaires553. Si le savoir-faire semble donc incontestablement l’élément le plus digne de protection et, par conséquent, le plus à même de fonder l’insertion de clauses restrictives de concurrence, il n’en reste pas moins que cette justification demeure fragile.

b. Le savoir-faire, justification fragile des clauses restrictives de concurrence

258. La doctrine est unanime pour reconnaître au savoir-faire le rôle de fondement des clauses restrictives de concurrence. Il constitue d’ailleurs la véritable originalité du contrat de franchise au regard de la concurrence postcontractuelle. Néanmoins, il semble que ce fondement soit extrêmement fragile. Sans aborder la délicate ques-tion de la légitimité du franchiseur à protéger le savoir-faire par l’inserques-tion de clauses restrictives de concurrence, on peut s’interroger sur la réalité d’une telle protection.

En effet, la clause de non-concurrence sera nécessairement temporellement limitée, souvent à une durée inférieure ou égale à un an554. En quoi l’absence d’exploitation du fonds de commerce franchisé pendant une durée d’un an met-elle le franchiseur à l’abri d’un éventuel détournement de son savoir-faire ? La doctrine répond parfois que, dans la mesure où le savoir-faire est destiné à évoluer rapidement, cette période suffira à le rendre obsolète555. L’explication est certes intellectuellement fort séduisante.

Elle nous semble toutefois en décalage partiel avec la pratique. Il est peu probable que l’agencement des magasins ou plus encore les méthodes de gestion soient amenés à être totalement bouleversés en l’espace d’une année. Au surplus, si tel est le fondement de l’insertion de clauses restrictives de concurrence, celles-ci devraient être d’autant plus durables et drastiques que le savoir-faire se renouvelle lentement : la protection serait inversement proportionnelle à la valeur de l’intérêt protégé556.

259. Au-delà, lorsque l’ancien franchisé désire s’affilier à un réseau concurrent déjà largement organisé et structuré, on peut s’interroger sur les véritables risques pour

551 Ibid.

552 Ibid.

553 Sur cette question, v. infra n° 263 et s.

554 V. infra, n° 331.

555 François-Luc Simon expose ainsi que « pendant le délai d’interdiction de concurrence, le savoir-faire a en principe considérablement évolué » (F.-L. Simon, Théorie et pratique du droit de la franchise, Lextenso, 2009, n° 552).

556 Dans la mesure où l’une des principale qualités du savoir-faire (et des principales obligations du franchiseur) est l’actualisation du savoir-faire. V. notamment, D. Baschet, « Le savoir-faire dans le contrat de franchise », Gaz. Pal., 1994, p. 690 et s. ; F.-L. Simon, Théorie et pratique du droit de la franchise, Lextenso, 2009, n° 235 ou encore D. Ferrier, Droit de la distribution, 6 éd., Litec, 2012, n° 684.

le savoir-faire du franchiseur initial. Le réseau concurrent aura-t-il intérêt à modifier sa structure et son propre savoir-faire pour y incorporer tout ou partie de celui de la concurrence ? Aussi, paradoxalement, la réinstallation du franchiseur en tant que com-merçant individuel serait plus dangereuse que l’affiliation dans un réseau de franchise concurrent557.

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260. Le savoir-faire apparaît ainsi, comme le principal élément propre à fonder l’in-sertion de clauses restrictives de concurrence postcontractuelles. Il est en effet l’élément majeur du fonds de commerce du franchiseur, celui qui justifie son activité de tête de réseau et pourtant l’élément le plus volatil. Il semble toutefois que son rôle ait été quelque peu exagéré, peut-être du fait qu’il est le seul élément à pouvoir être identifié de façon satisfaisante comme l’objet des clauses restrictives de concurrence. Il nous semble donc incontestable qu’il est certes la justification des clauses restrictives de concurrence, sans pour autant que ce rôle puisse être généralisé ou systématisé.

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261. Aussi, après avoir passé en revue les motifs traditionnels assignés aux clauses restrictives de concurrence, la plupart se sont révélés purement artificiels ou inadap-tés aux problématiques spécifiques du contrat de franchise. En l’espèce, la clause ne peut – à notre sens – avoir pour autre finalité que celle de protéger l’achalandage du franchiseur, c’est-à-dire l’attractivité potentielle du réseau en tant qu’ensemble. Cette attractivité est principalement assurée par le savoir-faire et, de façon plus marginale par l’organisation interne du réseau. Seul l’attrait généré par ces différents éléments doit être protégé de la concurrence potentiellement nuisible d’un ancien franchisé.

262. L’objet des clauses restrictives de concurrence étant ainsi défini, il semble néces-saire de s’attacher à l’examen des raisons de leur stipulation. Il semble en effet que si des mécanismes contractuels de protection apparaissent nécessaires, ce n’est que dans la mesure où la protection de droit commun, légale, s’avère insuffisante.

557 La perception traditionnelle est pourtant inverse si l’on songe aux clauses de non-réaffiliation qui autorisent la réinstallation à titre isolée, tout en prohibant l’affiliation à un réseau concurrent.

ii. l

a justificationnégative

:

l

insuffisance Desmécanismes légauxDe protection

263. En dehors de toute stipulation contractuelle, la protection du savoir-faire, et plus largement des signes distinctifs du réseau peut être assurée par divers mécanismes légaux. Il convient dès lors d’étudier l’étendue de cette protection légale, laquelle déter-minera pour partie la nécessité de mécanismes contractuels spécifiques. Le droit com-paré offre en effet quelques exemples de législations prohibant catégoriquement toute clause de non-concurrence post-contractuelle558, ce qui ne pose pas grande difficulté en matière de contrat de franchise tant que le droit de la propriété intellectuelle, notam-ment, permet la protection des éléments attractifs de clientèle du réseau559.

264. La pertinence d’une restriction post-contractuelle de concurrence ne peut donc s’apprécier qu’à la mesure de l’efficacité ou de l’inefficacité des mécanismes de droit commun à protéger le réseau. Ces mécanismes sont, en France, de deux ordres. La régulation de la concurrence à l’issue des relations contractuelles peut ainsi être le fait du droit commun des obligations (A). Le franchiseur sera également protégé d’une concurrence excessive de son ancien franchisé par l’application du droit de la propriété intellectuelle à certains des éléments de son fonds de commerce (B).

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