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La nécessaire proportionnalité de l’engagement

B. Le contrôle de l’équilibre de l’engagement restrictif de concurrence

2. La nécessaire proportionnalité de l’engagement

336. La vérification de la proportionnalité de l’engagement de non-concurrence semble subir une mutation qui, quoique subtile, pourrait avoir d’importantes consé-quences pratiques. Ainsi, il est traditionnellement question de vérifier que les diffé-rentes limites assignées à l’obligation de non-concurrence sont celles strictement nécessaires à la préservation des intérêts légitimes du créancier (a). Une telle approche, que l’on pourrait qualifier d’objective, ne prend toutefois pas en compte les répercus-sions de cette obligation sur le débiteur. Aussi, serait-il peut-être plus juste de vérifier la proportionnalité de l’atteinte aux intérêts du débiteur au regard de ceux protégés par le créancier (b).

a. L’approche classique :

la proportionnalité de l’étendue de l’interdiction de concurrence aux intérêts protégés par le créancier

337. Traditionnellement connue du droit de la concurrence698, l’exigence de propor-tionnalité de la clause de non-concurrence paraît découler, en droit des contrats, de la notion de cause subjective699. Suivant l’idée que « la volonté ne doit être libre que dans la mesure où elle poursuit une fin sociale »700, la liberté de stipuler une clause restrictive de concurrence cède le pas dès que celle-ci n’est pas proportionnée aux intérêts légitimes poursuivis par le créancier. Il s’agit donc de mettre en balance la protection des inté-rêts du créancier et l’atteinte corrélative à ceux du débiteur. En matière de contrat de

697 Ibid.

698 La jurisprudence communautaire affirmait ce principe dès 1985 (CJCE, 28 janvier 1986, Pronuptia de Paris GmbH c/ Pronuptia de Paris Irmgard Schillgallis, n° 161/84). En droit interne des pratique anticoncurrentielles, cette exigence a été posée par un arrêt Cass. Com., 4 mai 1993, SA Rocamat c/

SA Sogepierre, n° 91-17.937 : Bull. civ. IV, n° 172, JCP G, 1993, II, 22111, note Boutard-Labarde, D., 1994, somm., p. 220, obs. Serra.

699 En ce sens, V. Y. Auguet, « Au nom de la cause ; vive la généralisation du critère de proportionnalité », note sous Cass. Civ. 1ère, 11 mai 1999, Dr. et patr., 2001, 9191, p. 33 et s. L’auteur estime que « La cause ne s’entend plus seulement de la causa proxima, la contrepartie dans les contrats synallagmatiques, mais les causae remotae y sont incluses. […] La convention restrictive de concurrence sera licite si, en plus d’une contrepartie à l’obligation du débiteur […], la fin poursuivie par le créancier de non-concurrence n’est pas illicite ». Dans le même sens, v. D. Mazeaud, note sous Cass. Civ. 1ère, 11 mai 1999, Defrénois, 1999, art. 37041. Cependant, on ne peut nier que l’idée de cause contrepartie n’est pas totalement absente du contrôle de proportionnalité, lequel vise avant tout la sauvegarde d’intérêts individuels.

Certains préfèreront le vocable de cause objective « subjectivisée », selon le processus bien connu, initié par l’arrêt Chronopost ainsi que le non moins célèbre arrêt « Point club vidéo » (en ce sens F.

Terré, P. Simler et Y. Lequette, Droit civil : Les obligations, 11e éd., Dalloz, 2013, n° 342 ; J.-P. Chazal,

« Théorie de la cause et justice contractuelle. À propos de l’arrêt Chronopost », note sous Cass. com., 22 octobre 1996, JCP G, 1998, I, 152 ; J. Moury, « Une embarrassante notion : l’économie du contrat », D., 2000, chron., p. 382).

700 J. Flour, J.-L. Aubert et E. Savaux, Les obligations : l’acte juridique, 15e éd., Tome 1, Sirey, 2012, n° 265.

franchise, la question peut donc être résumée en ces termes : l’intensité de la clause de non-concurrence est-elle proportionnée à l’intensité de la protection nécessitée par le savoir-faire du franchiseur ? Là où le critère d’opportunité pose la question de savoir si l’existence de la clause est strictement nécessaire à la protection des intérêts du franchi-seur, le critère de proportionnalité pose la question de savoir si l’intensité de la clause est strictement ajustée à la protection de ces mêmes intérêts.

338. Inutilité du contrôle de proportionnalité des limitations spatiales et tem-porelles. L’intérêt évident d’un tel critère est d’ajuster au mieux les limitations de la clause à ce qui est justifié par la protection du savoir-faire du franchiseur : l’intérêt légitime « sert de mesure à la dimension de l’obligation »701. Le critère de proportion-nalité permet ainsi de contrecarrer le caractère quelque peu formaliste et artificiel de l’exigence de limitations de la clause. Toutefois, l’intérêt d’une telle analyse nous paraît moindre en matière de contrat de franchise qu’en d’autres matières. Nous avons en effet tenté de démontrer que l’attractivité du droit communautaire tendait progressi-vement à aligner par le haut les exigences de limitations, si bien que la majorité des clauses de non-concurrence sont, de fait, limitées aux locaux objet de la franchise et à une durée d’un an702. Or, il est relativement difficile de concevoir une clause de non-concurrence dont les limitations seraient plus étroites encore. Cela apparaît impossible en matière de limitation spatiale (quelle limitation dans l’espace plus restrictive que les seuls locaux objet de la franchise ?) et quelque peu artificiel en matière de limitation temporelle (peut-on raisonnablement imaginer une clause de non-concurrence dont les effets seraient limités à quelques mois ?). Aussi, le critère de proportionnalité appa-raît pris en tenaille entre d’un côté une exigence de limitation particulièrement forte et bien assimilée par la pratique et de l’autre le contrôle de l’opportunité de la clause. Car, il faut bien admettre en effet que si une clause ainsi limitée apparaissait disproportion-née à la protection des intérêts légitimes du franchiseur, c’est probablement au-delà sa nécessité même qui devrait être discutée. Il n’est d’ailleurs pas anodin de constater que les règlements européens d’exemptions ne connaissent pas, à proprement parler, de critère de proportionnalité703, mais se satisfont au contraire d’une présomption irréfra-gable de proportionnalité des clauses indispensables et limitées704.

701 M. Gomy, Essai sur l’équilibre de la convention de non-concurrence, Presses universitaires de Perpignan, 1999, n° 262.

702 V. supra, n° 332.

703 Bien évidemment, même si le terme n’apparaît pas explicitement dans le règlement, l’idée est bel et bien présente dans la mesure où l’interdiction doit être ajustée à ce qui est strictement indispensable à la protection des intérêts du franchiseur. En outre, la jurisprudence européenne a, de longue date, consacré l’idée d’un ajustement des limites de la clause aux intérêts protégés (v. notamment Comm.

CE, 26 juillet 1976, Reuter/BASF, n° IV/28.996 : JOCE, n° L 254 du 17/09/1976, p. 40).

704 Une décision relativement ancienne avait d’ailleurs pu estimer que, dans l’hypothèse où une clause n’est pas conforme aux prescriptions du règlement d’exemption en matière de limitation spatio-temporelle, il convient simplement d’en réduire l’étendue conventionnellement prévue par les parties.

Audacieuse et s’affranchissant quelque peu de la force obligatoire du contrat, une telle solution a toutefois le mérite de montrer la vigueur du concept de réfaction en matière commerciale (Y. Serra,

« La clientèle », Dr. et patr., 1996, doctr., p. 64).

339. Comprise de la sorte, l’exigence de proportionnalité ne nous paraît devoir, de fait, être cantonnée aux situations ne ressortissant pas du champ d’application du droit européen et où, les parties sont donc – en théorie du moins – libres de définir l’étendue de la clause sans plafond imposé. Il nous semble toutefois possible d’avoir une compré-hension légèrement différente de l’exigence de proportionnalité qui serait susceptible d’en restaurer l’utilité, y compris dans les situations où l’étendue de la clause est d’ores et déjà fixée de façon relativement restreinte.

b. Une approche renouvelée :

la proportionnalité de l’atteinte aux intérêts du débiteur par rapport aux intérêts protégés par le créancier ?

340. Appréciation in concreto de la proportionnalité. Il ne nous paraît pas impos-sible de considérer que la balance doive être faite non point entre les intérêts protégés par le créancier et l’intensité de la clause, mais entre les intérêts protégés par le créan-cier et ceux sacrifiés par le débiteur. Une telle analyse conduit à passer d’une appré-ciation in abstracto de la proportionnalité de la clause à une appréappré-ciation in concreto.

La conception actuelle de la proportionnalité revient à se demander si l’étendue de la clause peut être jugée raisonnable compte tenu des éléments qu’elle entend protéger.

En somme, il convient de se demander si le franchiseur a agi en « bon père de famille » en n’imposant pas à son franchisé une clause qui apparaîtrait démesurée au regard de ce qui est nécessaire. Une appréciation in concreto amènerait à s’interroger sur la propor-tionnalité des effets de cette clause au regard de la situation particulière du franchisé.

Car, comme le remarque fort justement un auteur, l’acception actuelle du critère de proportionnalité conduit à admettre qu’« une obligation même strictement proportionnée aux intérêts du créancier peut placer le débiteur dans l’impossibilité d’exercer normalement l’activité qui lui est propre »705. En matière de franchise, cela ne signifie ni plus ni moins qu’une clause de non-concurrence peut être proportionnée, bien que privant de fait le franchisé de son fonds de commerce, voire de la possibilité de toute continuation de son activité. Or, quelle qu’en soit l’intensité, la protection d’un savoir-faire est-elle de nature à justifier une atteinte au droit de propriété ? Ne pourrait-on pas, en pareil cas, considérer que l’atteinte aux intérêts du franchisé apparaît, de facto, disproportionnée au but poursuivi par le franchiseur ? Yves Serra soulevait déjà cette question en 1991 en d’autres termes : « il est possible de s’interroger sur la légitimité d’une clause de non-concurrence lorsque l’intérêt légitime de son créancier vient heurter un intérêt non moins légitime du débiteur de non-concurrence »706.

341. Ce raisonnement est celui de certains plaideurs qui ont directement sollicité la haute juridiction sur ce point de droit. Ainsi, un pourvoi ayant donné lieu à un arrêt récent défend l’idée selon laquelle « la cour, qui a déclaré valable la clause de

705 Y. Auguet, « Au nom de la cause ; vive la généralisation du critère de proportionnalité », note sous Cass. Civ. 1ère, 11 mai 1999, Dr. et patr., 2001, 9191, p. 33 et s.

706 Y. Serra, La non-concurrence en matière commerciale, sociale et civile, Dalloz, 1991, n° 197. Selon nous, le critère de proportionnalité peut parfaitement servir à faire la balance entre ces deux « intérêts légitimes ».

non-concurrence postcontractuelle […], quand elle aboutissait purement et simplement à interdire à la société Perrosdis [franchisé] de se rétablir dans son fonds de commerce pendant un an, a violé l’article 1134 du Code civil »707, une telle clause n’étant, par nature, pas proportionnée. Si l’arrêt d’appel est cassé par la Cour de cassation, il l’est principa-lement – et de façon fort contestable708 – sur le fondement du règlement européen, si bien qu’il est difficile d’affirmer que les hauts magistrats ont entendu valider ce raisonnement. D’autres décisions semblent plus clairement favorables à une concep-tion pragmatique de l’exigence de proporconcep-tionnalité qui ne servirait pas seulement de variable d’ajustement aux limitations spatio-temporelle, mais serait érigée en véritable arbitre des intérêts opposés du franchiseur et du franchisé.

342. Contrôle de l’équilibre entre protection du réseau et liberté d’entreprendre du franchisé. À cet égard, un arrêt du 12 mars 2002 s’avère particulièrement signi-ficatif. Pourtant, l’attendu de principe en est des plus sibyllins : « ayant relevé que la clause de non-concurrence faisait interdiction à la société Nicolas de collaborer directement ou indirectement à un commerce de même nature sur le territoire de la Communauté européenne pendant une durée de deux ans, la cour d’appel, qui n’avait pas à effectuer une recherche qui ne lui était pas demandée, a, abstraction faite du motif surabondant criti-qué à la seconde branche, pu décider que cette clause n’était pas proportionnée à l’objet du contrat et prononcer son annulation »709. En somme, la limitation de la clause n’emporte pas nécessairement sa proportionnalité. Il n’y a là rien de bien nouveau. Bien plus inté-ressante est en revanche la motivation des magistrats de la Cour d’appel de Toulouse dont la Cour de cassation valide le raisonnement. L’arrêt d’appel motive la nullité de la clause en ces termes « il apparaît que cette clause n’est pas proportionnée à l’objet du contrat de franchise et ne satisfait pas l’équilibre à maintenir entre la protection de la clien-tèle du franchiseur et la liberté d’entreprendre [du franchisé] »710. Sont alors clairement identifiés les deux plateaux de la balance à l’aune de laquelle la proportionnalité d’une clause de non-concurrence doit être étudiée : intérêts du créancier d’un côté, intérêts du débiteur de l’autre.

343. La différence de cette approche avec celle que nous avons pu qualifier précé-demment de classique peut, de prime abord, sembler assez artificielle. Car il est bien vrai que, derrière la proportionnalité des limitations spatio-temporelles, il ne se cache rien d’autre que la proportionnalité de l’atteinte aux intérêts du franchisé. Il nous apparaît cependant que la nuance est plus que sémantique. Elle emporte, à notre avis, diverses conséquences d’importance. La plus évidente – qui a déjà été développée – est

707 Cass. Com., 9 juin 2009, Sté Perrosdis c/ Sté Casino Distribution France, n° 08-14.301, LPA, 2010, n° 2, p. 11, note Dissaux, RDC, 2010, n° 3, p. 921, note Behar-Touchais, Cont. conc. consom., 2009, comm. 221, note Malaurie-Vignal.

708 En ce sens, v. N. Dissaux, « La validité d’une clause de non-concurrence au regard du droit communautaire », note sous Cass. Com., 9 juin 2009, LPA, 2010, 22, p. 11.

709 Cass. Com., 12 mars 2002, Sté Troc de l’Ile c/ Sté Nicolas, n° 99-14.762, JurisData n° 2002-013658 : Inédit.

710 C.A. Toulouse, 1er mars 1999, Sté Troc de l’Ile c/ Sté Nicolas, JurisData n° 1999-040352.

qu’une clause peut être limitée dans le temps et dans l’espace de façon proportionnée aux intérêts protégés sans pour autant que ses effets ne soient proportionnés à ces mêmes intérêts. Au-delà, une approche in concreto de la proportionnalité de la clause aboutit nécessairement à déplacer le moment d’appréciation de cette condition du moment de la conclusion de la clause, à celui de son exécution. Or, la Cour de cassa-tion se montre tradicassa-tionnellement sensible à cette approche qui impose par exemple de prendre en cause la durée des relations contractuelles dans l’examen de la proportion-nalité711. Mais bien d’autres paramètres sont encore susceptibles d’affecter l’équilibre de la clause entre le moment de sa rédaction et celui de son éventuelle exécution. Pour Monsieur le Professeur Yvan Auguet, il peut s’agir tant de la prise de nouvelles fonc-tions pour un salarié, que de l’apparition de nouvelles technologies rendant désuet le savoir-faire en matière de franchise712. On pourrait y ajouter encore d’autres éléments susceptibles de modifier les conséquences de la clause du point de vue du franchisé : modification du marché, évolution des techniques de commercialisation, recentrage de l’activité du réseau, etc. Bien évidemment, si une telle appréciation gagne en précision et en justesse d’analyse, elle ne ménage pas plus la sécurité juridique que les principes classiques du droit des obligations713. On objectera cependant que de tels raisonne-ments existent déjà au sein même du droit civil, notamment en matière de cautionne-ment714. De là à dire que toute clause restrictive de concurrence privant le franchisé de son fonds de commerce est nécessairement disproportionnée au but poursuivi, il n’y a qu’un pas715

711 En ce sens, v. déjà Cass. Civ. 1ère, 11 mai 1999, Guinot c/ Villeneuve & Burel, n° 97-14.493, Defrénois, 1999, art. 37041, note Mazeaud, Dr. et patr., 2001, n° 91, p. 33, note Auguet, D., 1999, p. 385, LPA, 2000, n° 158, p. 4 et s. Ce type d’approche est encouragé par la doctrine depuis la fin des années 1990 : P. d’Harcourt, « Nouveau paramètre d’appréciation de la validité d’une clause de non-concurrence : la durée d’exécution du contrat ? », JCP E, 1996, panorama, p. 54.

712 Y. Auguet, « Au nom de la cause ; vive la généralisation du critère de proportionnalité », note sous Cass. Civ. 1ère, 11 mai 1999, Dr. et patr., 2001, 9191, p. 33 et s.

713 Il est en effet, par conséquent, impossible de savoir au moment de sa rédaction si une clause sera ou non proportionnée au moment de sa mise en œuvre. Par conséquent, la validité de l’acte dépend, non pas des conditions de sa formation, mais de celles de son exécution.

714 V. sur la question de la proportionnalité de l’engagement de la caution l’arrêt fondateur Cass. Com., 17 juin 1997, Macron c/ Banque internationale pour l’Afrique occidentale et autres, n° 95-14.105, JCP E, 1997, II, 1007, D., 1997, I.R., p. 165, Gaz. Pal., 1998, n° 102-106, p. 84. Il semble toutefois qu’en la matière, la disproportion doive s’apprécier au moment de la conclusion du contrat. Néanmoins le Code de la consommation, s’il situe également l’appréciation de la disproportion au moment de la formation du contrat, réserve le cas d’un retour postérieur à meilleure fortune (articles L. 313-10 et L. 341-4 du Code de la consommation).

715 Pas que la Cour de cassation se refuse cependant pour l’instant à franchir. V. par exemple Cass. Com., 7 janvier 2004, Sté Pluri Publi c/ Sté GPPA, n° 02-17.091, JurisData n° 2004-021757, Contrats, conc. consom., 2004, comm. 77, note Malaurie-Vignal, D., 2005, p. 152, obs. Ferrier où la Cour de cassation censure une Cour d’appel qui, pour annuler une clause de non-concurrence, relevait que celle-ci aboutissait « à une véritable interdiction de l’activité puisqu’il est désormais interdit au franchisé […] d’employer certaines méthodes […] indispensables à la poursuite [de son] activité et que leur interdiction ne peut que conduire à la disparition de l’entreprise ».

Dans le même sens, v. A. Riéra, « Validité des clauses de non-concurrence insérées dans les contrats de franchise », note sous Cass. Com., 24 novembre 2009, Rev. Lamy. conc., 2010, 2323, p. 39.

344. Nécessaire disproportion de la clause privant le franchisé de son fonds de commerce. Ce pas nous semble avoir été franchi par un arrêt du 18 décembre 2012 rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation. Le litige portait en l’espèce sur une clause de non-réaffiliation insérée dans le contrat de franchise d’une supé-rette alimentaire. La Cour d’appel de Rouen, statuant sur renvoi après cassation, avait annulé la clause estimant que celle-ci aboutissait à priver le franchisé de son fonds de commerce. La Cour de cassation approuve ce raisonnement. Elle fait sienne la motivation des magistrats rouennais qui avaient estimé que « l’activité de distribution alimentaire de proximité s’exerce de manière quasi systématique dans le cadre de réseaux de franchise organisés et avec des enseignes de renommée nationale ou régionale »716 ce qui impliquait que « la clause, qui emportait interdiction de s’affilier à une enseigne de renommée nationale ou régionale et de vendre des produits dont les marques sont liées à ces enseignes, pendant un an et dans un rayon de cinq kilomètres, mettait les ex-franchisés, pri-vés dans leur secteur d’activité du support d’un réseau structuré d’approvisionnement, dans l’impossibilité de poursuivre, dans des conditions économiquement rentables, l’exploitation de leur fonds de commerce »717. Une telle clause n’est dès lors pas proportionnée aux intérêts légitimes du franchiseur et doit être annulée. Que compare-t-on ici si ce n’est l’atteinte aux intérêts du franchisé (c’est-à-dire l’impossibilité d’exploiter son fonds de commerce) aux intérêts protégés par le franchiseur (que la Cour d’appel n’hésite pas à qualifier de « savoir-faire professionnel indéniable ») ?

345. Certes, les juges du fond conservent un large pouvoir d’appréciation s’agissant de la notion de proportionnalité, sur laquelle la cour régulatrice n’exerce ici qu’un contrôle léger718. La portée de l’arrêt – certes non publié – ne nous semble pas moins importante. Quelle juridiction osera désormais affirmer la proportionnalité d’une clause qui aboutit à une véritable dépossession du franchisé ? Si le savoir-faire d’une grande enseigne de distribution ne peut légitimer une telle atteinte, dans quel cas celle-ci sera-t-elle légale ? Sans doute l’arrêt du 18 décembre 2012 est bien davantage qu’un arrêt d’espèce. Comme a pu le soutenir une plume autorisée, à tout le moins dans le domaine spécifique de la distribution alimentaire, « la clause de non-réaffiliation est tout simplement éradiquée »719 par l’arrêt. On ajoutera que la clause de non-concurrence l’est a fortiori également. Et il ne faudra pas une audace démesurée pour avancer que la solution affirmée ici en matière de distribution alimentaire peut sans doute être éten-due à de nombreux secteurs dans lesquels il est tout aussi difficile de poursuivre, dans

345. Certes, les juges du fond conservent un large pouvoir d’appréciation s’agissant de la notion de proportionnalité, sur laquelle la cour régulatrice n’exerce ici qu’un contrôle léger718. La portée de l’arrêt – certes non publié – ne nous semble pas moins importante. Quelle juridiction osera désormais affirmer la proportionnalité d’une clause qui aboutit à une véritable dépossession du franchisé ? Si le savoir-faire d’une grande enseigne de distribution ne peut légitimer une telle atteinte, dans quel cas celle-ci sera-t-elle légale ? Sans doute l’arrêt du 18 décembre 2012 est bien davantage qu’un arrêt d’espèce. Comme a pu le soutenir une plume autorisée, à tout le moins dans le domaine spécifique de la distribution alimentaire, « la clause de non-réaffiliation est tout simplement éradiquée »719 par l’arrêt. On ajoutera que la clause de non-concurrence l’est a fortiori également. Et il ne faudra pas une audace démesurée pour avancer que la solution affirmée ici en matière de distribution alimentaire peut sans doute être éten-due à de nombreux secteurs dans lesquels il est tout aussi difficile de poursuivre, dans

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