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L’application du droit du travail,

par le Droit De la concurrence

A. Les prix imposés comme remise en question du régime juridique du contrat de franchise

2. L’application du droit du travail,

conséquence de la requalification du contrat

134. Les prix imposés, critère non exclusif de la requalification en contrat de travail. L’article L. 7321-2 du Code du travail permet en somme au droit du travail d’appréhender la subordination économique du franchisé, sans qu’il soit nécessaire de démontrer une subordination juridique. La pratique des prix imposés est ainsi un signe évident du manque d’autonomie économique du franchisé. La requalification du contrat de franchise en contrat de travail implique, à l’inverse, la démonstration d’une véritable subordination juridique, dont les critères sont évidemment plus stricts que ceux requis par l’article L. 7321-2 du Code du travail308. Il n’en reste pas moins que, même dans ce cadre, la pratique des prix imposés exerce une influence notable sur le sort réservé au contrat de franchise par le droit du travail (a). La place de ce critère est cependant plus modeste que ce qu’elle peut avoir dans le cadre de l’application de l’article L. 7321-2, les requalifications en contrat de travail demeurant l’exception (b).

a. La pratique de prix imposés, condition nécessaire à la reconnaissance d’un lien de subordination

135. Par application de l’article L. 8221-6, I du Code du travail, le franchisé, per-sonne physique ou morale immatriculée au registre du commerce et des sociétés, béné-ficie d’une présomption simple de non-salariat. Toutefois, le même texte en son II prend soin de préciser que « l’existence d’un contrat de travail peut toutefois être établie lorsque les personnes mentionnées au I fournissent directement ou par une personne inter-posée des prestations à un donneur d’ordre dans des conditions qui les placent dans un lien de subordination juridique permanente à l’égard de celui-ci »309. En pareil cas, au-delà des conséquences sur le plan du droit social, une telle requalification fait également encourir au franchiseur des sanctions pénales sur le fondement du délit de dissimula-tion d’emploi salarié310.

136. Pour obtenir cette requalification, il appartient au franchisé de démontrer la réunion du triptyque classique exigé par la Cour de cassation afin de caractériser l’exis-tence d’une relation de travail : l’exisl’exis-tence au profit du franchiseur d’un pouvoir de

308 Une jurisprudence ancienne précise à cet égard que « la condition juridique d’un travailleur à l’égard de la personne pour laquelle il travaille ne saurait être déterminée par la faiblesse ou la dépendance économique dudit travailleur et ne peut résulter que du contrat conclu entre les parties » (Cass. Soc., 6 juillet 1931, D., 1931, 1, 131).

309 Article L. 8221-6 du Code du travail modifié par la loi n° 2011-1906 du 21 décembre 2011.

310 Prévu par l’article L. 8221-5 du Code du travail et réprimé aux articles L. 8224-1 et suivants du même code.

direction, de contrôle et de sanction311. La Cour de cassation opère un contrôle relati-vement strict quant à l’appréciation que font les juges du fond de ces critères. La cour régulatrice l’a fermement rappelé en 2007 en matière de franchise, censurant l’arrêt d’une Cour d’appel qui s’était contentée de relever que « les circonstances qui [avaient]

entouré l’entrée [du franchiseur] dans le fonds de commerce et la conclusion d’un contrat de franchisage révèlent une autorité hiérarchique, autrement dit un lien de subordination, qui relève du droit du travail et qui est encore accru par les conditions du contrat de franchise […], par lequel la société [franchiseur] assume de nombreuses tâches afférentes à l’exploi-tation du commerce »312. Tout est ici question d’appréciation, qui ne peut évidemment se faire que cas par cas, dans la mesure où tout contrat de franchise, de par la collabo-ration étroite qu’il implique, comporte nécessairement une dose de chacune des ces prérogatives au bénéfice de la tête de réseau. Celle-ci a même l’obligation d’exercer chacun de ces pouvoirs, afin de remplir le rôle qui est le sien du point de vue du droit de la distribution313. Ces exigences qui, de prime abord, pourraient sembler contradic-toires se retrouvent dans l’attitude que le franchiseur doit adopter eu égard aux prix pratiqués par ses franchisés. L’absence de tout contrôle peut s’avérer le révélateur d’un franchiseur peu soucieux de l’harmonie, de la cohésion et de l’efficacité de son réseau.

Un contrôle trop poussé sera à l’inverse considéré comme fautif au regard des règles du droit de la concurrence et du droit social. Maître François-Luc Simon propose ainsi de distinguer trois situations, lesquelles sont susceptibles de constituer autant d’indices dans le faisceau de présomptions que rechercheront les juges du fond pour caractériser une éventuelle subordination314. Ainsi, la liberté de fixer ses propres prix, ou à tout le moins de fixer des prix plus bas que ceux conseillés par le franchiseur est a priori exclu-sive de tout lien de subordination et donc de tout contrat de travail315.

137. Jurisprudence « France Acheminement ». À l’inverse, une intrusion mani-feste du franchiseur dans la fixation des prix du franchisé est évidemment de nature à faire planer la suspicion sur la nature de la relation les unissant316. La société France Acheminement en a fait les frais, ses 200 pseudo-franchisés ayant sollicité et obtenu la requalification de leurs contrats, la conduisant inévitablement à la liquidation judi-ciaire. Un arrêt de la Cour d’appel de Douai, statuant en matière correctionnelle sur le délit de travail dissimulé qui était reproché à cette société, relève notamment qu’« il ressort des déclarations du responsable commercial de la société France Acheminement que

311 Cass. Soc., 13 novembre 1996, Société Générale c/ URSSAF, n° 94-13.187, JCP G, 1997, IV, 549, JCP E, 1997, I, 20, D., 1996, I.R., n° 44.

312 Cass. Soc., 22 mars 2007, Prodim c/ Leroy, n° 05-45.434, JurisData n° 2007-038157.

313 Le franchiseur a ainsi l’obligation de fournir un savoir-faire à ses franchisés et s’assurer de la bonne mise en œuvre de ce dernier, ce qui implique nécessairement une forme de pouvoir de direction, de contrôle et de sanction.

314 Le franchisé peut ainsi jouir d’une liberté totale quant aux prix, signe d’une grande indépendance ; se voir imposer des prix maximum, ce qui entre dans le cadre du contrôle normal auquel le franchiseur est obligé ; ou être soumis à des prix imposés, ce qui constitue un indice de subordination juridique (F.-L. Simon, Théorie et pratique du droit de la franchise, Lextenso, 2009, n° 54).

315 C.A. Dijon, 30 juin 2005, Poyard c/ Phildar, JurisData n° 2005-283427.

316 V. notamment C.A. Paris, 19 novembre 1997, Sté Gelor c/ Lamour, JurisData n° 1997-024318.

la politique des prix était imposée par celle-ci, et qu’il était chargé, à cet effet, d’établir les contrats et de fixer les tarifs ; qu’il a même précisé avoir été ‘montré du doigt’ par sa direc-tion parce qu’il avait pris habitude lors des négociadirec-tions de faire participer le franchisé »317. Cette situation extrême amène la Cour à conclure que le franchisé avait ainsi perdu toute autonomie, lui retirait toute initiative pour développer une clientèle, et le plaçait sous un lien de subordination vis-à-vis du franchiseur. De façon certes moins détaillée, la Cour prend en outre la précaution de relever que le secteur d’activité du « franchisé » était également contraint par le franchiseur. En effet, et de façon fort logique, la seule pratique de prix imposés ne suffit en principe pas à caractériser l’existence d’un lien de subordination, cette pratique devant être étayée par d’autres indices318.

b. La pratique de prix imposés, condition insuffisante à la reconnaissance d’un lien de subordination

138. Sanction marginale. Si le contentieux concernant la requalification des contrats de franchise en contrat de travail est relativement abondant, les actions cou-ronnées de succès sont quant à elles beaucoup plus rares. Si la question de la fixation automne des prix revêt une importance particulière aux yeux des juges pour caracté-riser une relation de subordination, elle n’en demeure pas moins un élément parmi d’autres, la technique utilisée étant celle du faisceau d’indices319. Il convient également de s’attacher aux modalités de fixation des horaires320 et des lieux de vente321, à la liberté de déterminer les marchandises proposées322, à la faculté de nouer une relation directe avec la clientèle323, à la présence au contrat d’un chiffre d’affaires minimum imposé324, à la latitude donnée pour embaucher du personnel325, etc. Finalement, droit du tra-vail et droit de la concurrence semblent se rejoindre autour d’une idée maîtresse : les restrictions à l’indépendance du franchisé doivent être réduites à celles qui peuvent être considérées comme strictement nécessaires pour la préservation du savoir-faire transmis326. La jurisprudence se fonde parfois sur le caractère « anormal » des restric-tions à l’indépendance du franchisé pour justifier sa soumission au droit du travail327.

317 C.A. Douai, 23 novembre 2006, Platet c/ Ministère Public, JurisData n° 2006-325137.

318 C.A. Pau, 26 juillet 2000, France Acheminement c/ CPAM, JurisData n° 2000-130666.

319 On pourra utilement se référer à la motivation d’un arrêt de la Cour d’appel de Paris qui prend un soin particulier à établir la réunion du triptyque exigé par la Cour de cassation pour caractériser le lien de subordination du franchisé (C.A. Paris, 19 novembre 1997, Sté Gelor c/ Lamour, JurisData n° 1997-024318).

320 C.A. Pau, 26 juillet 2000, France Acheminement c/ CPAM, JurisData n° 2000-130666 ; C.A. Douai, 23 novembre 2006, Platet c/ Ministère Public, JurisData n° 2006-325137 ; C.A. Toulouse, 13 octobre 2006, Compain c/ France Acheminement, JurisData n° 2006-327205.

321 C.A. Dijon, 30 juin 2005, Poyard c/ Phildar, JurisData n° 2005-283427.

322 Ibid.

323 C.A. Pau, 26 juillet 2000, France Acheminement c/ CPAM, JurisData n° 2000-130666 ; C.A. Douai, 23 novembre 2006, Platet c/ Ministère Public, JurisData n° 2006-325137.

324 C.A. Dijon, 30 juin 2005, Poyard c/ Phildar, JurisData n° 2005-283427.

325 Ibid.

326 En ce sens, F.-L. Simon, Théorie et pratique du droit de la franchise, Lextenso, 2009, n° 56. V. également M. Behar-Touchais et G. Virassamy, Les contrats de la distribution, L.G.D.J., 1999, n° 426.

327 C.A. Rennes, 23 février 2010, SAS Fiventis c/ Brasset, n° 08/08973 et 08/08350 : Inédit.

On observe ainsi une étonnante convergence entre deux branches du droit, le droit du travail et le droit de la concurrence, que rien pourtant ne semble réunir.

B. Les prix imposés comme remise en question

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