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des stipulations contractuelles relatives à l’après-contrat

222. La rupture des relations contractuelles signe nécessairement la fin du devoir de collaboration qui présidait à l’exécution du contrat de franchise469. Le franchisé, retrou-vant son indépendance, tant vis-à-vis du franchiseur que de l’ensemble du réseau, est promis à en devenir le concurrent. Bien évidemment, cette concurrence ne peut être appréhendée comme une concurrence classique, entre deux opérateurs économiques parfaitement distincts. Au contraire, l’ancien franchisé présentera, à l’égard du réseau, une dangerosité d’autant plus grande qu’intense et durable aura été la collaboration des parties durant l’exécution du contrat. En toute rigueur néanmoins, il est impossible d’affirmer que franchiseur et franchisé sont placés dans une situation de concurrence : l’activité du franchiseur consiste à promouvoir son réseau, lorsque le franchisé est en prise directe avec la clientèle de consommateurs470. C’est donc au travers du réseau que la concurrence de l’ancien franchisé doit être observée : dangereuse pour le réseau, elle l’est pour le franchiseur dont le réseau est un élément patrimonial important. Le droit de la concurrence, dont la fonction est certes de préserver la concurrence, mais encore de s’assurer que celle-ci demeure loyale471, aura donc la délicate tâche de préserver le subtil équilibre entre liberté du franchisé et protection du réseau472.

469 Sur cette notion, v. n° 271 et s.

470 Sur la distinction des clientèles du franchisé et du franchiseur, v. infra n° 232 et s.

471 En ce sens, v. notamment Y. Picod, Y. Auguet et N. Dorandeu, « Concurrence déloyale », in Rép. com.

Dalloz, 2010, n° 10 et s.

472 Sur cette question, v. M. Gomy, Essai sur l’équilibre de la convention de non-concurrence, Presses universitaires de Perpignan, 1999

223. Clauses de non-concurrence et clauses de non-réaffiliation. Le droit de la concurrence déloyale est le vecteur naturel de cet équilibre. Toutefois, la protection du réseau passe inévitablement, en l’absence de toute obligation de non-concurrence de plein droit473, par la stipulation au profit du franchiseur de clauses de non-concur-rence. Ces clauses ont pu être définies comme celles imposant « à une personne – le débiteur de non-concurrence – de s’abstenir de faire concurrence, dans le cadre d’une acti-vité professionnelle, à une autre personne – le créancier de non-concurrence –, et cela, par exception au principe de la liberté de la concurrence »474. La pratique, principalement en matière de franchise, a toutefois créé des clauses voisines qui, si elles ne répondent pas à cette définition, ont des effets très proches de l’obligation de non-concurrence. C’est ainsi que, là où la clause de non-concurrence « impose de ne pas pratiquer une activité identique »475, l’obligation de non-réaffiliation « impose au franchisé, après la rupture des relations contractuelles, de ne pas s’affilier à un réseau concurrent »476. Si, dans les deux cas, le franchisé est tenu d’une obligation de ne pas faire, son objet est donc différent : ne pas exercer une activité similaire à celle précédemment exercée dans le cadre de la franchise ou ne pas exercer une telle activité par affiliation à un réseau concurrent.

On le comprend ainsi aisément, la clause de non-réaffiliation est donc moins sévère à l’égard du franchisé, qui conserve ainsi la possibilité de continuer à exercer son activité, notamment à titre indépendant et individuel.

224. Contrôle strict de la qualification. Les deux notions sont donc bien délimi-tées, et la Cour de cassation veille à l’exacte qualification de ces clauses par les juridic-tions du fond. Ainsi, par un arrêt du 28 septembre 2010, la Haute juridiction a-t-elle eu l’occasion de rappeler clairement dans un attendu en forme de chapeau que « la clause de non-concurrence a pour objet de limiter l’exercice par le franchisé d’une activité similaire ou analogue à celle du réseau qu’il quitte, tandis que la clause de non-réaffiliation se borne à restreindre sa liberté d’affiliation à un autre réseau »477. La Cour d’appel de Caen qui avait imprudemment qualifié une clause de non-réaffiliation de clause de non-concurrence se voit alors censurée au motif de dénaturation. Cette distinction n’est naturellement pas nouvelle en jurisprudence, et d’autres arrêts des juges du fond avaient déjà pu affirmer la singularité de la clause de non-réaffiliation478. Un courant doctrinal est également favorable à un tel distinguo479.

473 V. supra, n° 196 et s.

474 Y. Picod, Y. Auguet et M. Gomy, « Concurrence (Obligation de non-) », in Rép. com. Dalloz, 2009, n° 1.

475 Ibid., n° 22.

476 Ibid.

477 Y. Serra, « La validité de la clause de non-concurrence (De la vente du fonds de commerce au contrat de franchise) », D., 1987, chron., p. 113 et s.

478 J. Raynaud, « Propriété commerciale et statut des baux commerciaux : la franchise sort du coma », AJDI, 2001, p. 581 ; T. Revet, « Rupture des contrats de dépendance et rupture du contrat de travail », Revue juridique d’Ile-de-France, 1996, no 1, p. 195 et s.

479 P. Le Tourneau et M. Zoïa, « Franchisage - Franchisage dans le domaine des services - Le franchiseur et le franchisé », Fascicule n° 1050, in J.-Cl. Contrats - Distribution, 2008, n° 178 ; H. Bensoussan, « La clientèle « au » franchisé, facteur d’illégitimité de la clause de non-rétablissement », D., 2001, p. 2498.

225. Identité de régime. Il faut toutefois bien remarquer qu’à l’idéalisme et à la pureté des classifications et des notions, succède une approche pragmatique et réaliste dans l’application du régime juridique des deux clauses480. Symptomatique en est un arrêt du 18 décembre 2012, rendu dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 28 sep-tembre 2010 par lequel la Cour de cassation avait clairement affirmé l’indépendance des deux notions. La Cour d’appel de renvoi avait cette fois pris soin de qualifier correctement la clause. La clause de non-réaffiliation dûment identifiée se voyait tou-tefois appliquer en tout point le régime de la clause de non-concurrence : la Cour de cassation n’y voit rien à redire et approuve le raisonnement des juges du fond. Ainsi que l’a relevé un auteur, l’arrêt du 28 septembre 2010 était donc essentiellement une

« question de mots »,481 car, sur le fond, le raisonnement des deux cours d’appel est stric-tement identique. La première ayant baptisé la clause de clause de non-concurrence est censurée, la cour d’appel de renvoi ayant correctement employé le vocable de clause de non-réaffiliation voit sa décision approuvée. « La pureté des qualifications est peut-être à ce prix », soupire le Professeur Nicolas Dissaux. En bref, malgré la distinction des notions, le régime juridique des clauses de non-concurrence et des clauses de non-réaf-filiation est en tout point le même.

226. Une telle solution doit, à notre sens, être approuvée, et plus encore dans le domaine spécifique du contrat de franchise. Il convient tout d’abord de remarquer que, dans bien des secteurs, l’interdiction de réaffiliation produit – d’un point de vue économique – les mêmes effets qu’une interdiction pure et simple de concurrence.

Ainsi que l’a remarqué la Cour d’appel de Rouen en matière de distribution alimen-taire, l’interdiction « de s’affilier à une enseigne de renommée nationale ou régionale et de vendre des produits dont les marques sont liées à ces enseignes […] [met] les ex-franchisés, privés dans leur secteur d’activité du support d’un réseau structuré d’approvisionnement, dans l’impossibilité de poursuivre, dans des conditions économiquement rentables, l’exploi-tation de leur fonds de commerce »482. Preuve de l’importance du contrat de franchise, certaines activités ne peuvent, aujourd’hui, être exercées de façon rentable hors l’inté-gration à un réseau. Cette affirmation ne peut cependant être généralisée : dans certains secteurs, l’interdiction de réaffiliation s’avérera relativement clémente pour le franchisé qui pourra parfaitement poursuivre son exploitation à titre individuel483. Remarquer la moindre sévérité de la clause de non-réaffiliation doit-il conduire à modifier les cri-tères d’appréciation de sa validité ? Certains semblent le penser484. Telle n’est pas notre opinion. Bien au contraire, c’est dans le cadre de l’appréciation de la proportionnalité de la clause de non-réaffiliation que ce moindre impact pourra être pris en compte.

480 En ce sens, v. N. Dissaux, « Réalisme et idéalisme dans l’appréciation de la validité d’une clause de non-réaffiliation », JCP E, 2013, 1037.

481 Ibid.

482 G. Ripert, « L’ordre économique et la liberté contractuelle », in Mélanges Gény, 1934

483 On pense notamment au secteur de la restauration, où les grandes chaînes de franchise cotoient cependant nombre de commerçants exerçant à titre individuel.

484 P. Le Tourneau et M. Zoïa, « Franchisage - Franchisage dans le domaine des services - Le franchiseur et le franchisé », Fascicule n° 1050, in J.-Cl. Contrats - Distribution, 2008, n° 178.

Ainsi, appliquant le même régime et les mêmes critères, les juges du fond pourront parfaitement estimer qu’une clause de non-réaffiliation est valable là où une clause de non-concurrence ne l’aurait peut-être pas été. Il semble en revanche capital de s’assurer que cette clause procède bien de la défense d’un intérêt légitime, qu’elle est limitée spatiotemporellement, et que l’atteinte portée à la liberté du franchisé est strictement proportionnelle aux intérêts protégés par le franchiseur. Au-delà de leur objet même, tant la clause de non-concurrence que la clause de non-réaffiliation demeurent une

« exception au principe de la liberté de la concurrence »485.

227. Pour cette raison, nous avons choisi de regrouper ces deux types de clauses sous le vocable de « clauses restrictives de concurrence ». Il s’agit de regrouper sous cette appellation toutes les stipulations restreignant significativement la possibilité du franchisé de faire concurrence au franchiseur à l’issue du contrat, que ce soit par une limitation de l’activité elle-même, ou de ses modalités. Probablement convient-il d’insister sur l’adverbe « significativement », sans quoi une telle définition serait bien trop large et engloberait des clauses qui n’ont rien de commun aux clauses de non-réaf-filiation et de non-concurrence. On pense notamment aux clauses de non-réutilisation du savoir-faire et plus largement aux clauses de confidentialité486. Bien qu’elles limitent la marge de manœuvre de l’ancien franchisé dans l’exercice d’une activité concurrente, ces clauses n’influent pas directement sur le pouvoir concurrentiel de l’ancien franchisé et sur ses possibilités de poursuivre son exploitation. À l’inverse, d’autres mécanismes peuvent avoir un effet anticoncurrentiel, à l’instar des clauses d’enseigne ou de la fran-chise participative, et limiter significativement les possibilités du franfran-chiseur d’exercer son activité à l’issue du contrat. Ces clauses et mécanismes, qui ont déjà fait l’objet d’une étude487, doivent être distingués des clauses restrictives de concurrence ainsi que nous les avons définies dans la mesure où leur objectif premier n’est pas de limiter les possibilités du franchisé de faire concurrence à l’issue du contrat, mais purement et simplement d’empêcher la rupture de celui-ci488.

228. Ainsi définie positivement et négativement, l’étude des clauses restrictives de concurrence relatives à l’après-contrat soulève deux séries de problématiques répon-dant aux deux questions fondamentales : pourquoi et comment ? Pourquoi insérer une telle clause dans un contrat de franchise est une première interrogation tout aussi

485 Y. Picod, Y. Auguet et M. Gomy, « Concurrence (Obligation de non-) », in Rép. com. Dalloz, 2009, n° 1.

486 Sur ces clauses, v. E. Gastinel, « Les effets juridiques de la cessation des relations contractuelles : obligation de non-concurrence et de confidentialité », in La cessation des relations contractuelles d’affaires, P.U.A.M., 1997 ; L. Idot, « Quelques réflexions sur la confidentialité en droit de la concurrence : à propos des secrets d’affaires et du secret professionnel », in Aspects contemporains du droit de la distribution et de la concurrence, Montchrestien, 1996 ; Moreau, « La protection de l’entreprise par les clauses contractuelles de non-concurrence et de confidentialité », Dr. et patr., 1999, no 69, p. 56 et s.

487 V. supra, n° 89 et s.

488 Pour cette raison, nous avons choisi de les étudier dans le Titre de cette étude consacré à la préservation de l’indépendance du franchisé (v. n° 89 et s.).

légitime que fondamentale. Y répondre implique de se tourner vers le droit commun et d’observer la situation du franchiseur qui ne serait pas créancier d’une telle obliga-tion. De l’étendue de sa protection en pareille situation dépend largement la légitimité de la stipulation de clauses restrictives (Section I). Ayant ainsi procédé à l’étude des justifications juridico-économiques des clauses restrictives de concurrence, il sera pos-sible de s’intéresser à leur régime juridique, dont il a précédemment été remarqué qu’il présentait un caractère unitaire appuyé (Section II).

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