• Aucun résultat trouvé

Chapitre I er L’assimilation, un axe politique et social central dans la Guadeloupe coloniale (premier quart du XXe S.)

CHAPITRE 2 Les sociétés sportives catholiques guadeloupéennes : un moyen d'assimilation de la jeunesse

7 Le développement des loisirs et du sport guadeloupéen : un contexte favorable à la mise en place des Groupes de Sonis et du scoutisme

7.3 Une lente diffusion des pratiques sportives

« L’investissement des laïcs dans la pratique sportive a pour effet de contrer le monopole de l’Église en créant de nombreux clubs. »1

Comme nous l’avons

signalé, les premiers groupements sportifs voient le jour dans les deux villes principales de l'archipel avant les années vingt, souvent liés aux Éclaireurs laïcs ou aux patronages catholiques. « La Solidarité Scolaire » de Pointe-à-Pitre est ainsi créée par des enseignants en 1917, alors que dès 1915, Bénédict Clairon crée « L'intrépide » à Basse-Terre. Ces clubs laïcs se montent en quasi simultanéité avec les sociétés sportives catholiques de l’abbé Bioret et de l’abbé Durand, témoignant des luttes sur le terrain de l'éducation de la jeunesse entre les tenants de la chrétienté et ceux de la laïcité. Ces différentes associations sont omnisports ; on y pratique le football, l'hébertisme, un peu d'athlétisme et des excursions, notamment sous l'égide des éclaireurs. Les premiers pratiquants témoignent de cette polyvalence : Maurice Micaux, fondateur de « l'Union Sportive Basse-terrienne », est capitaine de l'équipe de football de la Guadeloupe, mais aussi athlète, basketteur, et bon volleyeur2. Fernand Pentier, fondateur de « La Renaissance », est footballeur, lui aussi capitaine de la sélection de Guadeloupe, mais aussi très bon athlète puisqu'il détiendra le record local du saut à la perche de 1942 à 1979. Il fondera le « Cygne Noir », club de Basse-Terre et la « Ligue Guadeloupéenne d'Athlétisme ». La musique est aussi pratiquée dans ces premières associations, tout comme le théâtre. La frontière entre activités corporelles, sport et culture reste floue dans cette période de création du mouvement sportif guadeloupéen. À Basse-Terre, le « Racing Club », émanation des Éclaireurs de France, centré davantage sur le football, est créé en 1925. Puis suivront le « Cygne Noir » et « La Gauloise » en juin et août 1930, clubs fondés par des membres du Racing. Les années trente voient les premiers clubs naître dans les autres communes de la Guadeloupe, centrés eux aussi sur le football, même s'ils pratiquent d'autres sports : le « Club Sportif » Moulien en 1931 ; « La Juventus » de Sainte-Anne en 1935 ; « L'Arsenal » de Petit-Bourg en 1938. Suivront les ligues : le « Club Guadeloupéen des Sports Généraux », première véritable tentative de fédération

1

H. P. Mephon, op. cit. P. 148.

2

des clubs existants, se crée en 1929, sur l'initiative d'Édouard Chartol, ancien éclaireur. Le CGSG deviendra la « Fédération Guadeloupéenne des Sports Athlétiques » en mai 1931. La « Ligue Sportive de la Grande-Terre » est fondée en octobre 1931 ; l’ « Union Sportive Basse-terrienne » en janvier 1933 ; la « Fédération Sportive de la Guadeloupe », qui regroupe les deux dernières, en 1939. La décennie 1930 marque ainsi le début de l'institutionnalisation des pratiques sportives locales, souvent dans une logique omnisports et culturelle.

Les activités sportives commencent à être pratiquées chez les jeunes des milieux aisés. Souvent, les filles Glaude descendent dans la rue pour jouer au ballon avec les voisins, enfants d’un pharmacien basse-terrien. Elles se font des passes à la main ou jouent au football. D’autres fois, on joue à la balle dans le couloir de la maison. La famille dispose aussi d’une salle d’escrime et d’une table de tennis de table. Le football reste toutefois l’activité sportive la plus pratiquée, dont les associations sont les plus nombreuses dans la colonie. Le Père Flover se souvient de ses études au Petit Séminaire de Blanchet, à Gourbeyre, pendant la Seconde Guerre mondiale, où il était fréquent que les jeunes séminaristes jouent au football. Malgré l’absence de ballon, les séminaristes jouent avec un « fruit à pain », gros fruit de la taille d’un ballon :

« Il n’y avait pas de ballon, on nous donnait le ballon le dimanche seulement. Et donc, on jouait avec un fruit à pain1. Au début ça faisait mal aux pieds, c’était dur, mais après ça devenait mou. Le Père Forbin, préfet de discipline disait "on dirait qu’ils sont nés avec un ballon aux pieds". On ne pouvait pas se passer de ballon ! »2. Si les clubs de football sont les premiers clubs sportifs à

se structurer dans l'archipel, l'activité se pratique aussi de façon informelle sur les places des bourgs ou dans les champs qui bordent les communes. D'autres sports naissant dans la colonie impulsent des vocations. Fernand Pentier se souvient qu'enfant il fit ses premières armes au saut à la perche avec un grand bois qui lui permettait de franchir des obstacles en pleine campagne, sous le regard admiratif de ses camarades de jeu. « Nous courions, sautions aussi, sans

savoir que nous faisions de l'athlétisme ; nous ignorions d'ailleurs ce mot. »3 Ce n'est que plus tard qu'il a l'idée de prendre un bambou, plus souple. Se rendant parfois à la Guadeloupéenne, à Basse-Terre, il y fait quelques entraînements, puis quelques compétitions qui le mèneront en 1942 au record de Guadeloupe du saut à la perche. Précurseur du sport guadeloupéen, F. Pentier est aussi un grand footballeur, capitaine de l'équipe de la colonie durant la Seconde Guerre mondiale. Là encore, les pratiques se confondent, les frontières se diluent. Les sportifs de l'époque sont polyvalents. Le cyclisme commence aussi à se pratiquer. Les concessionnaires de cycles sont les premiers à organiser des

1 Le fruit à pain pousse sur un arbre de la famille des Moracées qui peut mesurer de 10 à 12

mètres. Ce fruit, de 1 à 3 kg, se consomme cuit, comme légume. Il est dénommé ainsi parce que, à la cuisson, il a le goût du pain.

2

Entretien avec le Père Flover. 19 juillet 1999. Baillif.

3

courses cyclistes pour se faire de la publicité. Mais dans l’ensemble, la pratique d’activités sportives reste confidentielle, peu répandue dans la société et réservée aux familles aisées disposant de moyens financiers suffisants. En 1936, les seize associations sportives mentionnées dans le Bulletin d'information du cabinet du gouverneur1 licencient 1219 membres, soit moins de 0,5 % de la population. Les pratiquants sportifs restent en nombre limité. Les Guadeloupéens sont davantage spectateurs des rencontres sportives que pratiquants. Les matchs de football sont des spectacles prisés par la population, mais le nombre d'adhérents à des associations reste faible. Il faudra attendre la fin de la décennie 1970 pour que la pratique sportive devienne le loisir principal des Guadeloupéens. Cette confidentialité des pratiques sportives s'inscrit dans un contexte social où les loisirs restent pauvres. Les déplacements dans l'archipel demeurent difficiles rendant d'autant plus problématique la mise en place des premières rencontres sportives et des loisirs en général. Le parc d'automobiles privées est inexistant. En 1936 la Guadeloupe compte 309 voitures. Le parc augmentera de 3 % les deux années suivantes. Les transports en commun et les camions sont les seuls engins motorisés à sillonner les routes de la colonie. Mais ils restent toutefois peu nombreux avant-guerre. Les déplacements s'effectuent principalement à pied. Seules quelques nationales sont bitumées, le réseau routier dans son ensemble est peu praticable pour les automobiles. Cette situation sera toutefois favorable au développement du scoutisme et de la randonnée pédestre. Éclaireurs, scouts et guides, en centrant leurs activités sur la marche et la découverte du milieu naturel, vont connaître un engouement rapide dans un environnement propice aux déplacements pédestres.

1

Bulletin mensuel d’information du cabinet du Gouverneur, Archives départementales de la Guadeloupe, 2MI73.

CHAPITRE 3 Les Groupes de Sonis

Outline

Documents relatifs