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Chapitre I er L’assimilation, un axe politique et social central dans la Guadeloupe coloniale (premier quart du XXe S.)

CHAPITRE 3 Les Groupes de Sonis 1 Que sont les Groupes de Sonis ?

6 Financement des Groupes de Sonis

Les Sonis disposent de quatre sources de financement : les cotisations des membres, les recettes des actions culturelles, les subventions, les aides des mécènes.

La demande de cotisations auprès des adhérents des groupes dépend des paroisses de rattachement. À Pointe-à-Pitre, les jeunes payent une cotisation générale en début d’année, puis une cotisation minime par activité pratiquée. L’organisation se charge de fournir l’ensemble des équipements. Pour C. Thibault, il ne s’agit que de cotisations symboliques, afin de ne pas tout fournir

gratuitement aux jeunes ; de leur faire prendre conscience que tout ne peut pas être acquis gratuitement. Toutefois, d’autres paroisses ne demandent rien à leurs adhérents. C’est le cas de Port-Louis ou du Gosier.

Une seconde source de financement vient des recettes d’actions culturelles organisées par l’Église. Ainsi, à Gosier, l’abbé Will installe un cinéma dans la salle paroissiale et organise deux séances pour les adultes le dimanche, une le matin et une le soir. Les recettes de la séance du dimanche matin sont destinées à la Maristella et celles du soir, à l’Église.

Les groupes peuvent aussi recevoir des subventions, soit des municipalités, soit du Ministère des colonies (avant 1946) ou des ministères en charge des sports, après les lois de départementalisation de 1946 (Éducation nationale, Jeunesse et sports…). En 1949, les Sonis de Pointe-à-Pitre demandent une subvention pour indemniser le moniteur de gymnastique et le professeur de solfège, et pour des achats de matériel (barres parallèles, javelots, disques, poids ; renouvellement des instruments de la clique, tambours et clairons ; renouvellement du matériel de football, maillots et chaussures ; achat de films et de disques). L’exercice budgétaire de 1949 du Ministère de l’Enseignement technique, de la Jeunesse et des Sports1 mentionne ainsi une subvention de 37 500 francs. À titre de comparaison, les Scouts de France guadeloupéens recevront la même année 75 000 francs, les Éclaireurs de France 112 000 francs et la Ligue de l’enseignement 412 500 francs. La somme allouée aux Sonis de Pointe-à-Pitre est minime par rapport à celles allouées aux autres associations, notamment laïques. La baisse des effectifs qui s'amorce dès 1944 semble être une des raisons, à laquelle il convient d'ajouter la préférence du ministère pour aider les associations laïques. Les exercices des ministères ne font plus état d’une quelconque subvention versée aux Sonis guadeloupéens après cette date.

La source de financement la plus importante réside dans les dons des membres bienfaiteurs. À Pointe-à-Pitre, C. Thibault est chargé de recueillir l’argent de ces mécènes. La majeure partie de cet argent vient des blancs pays et des « békés »2 tels que les avocats Desgranges, Le Vallois ou des commerçants Pointois comme Godmarchais, Maréchaux (patron des « Galeries parisiennes », un des plus grands magasins de mode de la ville) ou encore des établissements Bourel ou De Kermadec. L’argent vient aussi des usiniers tel que Darboussier, usine de transformation de la canne à sucre la plus importante de la Guadeloupe. Les Sonis de Pointe-à-Pitre s'entraînent sur un terrain mis à leur disposition par l'usine. Enfin quelques Syriens (colonie importante à Pointe-à-Pitre) peuvent aussi donner de l’argent, c’est le cas de la famille Sarkis.

À Port-Louis, sous le gouvernement de Vichy, l’argent vient essentiellement de la distillerie de rhum Damoiseau de Beauport : « Damoiseau aidait les Sonis,

parce que chaque année on (les Sonis) fêtait la Saint Éloi, fête de l’usine » (J.

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Archives Nationales, CARAN. F 44 / 75. Paris.

Commer). Tous les dimanches, M. Damoiseau vient à la messe de l’abbé Mestric, au bourg. En semaine, ce dernier donne une messe à l'usine et les Sonis y participent. « Beauport donnait de l’argent. Le Père Mestric en prenait un peu

partout, auprès des entreprises, des grands producteurs de bananes, des usiniers » (A. Gordien). Même durant la Seconde Guerre mondiale, alors que

l’approvisionnement est très difficile à cause du blocus des petites Antilles par les États-Unis, l’abbé Mestric trouve du tissu pour confectionner les chemises des Sonis ! Ainsi, dans cette paroisse, l’ensemble du matériel est fourni aux adhérents de l’association et les déplacements sont payés par la sucrerie. Cette gratuité est aussi une des causes de la popularité de cette organisation qui permet ainsi l’adhésion sans frais pour les familles souvent peu argentées (la plupart des parents sont ouvriers de la canne). Mais ce financement par l'usine Beauport instaure une dépendance entre les Sonis et la bourgeoisie blanche locale liée au commerce de la canne. Les relations entre l’abbé Mestric et la famille Damoiseau sont étroites comme le précise G. Gordien1 : « Ils avaient

leurs œuvres sociales ; ils avaient installé une infirmerie à Beauport. Il y avait des religieuses qui soignaient les malades de l'usine. Le Père Mestric était en quelque sorte l'aumônier de ce dispensaire. Il allait visiter les malades. Donc, c'est difficile de dire qu'on n’était pas dans la mouvance de ces riches bourgeois. » Les relations entre le curé de Port-Louis et le directeur de l'usine se

nouent aussi sur le terrain politique : « En ce qui concerne Port-Louis, le Maire

a été le directeur de l'usine Beauport, il s'appelait M. Damoiseau. Et ce monsieur a demandé au Père Mestric de bien vouloir être son premier adjoint (…) Il disait que si le Père Mestric refusait, lui-même refuserait. Le Père fut obligé d'accepter. » En devenant premier adjoint de la commune au côté du

directeur de l'usine Beauport, l’abbé Mestric se range du côté du régime pétainiste soutenu par la bourgeoisie blanche locale. Le curé de Port-Louis, à l'image de nombreux autres prêtres de Guadeloupe, constitue un exemple de l'implication de l'Église locale dans la politique, durant la Seconde Guerre mondiale. Le rôle qu'occupèrent certains prêtres dans les conseils municipaux s'inscrit dans la politique vichyste de rapprochement avec l'Église catholique et de lutte contre la laïcité. En intervenant sur le terrain du politique comme sur le terrain de l'éducation des jeunes, ces prêtres accentuent la dépendance des groupes de Sonis au pouvoir local et à ses orientations fascistes. La dépendance financière instaure une dépendance politique qui place ces organisations de jeunesse catholiques sous une double allégeance, à l'Église locale d'abord, au pouvoir en place ensuite. Pour les Éclaireurs de France, laïques, cette aide des usiniers aux Sonis marque cette allégeance au pouvoir colonial blanc. « L'usine

et l'Église sont en symbiose. Pour autant que vous soyez pauvre, tout le monde suivait l'Église… Et tout le monde voulait être recruté à l'usine. Aussi il y avait

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quelques avantages en nature à être Sonis… »1

Le ton est volontairement polémique, mais le fait est que les EDF sont beaucoup moins aidés financièrement que ne le sont les Sonis. Les éclaireurs s'autofinancent par des ventes de vanneries ou de crabes péchés dans les mangroves les jours de fête communale. Ils organisent des kermesses. Seule l'équipe de football du Red Star dispose d'un terrain donné par les francs-maçons.

L'aide apportée par les commerçants, les industriels et propriétaires terriens aux Groupes de Sonis instaure ainsi un rapport de domination des premiers sur les seconds, qui relèvent de deux logiques, l'une politique, l'autre culturelle. Les mécènes, principalement des Blancs Pays, ont un intérêt politique à favoriser le développement des organisations de jeunesse catholiques. Ils s'assurent une notoriété et par là une partie de l'électorat des familles de la petite et moyenne bourgeoisie terrienne ou commerçante. Face à la montée des partis de gauche et à l'ascension de classe noire dans la politique de l'archipel, les Blancs Pays, minoritaires, trouvent dans les organisations de jeunesse un moyen de gagner un électorat parmi les Blancs, mais aussi dans les milieux ruraux noirs, comme c'est le cas à Port-Louis. Mais l'enjeu est aussi culturel. Les Sonis et l'éducation catholique qui y est dispensée agissent comme un « moule » assimilationniste pour la jeunesse locale. En véhiculant les valeurs patriotiques, disciplinaires et chrétiennes, ces organisations forment la jeunesse guadeloupéenne aux normes de la société métropolitaine. L'acculturation que produit cette éducation trouve écho dans la classe blanche dominante soucieuse d'égalité avec les métropolitains.

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