• Aucun résultat trouvé

Chapitre I er L’assimilation, un axe politique et social central dans la Guadeloupe coloniale (premier quart du XXe S.)

CHAPITRE 4 Les Scouts de France de Guadeloupe

4 Objectifs et activités

4.4 La formation d'un corps sain

La nature constitue aussi l’élément qui éloigne les enfants des villes, contribuant ainsi à l'amélioration de la santé. « La nature et la santé étaient les

buts du scoutisme. Vivre dans la nature pour améliorer sa santé. »1 La

formation du scout guadeloupéen repose aussi sur un apprentissage à une hygiène de vie où les bienfaits du grand air et de la nature permettent aux organismes de mieux lutter contre les maladies. Les pratiques en milieu naturel garantissant une formation hygiénique ne sont pas étrangères à l'enthousiasme de la hiérarchie ecclésiastique guadeloupéenne pour le scoutisme : « Le premier

pas qui conduit au bonheur est de faire de soi un être sain et fort, alors qu'on est encore un garçon, afin de pouvoir se rendre utile et ainsi jouir de la vie quand on devient un homme. »2 Nature et hygiène sont associées pour assurer la

formation complète du jeune scout. Le plein air et la nature façonnent l'homme sain. La force passe par l'hygiène et l'entretien corporel. La lutte contre les maladies, dans les années trente, est le garant d'une éducation réussie et une nécessité économique pour les institutions chargées de l'éducation de la jeunesse. Le mouvement local n'échappe pas aux directives nationales dans ce domaine en suivant le siège parisien qui impulse cette éducation à la santé : les Journées nationales de décembre 1935 à Paris, à l'occasion du 15e anniversaire du mouvement, ont pour thème « scoutisme et santé ». La revue Le Chef, diffusée dans toutes les provinces et reçue en Guadeloupe, reprendra ce thème et les sujets traités lors des journées, tout au long de l'année 1936. La Guadeloupe reprendra ses orientations : « C'était régulièrement dans la nature

que l'on se réunissait. C'était très tourné vers l'extérieur de la ville. En ce qui concerne la santé, on voulait faire sortir les jeunes de Pointe-à-Pitre. » (Jean

Rivier). Dès le début du XXe siècle, cette ouverture vers le milieu naturel constitue un élément « à la mode » dans la société blanche locale, comme en témoigne la création du Club des Montagnards ou de la Section guadeloupéenne du Club Alpin français. Cet engouement pour la nature s'accentuera dans l'entre- deux-guerres face au peuplement des villes comme Pointe-à-Pitre ou Basse- Terre. La nature permet ainsi la pratique d’activités saines, hygiéniques, et l’éloignement des centres urbains constitue une garantie contre les maladies, notamment pulmonaires.

1

Guy Cornely ancien EDF.

2

Activités athlétiques, hébertisme, natation… font l'objet d'un programme annuel que chaque région applique. Le « programme d'éducation physique » pour la branche éclaireur, publié par la revue Le Chef nº 221 du mois de décembre 1945 (document nº 2) en témoigne.

Document nº 2

L'objectif d'amélioration de la santé est ici central dans cette période d'après- guerre marquée par les problèmes d'alimentation et d'hygiène des populations. Ce programme fait nettement apparaître l'utilisation des activités corporelles au

service de la santé des jeunes scouts. Parmi ces activités, l'hébertisme occupe une place importante, mais il est couplé à des activités sportives individuelles comme l'athlétisme et la natation, mais aussi de combats tels que le judo et la boxe. Le handball, s'il occupe une place minime témoigne néanmoins de l'ouverture du scoutisme vers les sports collectifs. L'aboutissement de l'année est l'obtention du « brevet sportif populaire »1, garant de la bonne santé physique des jeunes scouts. Mais dans ce programme, la frontière entre activités sportives et éducation physique reste encore floue. Il propose un mélange d'hébertisme et de sports, témoin de cette confusion. Toutefois, un glissement semble s'établir vers une pratique sportive plus importante : les contrôles recouvrent principalement cette dimension sportive, même lorsqu'il s'agit d'hébertisme ; la notion de performance y est centrale. Le camp de fin d'année vient couronner cette préparation physique annuelle, comme il est l'aboutissement de toute la vie du jeune scout.

La santé repose aussi sur la virilité et la force. Elle fait partie de « la relation à son corps », élément central de la Loi scoute. L'amélioration de la santé par la confrontation au milieu naturel est au service de l'amélioration de la force ; elle est au service de ce que O. Lacroix appelle le « corps viril ». La masculinité passe ici par l'acquisition de la force physique ; un corps viril n'est pas uniquement synonyme de puissance sexuelle ; c'est un corps puissant, endurant, capable de supporter l'effort physique. Pour les scouts locaux, un corps viril est un corps en bonne santé physique. Éloigner l'enfant de l'insalubrité des villes, le plonger dans le milieu naturel, développer sa force par une hygiène de vie appropriée deviennent des visées centrales du scoutisme guadeloupéen.

Dans cette formation d'une jeunesse physiquement et moralement saine, l'éducation scoute guadeloupéenne s'appuie sur l'hébertisme. L'éducation physique et la natation en guise de réveil matin sont habituelles lors des camps :

« Gymnastique torse nu, trempette à la rivière… V'là l'café chaud d'un bon campeur !... » (Clartés nº 220 du 13 mai 1950). « Dans les camps, le matin, on faisait du dérouillage, pour se dégourdir les pattes et le corps. Il y avait une éducation "antimollesse" ; un peu virile. Il ne fallait pas se laisser aller. » (O.

Lacroix). Mouvements respiratoires, marche, course, quelques appuis sur les bras et un plongeon dans la rivière constituent le « décrassage » matinal du scout guadeloupéen. Jean Rivier se souvient que, dans la troupe de Pointe-à- Pitre où il fut louveteau dès 1939, durant les camps, tous les matins, il y avait une demi-heure consacrée à ce type de pratiques corporelles : « On pratiquait le

pandémonium. C'était des mouvements de culture physique que l'on faisait au réveil pour se mettre en train. Il y avait un chef de file qui faisait les mouvements et on le suivait, en file. Tantôt il se couchait, tantôt il se levait, tantôt il marchait à quatre pattes. De façon à faire jouer tous les muscles. »

1

Les épreuves de ce brevet, créé par Léo Lagrange sous le Front populaire, sont constituées de concours athlétiques (courses, sauts, lancers).

Chaque patrouille constitue une vague suivant ainsi les directives fixées par Hébert dans sa Méthode Naturelle. Les vagues exécutent les mouvements au coup de sifflet : marche en flexion, marche indienne, sauts en grenouilles, portés en chaise à trois, lancer de cailloux, course, etc. Les différentes familles de la méthode (locomotions principales, locomotions secondaires, activités de défense, activités industrieuses) sont exécutées au commandement du chef de troupe. J. Rivier de préciser que l'on pratiquait davantage ce type d'activités en temps de guerre, car il n'y avait aucun matériel. Les mouvements de la méthode naturelle ont l'avantage de pouvoir s'exécuter dans n'importe quel lieu et sans aucun matériel. Mais l'hébertisme constitue aussi la méthode officielle instaurée par le gouvernement de Vichy, et la Guadeloupe comme la métropole, s'inscrit dans la logique de l'Éducation Générale et Sportive instaurée par J. Borotra dès 1940. « La Révolution Nationale commence par celle des corps, en particulier

des corps de la jeunesse française. Il s’agit de retremper les forces vives de la Nation au contact d’une nature formatrice selon, notamment, le modèle éducatif fourni par l’hébertisme et les mouvements de jeunesse catholiques - modèle auquel est particulièrement sensible le bon maréchal. »1

La méthode naturelle est aussi pratiquée lors de réunions hebdomadaires qui ont lieu le soir de 5 heures à 7 heures. Ces réunions de troupe sont toujours organisées en deux parties : une partie physique à base d'hébertisme, et une partie à base de chants et de danses. La pratique de la méthode naturelle permet d'évaluer les capacités de chaque scout afin de déterminer dans quel domaine il est le plus performant physiquement, et donc mieux à même de remplir telle ou telle tâche : « Il fallait que l'on sache que tel garçon fût capable de faire tel

effort déterminé, qui consistait par exemple à transporter un poids sur 25 mètres ou à courir en moins de 20 secondes une distance. » (J. Rivier). Les

épreuves d'évaluation utilisées par les scouts de Pointe-à-Pitre sont inspirées du Code de la Force mis au point par Georges Hébert en 1911, outil d'évaluation des capacités physiques des individus. Il est ainsi utilisé par le scoutisme afin d'optimiser l'exploitation des possibilités de chacun de ses membres. Il est constitué d’épreuves tests (mesures morphologiques, épreuves pratiques ; course, marche, grimper, et parcours en pleine nature). Il apparaît que si les sports ne sont pas introduits dans l'ensemble des groupes scouts de la Guadeloupe, l'hébertisme est pratiqué de manière systématique. Le scoutisme en fait un de ses supports de la formation physique et morale. L'intérêt que porte le scoutisme local (comme le scoutisme métropolitain) à une telle méthode de

1

S. Villaret, Histoire du naturisme en France depuis le Siècle des lumières, Paris, Vuibert, 2005, p. 289. L’auteur écrit plus loin : « Dans cette entreprise de conformation physique et morale

voulue par Pétain, le naturisme hébertiste trouve une place de choix. Avec son utilitarisme exacerbé par le slogan « Les faibles sont des inutiles ou des lâches » ou encore « Être fort pour être utile », l’hébertisme se marie naturellement à la doctrine nationale et se trouve plus que jamais relayé auprès des mouvements « cajolés et choyés » par le gouvernement de Vichy : scoutisme, Compagnons, Jeunes du Maréchal, Équipes nationales et Chantiers de jeunesse. » P.

gymnastique repose sur plusieurs points de convergence. L'hébertisme est avant tout une méthode de confrontation aux éléments naturels (air, pluie, soleil) sous la forme d’exercices naturels et de parcours. En ce sens, il est proche du scoutisme en permettant l’apprentissage du milieu naturel par la mise à l’épreuve. Hébertisme et scoutisme relèvent du courant « naturiste » d’éducation physique qui augmente son audience dans l’entre-deux-guerres.

« La nature est là, comme réalité au contact de laquelle l’enfant apprend, parce qu’elle pose des problèmes et qu’elle engage à y apporter une solution pratique en ne comptant que sur soi-même et le groupe. »1 Ses finalités essentielles sont celles d’un rapprochement avec la nature, d’une conception de l’activité physique la plus naturelle possible conforme à celle des peuples dits primitifs. La comparaison avec le primitif sert de justification doctrinale à Hébert. Le primitif travaille sans méthode, il agit avec instinct face à la nature. La référence aux activités de ces peuples se situe aussi dans la logique du « woodcraft » et de l'indianisme chers au scoutisme de cette période.

Autre point de convergence entre scoutisme et hébertisme : le développement physique est étroitement lié au développement moral et social des individus et s’articule autour des qualités viriles, de l’utilité sociale (volonté, altruisme, courage, fermeté) et de la débrouillardise. Il faut développer les muscles, mais aussi des sentiments nobles. Il faut former des hommes sachant se rendre utiles à la société dans laquelle ils vivent. Tout comme le scoutisme, la méthode naturelle est donc également une méthode d'éducation morale. Ce qui semble aussi convenir au scoutisme, c'est l'organisation pédagogique hiérarchisée et disciplinée de l'hébertisme qui se retrouve dans la patrouille. La succession des exercices s'effectue par vagues, sous la direction d'un « chef de vague ». La séance se déroule sur un plateau qui permet de réaliser sur une surface restreinte avec peu ou pas de matériel, une séance complète, en faisant se déplacer simultanément un grand nombre d'enfants. Enfin, scoutisme et méthode naturelle utilisent certains principes de la pédagogie moderne : placer l’enfant dans un milieu qui lui convient ; individualiser l’enseignement au sein d'un travail en groupe (groupes homogènes, travail en vagues, patrouilles) ; observer ; évaluer ; faire appel à des exercices concrets, naturels, utiles. Hébertisme et scoutisme se réclament des méthodes actives. Le « self governement » est un dénominateur commun : les deux méthodes sollicitent l’enfant et « le conduit à actualiser ses possibilités

naturelles. »2

Dans le scoutisme guadeloupéen, la méthode naturelle est donc utilisée fréquemment pour la formation physique des jeunes. Dans les deux décennies qui vont de 1935 à 1955, elle sera davantage pratiquée que les sports

1

Jacques De France, La méthode naturelle et l’éducation physique de Georges Hébert, in Actes du colloque de Vaucresson, 17 – 18 mars 1994, document de l’INJEP nº 21, juillet 1995, p. 136 – 143.

2

institutionnalisés. Sans doute les Guadeloupéens ont-ils un « penchant » particulier pour cette méthode : Hébert ne fut-il pas inspiré par le courage et la force physique des Martiniquais lors des sauvetages après l'éruption de la montagne Pelée en 1902 ? Admiratif de leur efficacité pour aider leurs compatriotes, Hébert a pris exemple sur la force physique « naturelle » des Noirs martiniquais.

Outline

Documents relatifs