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Les fêtes communales comme tremplin de la diffusion des loisirs sportifs

Chapitre I er L’assimilation, un axe politique et social central dans la Guadeloupe coloniale (premier quart du XXe S.)

CHAPITRE 2 Les sociétés sportives catholiques guadeloupéennes : un moyen d'assimilation de la jeunesse

7 Le développement des loisirs et du sport guadeloupéen : un contexte favorable à la mise en place des Groupes de Sonis et du scoutisme

7.1 Les fêtes communales comme tremplin de la diffusion des loisirs sportifs

Dès le début du siècle, le loisir est exclusivement réservé aux blancs pays et aux métropolitains1. Se développent des pratiques comme l’équitation, le tennis, le yatching ou les sports mécaniques. La marche en forêt ou en montagne prend aussi son essor dans le début du siècle. La section guadeloupéenne du Club Alpin français et le Club des Montagnards voient le jour dans cette période (1889 et 1903)2. Mais la grande masse des Guadeloupéens, constituant le gros des travailleurs agricoles, n’a pas le temps ni les finances pour s’adonner aux loisirs, en dehors des fêtes des communes. Ainsi, « au sein des territoires

d’outre-mer, la situation coloniale impose sa logique jusque dans le domaine sportif. Celui-ci ne parvient pas à surmonter le clivage, établi à partir de considérations raciales, entre colons (blancs) et indigènes (noirs). »3

Les fêtes communales jouent un rôle important dans l’instauration des loisirs dans la colonie. Elles touchent en effet un nombre bien plus important de

1 Pour des précisions se référer à Jacques Dumont, op. cit., 1999. 2

Le Touring Club Guadeloupéen, autre société d’excursionnistes, est créé à Pointe-à-Pitre, dans les milieux bourgeois.

3

T. Jobert, Champions noirs, racisme blanc. La métropole et les sportifs noirs en contexte

Guadeloupéens et principalement dans les couches populaires. Ces fêtes patronales célébrant les saints patrons des communes sont les loisirs les plus prisés, parce que les plus accessibles. Elles recouvrent des épreuves à connotation professionnelle : courses de canots, bœufs tirants (courses de chars à bœufs s’effectuant généralement en montée) ; ainsi que des épreuves plus ludiques : courses à pied, courses en sac, courses de bourriques ou de chevaux. Elles font l’objet de grands rassemblements populaires et agrémentent, avec les bals, les fêtes des communes ou la fête nationale et le 11 Novembre après la Grande Guerre. Pour le 14 Juillet, par exemple, la Place de la Victoire à Pointe- à-Pitre raisonne des « feux de jour » constitués de pétards et de baudruches lancés dans le ciel et du feu d'artifice le soir qui vient illuminer la rade où les saintoises1 des pêcheurs sont amarrées. Les courses de « canots » (bateaux à voile traditionnels utilisés pour la pêche) sont sans doute ce qu'il y a de plus populaire à en juger la fréquence de leurs mentions dans les quotidiens locaux. Ces courses ont lieu par catégories de taille d'embarcation et mettent en jeu les pêcheurs des bourgs. Parfois, ces courses se doublent de compétitions de natation : « Il y avait aussi des courses de natation ; il fallait contourner des

bouées. Des fois même, on allait avec un canot lâcher des canards au large, et on allait les prendre à la nage. On coupait un petit peu les ailes pour qu'ils ne volent pas. Celui qui prenait le plus de canards avait gagné ! »2 Ainsi, les mois

d’été (et principalement le mois d’août, mois de la Vierge Marie) voient se dérouler chaque dimanche les fêtes des bourgs et des sections, et les manifestations sportives ont lieu après la messe dominicale du matin.

Centrées sur des activités physiques d’abord traditionnelles, les fêtes communales vont devenir des lieux d’implantation d’épreuves gymniques et sportives. « Elles sont bientôt accompagnées de démonstrations de

gymnastiques, de mouvements d’ensemble, de pyramides et sont à bref délai complétées par des épreuves spécifiquement sportives, nouvellement apparues : football ; courses athlétiques et cyclistes. »3 Les épreuves traditionnelles vont ainsi constituer un « ciment de base » sur lequel vont se greffer les pratiques sportives codifiées. Les finalités sont identiques : battre l’adversaire physiquement. Par exemple, dès la décennie 1920, les courses cyclistes prennent place dans les fêtes communales : « À partir de 1920, le cyclisme

assoit son caractère populaire. Les courses se développent dans les fêtes patronales ou le 14 Juillet. »4

L’Écho de la Reine de Guadeloupe laisse percevoir cette imbrication entre

les activités traditionnelles et les pratiques importées de la métropole, pratiques tout d’abord gymniques : « Les régates de l’après-midi furent fort

intéressantes ; pendant que les nombreux concurrents espaçaient peu à peu

1

Saintoises : bateaux traditionnels guadeloupéens.

2

Entretien avec Joffre Commer. 21juillet 1999. Port-Louis.

3

J. Dumont, op. cit., p. 32.

4

leurs blanches voiles en triangle sur le bleu sombre de la mer, depuis l’écumant « Pâté » de Terre-de-Bas, des gymnastes équilibraient leurs vivantes pyramides au bord de l’appontement (...). »1

La fête patronale de Saint-François mixe elle

aussi, les activités traditionnelles et les activités sportives : « Les pilotes

attentifs tiennent leur barre le poing crispé ; les rameurs se courbent sur les rames et anhèlent… Bientôt sur la grand-route, ce seront courses de chevaux, courses de bicyclette, courses de gamins… »2

Le glissement se fait ici progressivement des activités traditionnelles vers les pyramides gymniques, puis vers les sports. Progressivement, ces derniers prennent leur place dans l’espace des fêtes traditionnelles, laissant percevoir un engouement nouveau pour des pratiques comme le football, le cyclisme ou la course à pied. Les concours d'athlétisme que les Sonis font sur la Place de la Victoire enthousiasment les Pointois qui se massent le long des allées pour admirer les sportifs. Avec le Carnaval, ces fêtes constituent les seuls divertissements de la population de la colonie, plus absorbée par le dur labeur quotidien que par ces quelques rares loisirs.

Comme le précise J. Dumont, les « tenants de la modernité » (notables, fonctionnaires…), n’acceptent pas les pratiques locales issues de la tradition, et préfèrent les pratiques sportives importées, avec l’image de modernité véhiculée par le monde occidental et la métropole. « Seules les formes importées, véritable

acculturation corporelle, trouvent grâce aux yeux des notables, les promoteurs locaux du sport. »3 Elles sont porteuses d’une symbolique égalitaire avec la mère patrie. Après la Première Guerre mondiale, marins, fonctionnaires métropolitains et guadeloupéens, tout comme les prêtres, de retour au pays après un séjour en métropole, vont importer les pratiques sportives dans la colonie.

1

L’Écho de la Reine de Guadeloupe, n°5, octobre 1919, « À propos d’une régate de voile traditionnelle lors de la fête patronale des Saintes. »

2

Idem, n° 10, janvier 1921, p.140.

3

7.2 La pauvreté des loisirs rend la diffusion des pratiques sportives

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