• Aucun résultat trouvé

Chapitre I er L’assimilation, un axe politique et social central dans la Guadeloupe coloniale (premier quart du XXe S.)

CHAPITRE 4 Les Scouts de France de Guadeloupe

4 Objectifs et activités

4.3 L’amour de la nature

L’éducation corporelle est indissociable d’un développement du goût de la nature et de son respect. Elle est un élément central de l'éducation scoute en métropole, comme en Guadeloupe. Elle s’inscrit dans une vogue de l’esprit d’aventure qui gagne tous les pays européens dans l’entre-deux-guerres. En France, les congés payés, le développement des auberges de jeunesse, du camping, voient cet élan vers la nature se concrétiser dans la société : « À ces

structures et à ce goût nouvellement acquis du temps libre et du loisir se surajoute l’esprit d’aventure, qui n’est pas étranger à cette ruée vers la nature. »1 Pour O. Lacroix, la nature est un culte que le scout célèbre à chaque instant de sa vie, durant les activités qu'il pratique. Dans le scoutisme, la nature recouvre deux dimensions : elle est d'abord synonyme d'espaces préservés de toute intrusion humaine ; elle est ensuite synonyme de confrontation, d'abord à ce qui la constitue (la montagne, la mer, la rivière…), et ensuite aux éléments (la pluie, le soleil, le vent…). Ainsi, le milieu naturel recherché est vierge de la main de l'homme : le scout ouvre des sentiers, trace des pistes, dégage des chemins au coutelas2, et ne survit en bivouac que grâce aux produits que la nature lui donne. Mais s'il utilise ce milieu pour pratiquer ses activités, c’est par la confrontation avec lui que le jeune scout parfait son éducation. Les difficultés qu’offre le milieu naturel deviennent des moyens de perfectionnement physique et mental en raison des efforts qu’elles induisent. Le scout utilise la nature pour la vaincre, et pour pouvoir se dépasser. Il l'utilise pour mieux la dominer, mais aussi pour mieux se dominer. En ce sens, la confrontation avec la nature devient l'outil privilégié de la formation. La relation à Dieu se prolonge ainsi par la confrontation avec le fruit de sa création. Dans la doctrine scoute, cette éducation par la confrontation au milieu naturel recouvre une dimension première. Baden Powell, fondateur du scoutisme, se réfère à sa connaissance des sociétés africaines ou indiennes, mais aussi au « woodcraft » (science du bois) du Canadien Ernest Thomson-Seton3. Le milieu naturel devient chez Baden Powell le support éducatif indispensable à la formation du jeune scout, et le scoutisme guadeloupéen, dans la lignée des SDF, s'intègre totalement dans ces visées du fondateur. Formatrice, la nature favorise la construction de repères que les jeunes Guadeloupéens ont quelque peu perdus dans les agglomérations où la population grandit rapidement dans l'entre-deux-guerres. « C'est une

nécessité, un besoin, parce que c'est la vie. (…) Dans la nature, l'enfant perd ses traces, ses repères, ses aides matérielles. Il doit reconquérir cet espace qui est différent et qui n'est pas forcément agréable. »4 L'enfant apprend les gestes

1

S. Villaret, Histoire du naturisme en France depuis le Siècle des lumières, Paris, Vuibert, 2005, p. 212.

2

Grand couteau que l'on utilise aux Antilles pour couper la canne à sucre ou tout autre végétal.

3

Responsable des forêts canadiennes, E. Thomson – Seton avait mis en place des activités pour les jeunes qui annonçaient le scoutisme de Baden Powell.

4

de survie que le confort de la civilisation urbaine lui empêche de maîtriser : bivouaquer ; faire des abris et des toilettes en feuilles de coco tissées ; trouver le bon emplacement pour faire le foyer ; construire des fours sous terre ; faire sa cuisine sur le feu ; allumer malgré la pluie ; trouver de l'eau… Autant de gestes qui permettent à l'homme de vivre dans une nature vierge, loin de toute civilisation, loin de tout confort. Pour cela, le jeune scout apprend à connaître cette nature dans laquelle il pratique les activités : connaître les plantes, les types de bois les mieux adaptés au froissartage1 (certains se fendent, d'autres sont rapidement mangés par les termites), la faune, les roches, savoir s'orienter, etc. La marche reste le support privilégié de cette découverte du milieu naturel. Elle en permet l'exploration. Il s'agit en fait d'éduquer « l'homme, tout l'homme

dans la nature » (Michel Feuillard). La nature semble être ainsi environnée

d'une « aura sacrée » (O. Lacroix), sans doute accrue par les pratiques religieuses en plein air, situations nouvelles dans le catholicisme de l'époque. Par cette symbiose entre le scout et la nature, par son exploration (les scouts ouvrent des chemins de randonnée dans le massif de la Soufrière), le scoutisme guadeloupéen participe aussi au renouveau du milieu naturel et à la prise de conscience de la richesse de ce patrimoine pour la Guadeloupe. « Le mouvement

scout a aidé à ce renouveau de la nature, qui n'est pas le rapport habituel que l'on a avec la nature, qui est un rapport de travail, de servitude presque. Chez les scouts il y avait un grand souci de respect de la nature. » (O. Lacroix). La

mise en pratique de ce respect se fait à l'occasion du Grand Jeu annuel des scouts proposé par la direction nationale. Il s'agira, pour chaque patrouille, d'aménager un site ou d'embellir quelque chose d'existant. « Ne serait-ce pas là

l'occasion d'entreprendre une croisade de l'eau : plage à aménager en baignade, berge à consolider, plongeoir à construire… » (Clartés nº 156.

12 février 1949). La « bonne action » (BA) est au service des activités physiques que l'on pourra développer dans la paroisse ainsi que dans la mise en valeur du pays. Apparaît là une dimension nouvelle qui se développera dans le courant des années soixante, celle de la prise de conscience des richesses naturelles locales et de leur nécessaire valorisation. Dans la fin de la période étudiée, les plages vont commencer à être considérées comme des lieux à entretenir et à préserver, tout comme le milieu montagnard, mis en valeur par les associations de randonnées, Club des Montagnards et Club Alpin. Le but du scoutisme c'est aussi d'aider les jeunes à « devenir de bons citoyens, actifs,

joyeux, utiles au service de Dieu et de la Cité. » (Clartés nº 156).

Le support privilégié de ce retour à la nature est constitué par la marche et les explorations. Dans les débuts du mouvement, la marche constitue l'activité essentielle, voire unique. Elle constitue l'activité de base. Elle est le support de la formation physique indispensable au maintien de la santé et à la découverte du milieu naturel. Les scouts des années quarante partent découvrir la

1

Guadeloupe, à pied, sac au dos. Ils campent et explorent le pays. La troupe de Pointe-à-Pitre fait une journée de marche exploratoire avec carte et boussole, une fois par mois, et des marches sur des sentiers tracés, plus fréquemment. En quittant l'agglomération pointoise située en bord de mer, la troupe s'enfonce dans les mornes et les ravines qui constituent les « Grand-Fonds » des Abymes et du Gosier. Dès la sortie de la ville et le passage du quartier de Chauvel à l'est, les scouts prennent la direction de Cocoyer et commencent à gravir les mornes qui abritent toute une population rurale travaillant dans de petits lopins de terre pour cultiver les légumes qu'ils vendent au marché de Pointe-à-Pitre. L'habitat de cases à l'ombre des manguiers, bordé par les jardins potagers créoles s'étire le long des mornes surplombant les ravines où paissent les bœufs. D'autres fois la troupe prend la direction du nord-est vers Morne-à-l'Eau puis Petit-Canal, en longeant les champs de canne à sucre où s'affairent à la saison de la récolte les coupeurs en treillis militaires et chapeaux de paille. Ces « explorations » en patrouilles, basées sur l'orientation avec carte et boussole constituent une des activités les plus pratiquées par les troupes scoutes. Le nº 31 de Clartés retrace le tour de la Grande-Terre, en 5 jours, par la troupe Saint-Jean-Baptiste du Moule. Partie dès l'aube du Moule, la troupe, pour cette première étape, longe les falaises abruptes de la côte au vent, surplombant l'océan Atlantique, jusqu'à la pointe de la Vigie, extrémité nord de la Grande-Terre. Là le camp est monté à l’abri des alizés qui rendent parfois le campement difficile tant ils peuvent être violents dans cette zone. Le lendemain, les scouts prennent la direction de l'ouest vers Anse-Bertrand puis Port-Louis où ils font halte à l'Anse du Souffleur, plage de sable blanc bordant le Grand Cul-de-Sac-Marin. Puis l'exploration reprend jusqu'à Petit-Canal où la troupe passe la nuit. Le troisième jour les scouts mouliens marchent jusqu'au Gosier en longeant les champs de canne puis en franchissant les mornes et les ravines qui séparent les Abymes du petit bourg de pêcheur. Puis c'est la côte sud de l'île jusqu'à Saint-François où le camp est monté sur la plage des raisins clairs, à l'entrée du bourg. Enfin, le dernier jour la troupe franchit la dernière étape sans négliger de faire le détour par la Pointe-des-Châteaux afin d'aller prier au pied de la croix de la pointe des Colibris qui surplombe le canal de la Désirade, la dépendance qui se détache à l'horizon. Les scouts de Basse-Terre pratiquent eux aussi les marches exploratoires, mais dans un milieu différent constitué par la forêt humide tropicale. Ainsi, dès les premières années du mouvement, ils entreprennent l'ascension de la Soufrière. Partis de Basse-Terre, ils prennent la direction du volcan où très vite, à quelques kilomètres de la ville, le chemin monte de façon abrupte. Passé Saint-Claude, les scouts évoluent sous les fougères arborescentes, les gommiers blancs hauts de 30 à 35 mètres, et sous les châtaigniers tropicaux. C'est le royaume de l'humidité qui rend la forêt parfois impénétrable. Sorti de cette luxuriance végétale, c'est l'ascension du volcan qui

1

commence et qui peut s'effectuer parfois dans le brouillard. Un sentier vaguement tracé permet d'atteindre le sommet, mais bien souvent il faut se hisser à l'aide des mains. Au retour, après la Savane à Mulets, une halte aux Bains Jaunes, bassins ombragés dans la forêt tropicale, ravit l'ensemble de la troupe. L'eau ferrugineuse dont la température avoisine les 26 ° délasse les jambes après la journée de marche. Il arrive que la troupe de Basse-Terre accompagne d'autres scouts dans l'ascension. Ainsi, Michel Feuillard a fait l'ascension du volcan pour la première fois avec les scouts de Pointe-à-Pitre, lorsqu'il était enfant. Ils partaient le samedi de la Grande-Terre pour dormir dans la salle paroissiale de Saint-Claude et effectuer la montée dès les premières heures du jour, le dimanche.

D'autres fois la troupe basse-terrienne prend la direction de Matouba pour s'enfoncer dans la végétation luxuriante qui borde les torrents descendant du massif montagneux. La végétation y est toujours prête à reprendre ses droits et les scouts doivent se munir de coutelas afin d'ouvrir la trace envahie par les fougères et les lianes qui d'arbre en arbre entrelacent leurs immenses tiges. Souvent les vallées deviennent de plus en plus profondes et la troupe a l'impression de s'enfoncer dans des gouffres de verdure que la lumière du soleil a du mal à transpercer. La « Trace Victor Hugues », ouverte par les Éclaireurs de France dans les années vingt est un « classique » des marches scoutes de cette période. La trace est rendue souvent difficile par les mangliers-montagnes dont les branches entrelacées résistent au coutelas. Après le col de Météliane, les scouts font halte à l'Ajoupa Moynac, abri de tôle qui permet de bivouaquer pour la nuit. Le col de l'Incapable et la crête Palmiste précèdent la descente sur Montebello et Petit Bourg. D'autres fois, les scouts partent de Petit-Bourg durant la première journée. Après la nuit à l'Ajoupa, ils rejoignent Matouba où ils passent la seconde nuit. Enfin, le troisième jour ils redescendent sur Capesterre-Belle-Eau par les chutes du Carbet.

À côté des explorations, la marche constitue aussi le moyen souvent unique de se rendre sur les lieux de campement. Les marches d'approche pouvaient d'ailleurs s'avérer très dures physiquement. Jean Rivier se souvient d'un camp à Fond-Cacao (commune de Capesterre-Belle-Eau) durant la Seconde Guerre mondiale. Les scouts de Pointe-à-Pitre avaient fait la traversée Pointe-à- Pitre/Sainte-Marie, où il y avait un accotement, en bateau, puis la montée jusqu'à Fond-Cacao à pieds, ce qui représente une distance d'à peu près onze kilomètres. Ils avaient construit une charrette pour transporter la nourriture et le matériel. « On allait camper quinze jours ; donc il fallait du matériel, de la

nourriture, puisqu’à l'époque c'était la guerre, et donc il fallait partir avec ses denrées. Cela est resté gravé, car il fallait tirer la charrette ; ça monte ! » (J.

Rivier). La cartographie, indissociable des marches exploratoires, devient une activité essentielle. Les déplacements à la boussole (marche à l'azimut), ainsi que les techniques d'orientation de carte et de lecture afin d'appréhender les reliefs et de choisir des itinéraires, deviennent indispensables aux scouts

guadeloupéens qui se déplacent dans un milieu souvent peu exploité par l'homme (forêt tropicale exubérante en Basse-Terre ; falaises, champs de cannes et forêts d'épineux en Grande-Terre…). Les explorations pédestres reposent ainsi sur un effort physique, mais aussi sur un travail intellectuel. « C'est la tête

et les jambes ! C'est très formateur pour les jeunes. » (G. Berry).

Outline

Documents relatifs