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Chapitre I er L’assimilation, un axe politique et social central dans la Guadeloupe coloniale (premier quart du XXe S.)

CHAPITRE 4 Les Scouts de France de Guadeloupe

4 Objectifs et activités

4.5 L’apprentissage de la discipline

Cette éducation du corps par la confrontation à la nature favorise un apprentissage de la rigueur et de la discipline. Dans l'éducation scoute guadeloupéenne, cette dernière suit trois orientations : elle réside d'abord dans le respect des règles qui régissent la vie scoute ; elle s'exprime ensuite par la surveillance permanente des membres ; elle repose enfin sur une morale stricte. La discipline doit être entendue comme un ensemble d'obligations qui règle la vie du jeune au sein de la troupe. Obéissance et respect de la hiérarchie en font partie, mais aussi aide au prochain ou corvées lors de la vie en groupe. C’est surtout lors des camps que cet apprentissage s’effectue. Par le camp le jeune s’imprègne des valeurs du scoutisme. Lors des camps il y est baigné totalement, et pour une période de temps importante. Il doit se soumettre aux règles de la Loi scoute, mais aussi aux chefs (chef de patrouille, chef de troupe). Avec la création du mouvement en pleine guerre en Afrique du Sud, s’établit le lien avec le passé militaire du fondateur du scoutisme, Baden Powell. Toutefois,

« (…) le mouvement scout n’a pas renié son origine guerrière, mais il a évacué la réalité de la guerre, sa violence et sa souffrance, pour ne conserver que l’exaltation du courage, de l’audace et du dévouement. »1

De fait, cette orientation militariste n’implique pas que la discipline soit une fin en soi ; elle est au service de l’efficacité de l’action : « Je n’ai pas l’impression qu’il y avait

une discipline pour la discipline. La discipline était pour le résultat d’une action, qui était librement consentie. »2 Pour la plupart des anciens scouts, l’ordre et l’obéissance sont une nécessité pour faire fonctionner le mouvement. Dans la période étudiée, la discipline s’inscrit dans un contexte éducatif et social où elle est valorisée ; où elle garantit l’efficacité de l’éducation (en famille, à l’école, dans les patronages…). L'autorité du père, comme celle du maître, est incontestée. « Le Pater familias avait une autorité totale », nous dit Ginet Brument, qui se souvient avoir reçu des fessés mémorables pour être sorti en cachette jouer dans la rue. La relation aux parents repose sur le respect et l'obéissance. La peur du châtiment corporel et de l'humiliation régit les rapports entre parents et enfants. Les maîtres et les maîtresses d'école ont, eux aussi, toute autorité sur l'enfant ; ils en reçoivent délégation des parents. Le respect de la discipline est perçu comme une nécessité éducative que la société valorise.

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A. Baubérot, N. Duval, op. cit., p. 13.

2

Mme Colombo, précise ainsi « qu’il y avait des groupes d’enfants de 120, 90,

80, et ça allait tout naturellement. Personne ne désobéissait. Ce n’était pas comme les jeunes de maintenant. Notre moniteur, M. Ambasoire disait ça, et puis c’était ça ! Tout marchait bien. »1

La discipline scoute s’inscrit donc dans un contexte social et éducatif favorable. Elle apparaît comme une nécessité pour le fonctionnement du mouvement et garantit l’efficacité des actions menées. La discipline centrée sur la soumission aux règles du scoutisme réside dans le respect de la hiérarchie ; la structure du mouvement en constitue l'expression la plus significative. Les scouts sont divisés en branches différentes suivant les âges et les sexes : les garçons de 8 à 11 ans sont regroupés au sein de la Meute

de louveteaux, les adolescents de 11 à 18 ans, au sein de la Troupe des scouts, et

les jeunes gens, au sein de la Route. Chacune des différentes branches (louveteaux, éclaireurs, routiers) est dirigée par un « chef », en général adulte. L’ensemble des branches est sous la responsabilité d’un autre chef appelé « chef de groupe ». Certaines activités peuvent regrouper l’ensemble des différentes branches ou bien une seule des branches. Enfin, ces dernières sont elles-mêmes divisées en groupements de 10 à 12 membres qui forment des « patrouilles ». Ces patrouilles font souvent des activités de façon autonome ; elles constituent l’organisation hiérarchique de base du mouvement scout, soumise à l’autorité d’un « chef de patrouille ». On ne peut acquérir ce grade qu’après un certain nombre d’années passées au sein de la patrouille. La progression hiérarchique se fait lentement, au mérite par l’obtention de brevets de spécialités et de badges et s'échelonnent du grade de « novice » à celui de « Chevalier de France » ; en passant par l'aspirant, la seconde classe, et la première classe. Chacun de ces niveaux est obtenu par le passage d'épreuves scoutes tel que l'observation, l'orientation, la culture physique ou la signalisation, entre autres. La discipline fonctionne ici comme un système de gratifications-sanctions qui permet d'imposer son pouvoir sur autrui. Cette hiérarchie s’établit par l’âge (en ce qui concerne les chefs de troupes), mais surtout par la compétence, à partir de l’obtention des badges. Ce sont les badges qui assurent la reconnaissance du scout apte à devenir second ou chef de patrouille. L’ancienneté et l'obtention de ces différents niveaux donnent le droit de commandement sur les moins anciens ; ainsi, en l’absence du chef, le « second de patrouille » prend le commandement, puis le suivant par ordre d’ancienneté. Pour les anciens du mouvement, c’est cette délégation de pouvoir qui empêche les chefs de tomber dans l’embrigadement idéologique des jeunes. « C’était tellement décentralisé,

qu’on ne peut pas parler d’embrigadement » (Jean Rivier). D’autant plus que

les chefs de patrouilles ont le même âge que leurs camarades et que les décisions sont prises de façon collégiale, dans le cadre de la Loi.

Cette hiérarchisation pyramidale, garant de la discipline au sein des groupes scouts, se retrouve dans l'organisation géographique du mouvement. La

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Guadeloupe est assimilée à une province, composée de deux districts : le district de Basse-Terre et celui de Grande-Terre. Chaque district se compose de plusieurs groupes scouts. Un commissaire de province est responsable hiérarchique de la province. Chaque district est sous la responsabilité d'un commissaire de district. Du commissaire de province au commissaire de district, puis du chef de groupe au chef de troupe, et enfin de ce dernier au chef de patrouille, les pouvoirs se répercutent donc jusqu’au scout de base. Au sein de la troupe, le chef reste la référence ; c’est lui qui prend les décisions. Il en fait part aux chefs de patrouilles lors de Conseils ; ceux-ci retransmettent les directives aux membres des patrouilles. C’est aussi lors de ces Conseils mensuels que l’on étudie le comportement des membres des patrouilles. Le manquement aux principes du scoutisme peut alors entraîner la parution devant un Conseil de la Loi, constitué des chefs de troupe et des chefs de patrouilles, et qui décide des sanctions, après explication des éclaireurs mis en cause. Mais les sanctions ne sont jamais physiques ; il n’y a pas de châtiments corporels chez les scouts de Guadeloupe. Les sanctions peuvent être des corvées, des suppressions de distinctions, des privations d’activités, voire des expulsions.

Dans une seconde approche, la discipline réside dans la surveillance que le groupe instaure sur chaque scout. L'organisation pyramidale, fortement inspirée de l’organisation militaire, traduit une soumission aux chefs qui favorise la surveillance des jeunes par eux-mêmes. Il s'agit là d'une surveillance hiérarchisée : « (…) car s'il est vrai que la surveillance repose sur des individus,

son fonctionnement est celui d'un réseau de relations de haut en bas, mais aussi jusqu'à un certain point de bas en haut et latéralement ; ce réseau fait "tenir" l'ensemble, et le traverse intégralement d'effets de pouvoir qui prennent appui les uns sur les autres : surveillants perpétuellement surveillés. »1 Ce système

permet une éducation basée sur le respect des ordres des supérieurs et de ses pairs que les jeunes retrouvent dans l’armée, mais aussi dans l’organisation de la société (famille, travail…).

L'organisation spatiale du camp reflète aussi une dimension axée sur la surveillance. Les tentes sont généralement positionnées en cercle au centre duquel le mât aux couleurs est installé, et où se déroulent les rassemblements de la troupe. Ce positionnement circulaire permet au chef d'embrasser du regard la totalité des tentes des patrouilles. À partir du point central ou de n'importe quel point du cercle, la surveillance s'avère complète et rapide. « L'appareil

disciplinaire parfait permettrait à un seul regard de tout voir en permanence. Un point central serait à la fois source de lumière éclairant toutes choses, et lieu de convergence pour tout ce qui doit être su : œil parfait auquel rien n'échappe et centre vers lequel tous les regards sont tournés. »2 L'organisation du camp scout adopte cette structure circulaire qui facilite la surveillance de la

1

M. Foucault, Surveiller et punir, Paris, Gallimard, 1975, p. 208.

2

troupe. Le mât central devient ainsi « l'œil » à partir duquel la hiérarchie surveille, mais aussi le point de convergence du regard des scouts. Au coup de siffler rassembleur, plusieurs fois par jour, ils accourent tous à ce point central, cœur de toute l'organisation spatiale du camp. La discipline dépasse ici le simple respect de la règle et de la Loi pour intégrer l'occupation de l'espace. Rassemblements de la troupe autour du mât et rangs serrés traduisent cette « discipline spatialisée ». La répartition des scouts dans les rangs témoigne aussi de la dimension spatiale de la discipline : derrière le chef de patrouille, les scouts sont positionnés par ordre d'ancienneté, le moins ancien de tous venant juste après le chef comme pour être mieux protégé et éduqué, mais aussi surveillé par ce dernier. La répartition a ainsi pour but de hiérarchiser les compétences, mais aussi d'assurer la surveillance et éventuellement de châtier. Uniformes impeccables, cris de patrouilles et de troupes relèvent aussi de cette dimension disciplinaire.

Enfin, le troisième axe de l'application disciplinaire dans le scoutisme se situe dans la soumission à une formation morale stricte. Ainsi, en Guadeloupe, si la discipline n’était jamais synonyme de violences physiques, elle pouvait prendre l'aspect de violences psychiques par les contraintes de la pratique. Par exemple, la vie du camp pouvait être dure. Il fallait aménager le camp en bois (tables, autels, toilettes…) ; dormir sous de simples doubles-toits dans des zones souvent infestées de moustiques, fréquents dans les régions tropicales ; se débrouiller avec ce que l’on avait sous la main (pour faire la cuisine, par exemple) ; marcher durant des heures lors d’explorations ; etc. Une vie spartiate qui était censée forger le caractère et le physique, comme en témoigne aussi le camp-retraite qui s’est déroulé les 24 et 25 août 1940 aux Mangles1 : lever à 5 h 30, gymnastique en patrouille ; puis toilette, lever des couleurs, messe, et enfin, petit-déjeuner. Grand-messe en milieu de matinée, puis messe après le repas de midi, suivi du cérémonial de la Promesse. Cette formation physique et morale qu'est le scoutisme se veut donc d'abord l'apprentissage d'une discipline et d'un ordre quasi militaire. Le nº 5 de Clartés2, dans sa rubrique « Nos œuvres de Jeunesse », publie un article sur un camp scout qui s'est déroulé à Ducharmoy entre le 16 et le 20 septembre 1945 : « Un camp… Sous la pluie ». Tous les soirs, les scouts se couchent au « couvre-feu », pratique militaire, appliquée en temps de guerre. Mais il n’y avait pas de violence physique. « La

seule chose que nous imposions, c’était des rondes de camps la nuit pour permettre aux jeunes de se maîtriser » raconte Ginet Brument. « Certains avaient très peur, mais ils arrivaient à se maîtriser ». Le passage de la

promesse pouvait aussi donner lieu à ce genre d’actions : « On bousculait un

peu le jeune au moment où il passait sa promesse, pour lui montrer que dans la vie ça ne sera pas facile ». (G. Brument). L’éducation scoute est ainsi une

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L’Écho de la Reine de Guadeloupe, nº 275, septembre 1940, p.285. L’article a été écrit par “Aigle hardi ” (totem d’un chef scout).

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éducation virile, disciplinée, militaire, respect des règles communautaires. Mais cette éducation repose sur une violence que l'on pourrait qualifier de symbolique dans le sens où les contraintes qui pèsent sur le jeune scout ne sont pas nécessairement le fait de forces physiques, mais idéologiques et morales. La « pression » exercée par la vie des camps en communauté, par les activités menées, est contenue dans l'essence même du scoutisme. Ce dernier est destiné à forger des individus capables d'accepter les contraintes que veut la méthode. Ainsi, le recrutement se faisant principalement dans les catégories socioprofessionnelles aisées, la vie scoute, et principalement celle des camps, confronte les enfants de ces couches sociales à des conditions de vie difficiles et rudes qu'ils n'ont pas l'habitude de rencontrer dans leurs milieux familiaux. Pour eux, la pratique du scoutisme peut s'avérer être une violence morale et parfois physique, à laquelle sont plus soumis les enfants défavorisés, amenés à travailler dans la canne à sucre, par exemple. En coupant les jeunes du « cocon » familial, le scoutisme local agit comme un outil déstructurant qui les place pour un temps dans la précarité des familles pauvres. En ce sens, il peut être synonyme d'une certaine violence. Certains rituels peuvent aussi contenir des actes moralement et physiquement violents. Le cas du passage de la Promesse signalé par G. Brument en est un exemple. La « totémisation » en est un autre. Ce rituel, issu de l'indianisme des premières années du scoutisme, consiste à donner aux scouts aguerris et méritants un nom d'animal et un qualificatif de son caractère. Des épreuves physiques accompagnent la totémisation. Certaines dérives de violence physique (brûlures, coupures…) ont été le support d'un tel rituel et le siège national se voit contraint de les dénoncer au lendemain de la Seconde Guerre mondiale tant le problème semble se généraliser. La revue Le Chef 1 s'en fait l'écho et met en garde les dirigeants des troupes contre ces voies de fait sur les jeunes. La totémisation, si elle repose sur des épreuves physiques, ne peut en aucun cas porter atteinte aux futurs « sachems »2. La violence dépasse ici la contrainte morale pour s'installer dans une cruauté physique contraire à l'esprit du mouvement. Chez les scouts guadeloupéens, la totémisation est peu répandue (contrairement aux Éclaireurs de France locaux3) et ne semble pas avoir donné lieu à de tels actes. Ici, les directives nationales semblent être appliquées et les dérives inexistantes. Ainsi, dans le scoutisme local, la violence semble être plus morale, plus centrée sur les règles de conduite des jeunes, que physique, et ne constitue qu'un moyen d'éducation aux difficultés de la vie.

1

Claude Peignot, C.R. adjoint d'Ile de France, Réflexions sur la totémisation, revue Le Chef, nº 222, janvier 1946.

2

Nom donné aux scouts totémisés.

3

Ainsi, parmi les anciens EDF interrogés tous ont été totémisés, ce qui n'est pas le cas des SDF : Victor Lacrosil fut totémisé Loup gris ; Guy Cornely Coq volontaire ; Camille Trébert Jaguar

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