• Aucun résultat trouvé

Chapitre I er L’assimilation, un axe politique et social central dans la Guadeloupe coloniale (premier quart du XXe S.)

CHAPITRE 4 Les Scouts de France de Guadeloupe

4 Objectifs et activités

4.1 Servir Dieu et la Patrie

Le service de Dieu et de la Patrie est un axe central de toute la formation scoute guadeloupéenne : faire des citoyens responsables face à la société et à Dieu. C’est d’ailleurs avec émotion que Ginet Brument 2

cite ces mots de la Promesse : « Je m’engage à servir de mon mieux Dieu, l’Église et la Patrie ;

aider mon prochain en toutes circonstances… ». Le scoutisme local se veut être

un scoutisme catholique fidèle à l’Église. Le scout est au service de Dieu. Ici, le mouvement guadeloupéen s'ancre dans la doctrine du scoutisme français. En effet, pour le Père Sevin « la religion catholique donne au scoutisme la

plénitude de son âme et la fait resplendissante »3. Au-delà de la formation de

bons catholiques, le Père Sevin cherche à former des jeunes qui prennent des responsabilités au sein de l’Église et de la société. Ces prises de responsabilité s’expriment par la direction et l’organisation de la patrouille, de la troupe, et des différentes activités pratiquées. Il s’agit d’un catholicisme en action. L’aumônier joue alors un rôle central au côté du chef scout.

Mais s'il est tourné vers l'action, s’il apparaît « (…) comme un puissant

moyen d’évangélisation de la jeunesse populaire »4

, le scoutisme n'est pas un

1

Entretien avec Mme T. Montrésor. 26 avril 1999. Sainte-Anne

2 Entretien avec G. Brument, ibid. Baie-Mahault, le 3 août 1999. Ginet Brument fut scout dès

1943, et adjoint puis chef de la troupe de Pointe-à-Pitre entre 1948 et 1955.

3 Didier Pirrodon, Le Père Jacques Sévin, p. 58, in : ouvrage collectif. Le scoutisme. Quel type

d’hommes ? Quel type de femme ? Quel type de chrétien ? Paris, Cerf, 1994, 515 p. L’article

reprend les éditoriaux écrits par le Père Sevin dans la revue Le Chef, et recueillis dans Pour

penser scoutement, Paris, Ed. Spes, 1934.

4

mouvement d'action catholique, au même titre que les Jeunesses Ouvrières Chrétiennes, les Jeunesses Étudiantes Chrétiennes ou d'autres mouvements patronaux (Cœurs et Âmes Vaillantes, par exemple). Il est en ce sens moins lié à l'Église. S'il est un mouvement catholique, il n'est pas dans une soumission totale à la hiérarchie ecclésiastique et aux prêtres qui œuvrent sur le terrain. Le mouvement scout a d'abord une direction laïque, et non cléricale. Beaucoup de laïques investis dans le scoutisme local sont des figures importantes de la Guadeloupe qui ont des professions leur permettant une certaine reconnaissance sociale. C'est le cas de Jean Gothland, directeur de la plus grosse quincaillerie de Guadeloupe, de Jean Rivier, commerçant de Pointe-à-Pitre ou plus tard de Michel Feuillard, directeur du laboratoire de physique du globe à Gourbeyre. Ce qui fait dire à Oscar Lacroix que ces hommes n'étaient pas « bénis oui oui » face à la hiérarchie ecclésiastique et s'en considéraient comme indépendants. Pour Ginet Brument, ancien chef de la troupe de Pointe-à-Pitre, les scouts guadeloupéens ne sont soumis à aucune directive de la hiérarchie ecclésiastique locale. Bien souvent, il n'y avait même pas d'aumônier au camp et il fallait le demander à l’évêché. L’aumônier, s’il est présent, apparaît surtout comme une autorité morale. Pour Oscar Lacroix il est une présence active dans le sens où il accompagne les jeunes durant leurs activités et les oriente sur la voie de la spiritualité chrétienne. Le prêtre a pour mission de parler de Jésus Christ et de l'Évangile. Il rassemble les jeunes pour des prières en commun ; il dit la messe (souvent préparée par les scouts eux-mêmes) ; il organise des causeries religieuses. Il est aussi une aide pour le chef scout, mais en aucun cas il ne prend des décisions. Le chef reste la seule autorité décisionnelle, le prêtre ne pouvant que donner son avis dans les discussions. Mais, bien sûr, cela dépend de la personnalité du prêtre. La troupe du Moule, par exemple, était davantage dirigée par le Père Durand que par son chef : « Je pense en particulier à la

troupe du Moule, où le Père Durand avait une personnalité extraordinaire. Je ne dis pas qu’il l’effaçait, mais il laissait moins d’autonomie au chef. » (G.

Brument)

L'éducation religieuse donnée chez les scouts était vécue de façon consentie, non imposée. L’action des aumôniers sur le terrain ne semble pas laisser percevoir une quelconque pression de la hiérarchie ecclésiastique. Faisant de nouveau allusion à la troupe du Moule, G. Brument précise : « Mais plutôt que

la pression de l’Église, c’est la pression d’un homme qui était importante. ». Il

semble au contraire que les pratiques religieuses scoutes séduisent les jeunes. Chez les scouts, la foi est vécue dans un univers différent du culte classique, en pleine nature, dans une communion des jeunes souvent en nombre réduit (la patrouille ou la troupe), qui laisse une grande liberté d'expression aux jeunes et qui les détache de la rigidité des dogmes catholiques. Les pratiques religieuses en pleine nature donnent à la religion une aura particulière et nouvelle pour l'époque et le lieu. Ainsi, accompagnées de chants en français (et non plus en latin), les messes scoutes insufflent du renouveau dans la colonie et plus

largement dans tout le catholicisme français. Le Père Doncoeur, aumônier scout de métropole, fut un des pionniers des chants français dans les messes, et les pratiques religieuses scoutes ne sont pas étrangères au renouveau liturgique de la fin des années cinquante.

La journée d’un aumônier scout durant les camps est rythmée par les activités avec les jeunes et les pratiques religieuses. Le matin la prière s’effectue en commun. La messe a lieu après le petit-déjeuner. Elle est préparée par les scouts. Le goûter sera suivi d’une causerie religieuse durant laquelle seront abordés divers thèmes sur la société ou la place de Dieu dans son développement personnel. Enfin, le soir, après la veillée, la prière du coucher sera faite autour du feu dans un recueillement collectif.

Processions du 15 août en l'honneur de la Vierge et cérémonies religieuses de Noël ou de Pâques voient fréquemment la présence de troupes scoutes. La participation aux manifestations de l'Église locale est aussi l'occasion pour le mouvement de marquer sa présence. Le Père Chalder se rappelle que les scouts animaient la messe en uniforme une fois par mois, parfois aux côtés des Sonis. Cette religiosité s'inscrit dans un contexte de pratique régulière de la population, principalement dans les milieux aisés où recrute le scoutisme catholique de cette période. Si l'Église craint la laïcisation de la société, celle-ci reste en majorité très pratiquante. Ginet Brument se souvient que le « bénédicité » est systématique avant chaque repas en famille, et l'instruction religieuse est obligatoire tous les jeudis.

Mais la religiosité des scouts de Guadeloupe semble davantage se vivre au quotidien, dans les actes de service et d’entraide qu’ils apportent à la population ou dans la collectivité des activités qu’ils pratiquent. Centré sur l’esprit de tolérance, l’acceptation d’autrui, le scoutisme local est une école de tolérance. Cette acceptation d’autrui passe par une organisation à plusieurs et constitue un véritable apprentissage de la démocratie. Les troupes et les patrouilles fonctionnent sur le modèle de la coopération. Le journal Clartés, voix de l’évêché guadeloupéen, met en avant cet objectif de formation sociale. Le nº 141

publie « Le dernier message de Baden Powell » dans lequel le fondateur du mouvement précise les objectifs du scoutisme : « Mais le vrai chemin du

bonheur c'est celui qui vous incite à apporter le bonheur aux autres. » La

solidarité est bien le but premier du scoutisme. L’utilité sociale du scoutisme passe par des actions d’aide telles que l’intervention auprès de la Croix Rouge lors de cyclones ou tout simplement dans la « BA » (Bonne Action). Le sens du service constitue la devise du Routier (branche des 17-20 ans). La première organisation guadeloupéenne se réclamant du scoutisme n'avait-elle pas pour nom les « Dévoués » ? N'avait-elle pas été créée pour aider la population ? N'avait-elle pas mis en place le premier service de pompier de la colonie ? Ainsi, d'un point de vue doctrinal, le scoutisme guadeloupéen est en totale

1

adéquation avec les visées du Père Jacques Sévin et du Chanoine Cornette, fondateurs du scoutisme français. Pour le Père Sévin, le scoutisme est un mouvement d’éducation civique. La vie en communauté, en patrouille, dans la nature développe ce sens civique. « L’enfant apprend à s’armer pour vivre dans

la société. Par la pratique (…) de la Bonne Action, il apprend à devenir serviable. »1 La vie des camps avec la répartition des tâches, la construction en

commun de lieux de vie en bois, les activités physiques pratiquées, et notamment des grands jeux collectifs de plein air, participent à l’apprentissage de la vie en société prôné par le scoutisme français. Cette utilité envers son prochain constitue un des éléments de la loi scoute ; le nº 182 du journal Clartés la résume en ces termes : « service, courtoisie, travail bien fait ».

Le scout est aussi au service de la Patrie : « Le scoutisme catholique rêve

d’un patriotisme utile : le scout doit être un citoyen au service du pays. »3

Le scoutisme local s’inscrit dans une logique d’assimilation du peuple guadeloupéen à la « mère patrie », la France. Il constitue ainsi un outil supplémentaire d’acculturation et d’assimilation à l’Empire français. Le scoutisme guadeloupéen se positionne à la fois comme un outil éducatif de l’Église, mais aussi du pouvoir colonial, ce qui le rend spécifique par rapport à son homologue métropolitain. Mais comme ce dernier, il se situe dans la logique de reconquête sociale de l’Église catholique dans les années d’entre- deux-guerres. Moyen d’évangélisation, il constitue un véritable « Ordre », dans le sens où il est une organisation « parfaitement hiérarchisée et adaptée à

souhait aux aspirations et aux besoins de ceux qui en font partie : voilà l’Ordre. C’est dans ce sens qu’on a parlé d’Ordre romain, d’Ordre de chevalerie. C’est dans ce sens aussi que nous parlons d’Ordre scout. »4 Cette notion d’ordre ancre le scoutisme dans le catholicisme social que l’Église développe depuis la fin du XIXe siècle, et qui s’appuie sur le corporatisme pour lutter contre le capitalisme effréné. En ce sens, il est en accord avec les directives du Pape Pie XI dans son Encyclique Quadragesimo anno du 15 mai 1931.

Ainsi, pour les scouts guadeloupéens c’est la France impériale qu’il faut sauver. La Guadeloupe fait partie de la grandeur de l’Empire, et le scoutisme local participe à cette logique de restauration. Tout comme le scoutisme métropolitain, le scoutisme local œuvre pour une France, puissance impériale. Le scout veut être dans la lignée des conquérants, les Lyautey, les Bournazel, de tous ceux qui ont édifié l’Empire. Le scout guadeloupéen ne se démarque pas des idéaux du scout métropolitain. Il se réclame du même patriotisme, dans un souci d’assimilation à la mère patrie : « Le patriotisme était très important.

1 D. Pirrodon, op. cit., p. 56. 2

2 mars 1946.

3

M. Héluwaert, Pour l’éducation populaire, Paris, L’Harmattan, 2004, p. 41.

4

Père Hyacinthe Maréchal, Scouts de France et Ordre chrétien, Ed. de la Revue des jeunes, Desclées de Brouwer, 1934. Cité par C. Guérin, op. cit., p. 181.

Chaque matin, il y avait le lever aux couleurs, le drapeau tricolore et la flamme scoute ». (G. Brument).

Outline

Documents relatifs