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Chapitre I er L’assimilation, un axe politique et social central dans la Guadeloupe coloniale (premier quart du XXe S.)

CHAPITRE 3 Les Groupes de Sonis 1 Que sont les Groupes de Sonis ?

8 Les activités pratiquées par les Groupes de Sonis

8.1 Les activités sportives

La gymnastique (mouvements d’ensemble, pyramides humaines, barres parallèles et barre fixe), première activité pratiquée, ancre les Sonis dans le « moule » des sociétés de gymnastique métropolitaines. Pratique sportive disciplinée, rigide, la gymnastique relève de la logique patriotique et militaire.

« L’empreinte militaire marque profondément la gymnastique, dans la conception des exercices et des méthodes d’entraînement, dans le recrutement des moniteurs, dans le style des festivités (défilés, uniformes, drapeaux) et dans les finalités. La préparation militaire est donc très directement associée à la gymnastique. »2 Les Sonis de Pointe-à-Pitre ont une section de gymnastique performante et reconnue dans toute la colonie. Les Sonis pratiquent aussi la gymnastique suédoise, à la fois dans un but hygiénique, mais aussi disciplinaire : « Cette gymnastique suédoise, tout en satisfaisant une demande

locale de santé publique à caractère utilitaire, tout en répondant aux volontés assimilationnistes des masses noires, est une mise en ordre généralisée dans la soumission des corps. »3

Le football est pratiqué dès les débuts du mouvement. Les premiers matchs en Guadeloupe sont à l’instigation de l’abbé Durand en 1914, à Basse-Terre sur le champ d’Arbaud. Comme nous l’avons précisé, les Sonis sont à l’origine de la diffusion du football dans la colonie et de la création de beaucoup de clubs guadeloupéens qui évolueront plus tard dans le championnat de la Fédération Française de football : la Good Luck, le Racing, le Club Sportif Moulien (créé aussi par l’abbé Durand). Jusqu'aux années cinquante, ces équipes de Sonis participent au championnat de la Ligue de football. La Place de la Victoire à Pointe-à-Pitre ou le champ d'Arbaud à Basse-Terre, deviennent les terrains du

1

L. Munoz, Une histoire du sport catholique. La Fédération sportive et culturelle de France.

1898-2000, Paris, L’Harmattan, 2003, p. 49.

2

L. Munoz, idem, p. 101.

3

championnat local. Si le premier organisme officiel chargé d'organiser les pratiques sportives, dont le football, voit le jour en novembre 1929 (Club Guadeloupéen des Sports Généraux), le premier championnat de la Guadeloupe n'est organisé qu'en 1941, par le Comité d'Éducation Physique, sur les nouveaux stades construits par le gouverneur F. Éboué entre 1936 et 1938. Parmi les équipes engagées, celles qui émanent des Sonis ou des Éclaireurs de France sont majoritaires.

L’athlétisme constitue aussi une activité privilégiée chez les Sonis. La section d’athlétisme de Port-Louis participe aux courses de fond (4 et 6 kilomètres) et aux courses de relais par équipe, autour de la Guadeloupe. Les lancers de poids, javelot, et les sauts font aussi partie des activités pratiquées par les Sonis. Là aussi, la Place de la Victoire comme le Champ d'Arbaud font office de stades. Les compétitions ne se déroulent pas sur des distances précises, mais sur des « tours de Place » ou du « champ », sans chronométrage bien souvent, faute de matériel. Seuls les 100 et 200 mètres sont courus sur des parcours mesurés. Il faudra attendre le 20 juillet 1941 pour que soit organisé le premier championnat d'athlétisme sur le stade du Raizet, récemment construit.

Dès la fin de la décennie 1930, face à la diversification croissante des clubs sportifs et des pratiques qui touchent la colonie, les Sonis vont introduire des activités nouvelles pour l'archipel, que les laïques lancent en parallèle (chez les EDF et au sein de la Ligue de l'Enseignement). La Maristella du Gosier pratique la natation (en mer) et le volley-ball. Port-Louis pratique l’haltérophilie et la musculation. À partir de l’année 1939 se développe la pratique du basket-ball. Cette activité collective est parfaitement adaptée aux normes et aux valeurs des patronages. « Le basket-ball ou balle au panier est considéré comme un jeu de

passes et d’adresse qui contribue au développement physique intégral : un sport complet. La brutalité étant sévèrement pénalisée les risques d’accident sont réduits au maximum (…) Le terrain restreint permet de jouer dans les cours de patronages. »1 Lors des stages de formation des cadres de l’Union

Guadeloupéenne, des informations sur le règlement et la technique du basket sont systématiquement prévues au programme2.

À partir des années trente, les groupes de Sonis vont donc introduire dans leur formation les sports et contribuer ainsi à leur diffusion dans la société. Comme le précise L. Cellini : « Tout à Gosier a pris naissance au sein de la

Maristella : le football, l’athlétisme… Tout » (L. Cellini). L’Église

guadeloupéenne, par l’intermédiaire des Groupes de Sonis, est à l’origine de l’implantation des activités sportives (football, athlétisme, gymnastique, natation…) et des activités culturelles (théâtre, musique) dans la plupart des communes de l'archipel. Pour beaucoup de jeunes guadeloupéens, les organisations de jeunesse sont en fait les seules possibilités de loisir. Les

1

L. Munoz, op. cit. P. 117.

2

associations sportives viendront plus tard. Dans les bourgs il n'y a guère que les Sonis, les SDF et les EDF. « Les mouvements de jeunesse ont été les premiers

loisirs (…) C'était les seuls loisirs qu'on pouvait avoir. Les SDF nous permettaient de quitter le milieu familial, quand on allait camper dix ou quinze jours. Il n'y avait pas beaucoup d'autres choses. Moi je n'ai pas connu beaucoup d'autres choses. » 1

Ces différentes activités sportives donnent lieu à des compétitions organisées par l’Union Guadeloupéenne, l’union régionale de la FGSPF. Cette dernière est à l'instigation du lancement de nombreuses rencontres sportives comme la course de relais par équipe Pointe-à-Pitre/Basse-Terre par exemple, et de la plupart des championnats que les ligues unisport reprendront à leur compte à partir des années cinquante.

Favorisée par la hiérarchie catholique locale, tout comme par le pouvoir colonial, l’introduction des activités sportives importées des pays européens industrialisés participe à l’assimilation des populations antillaises. Le type d’activités physiques est révélateur d’une volonté d’éduquer par des sports qui demandent effort, obéissance, persévérance, autant de valeurs chères à la pensée chrétienne et occidentale, témoins là aussi de finalités assimilationnistes. La gymnastique et les mouvements d’ensemble demandent travail et rigueur. Par leur mode d’organisation pédagogique, ils favorisent la formation du type d’être social voulu par l'Église : discipliné, altruiste et cultivant le goût de l'effort. L'athlétisme demande persévérance et entraînement. Ces activités physiques sont à dominante biomécanique et énergétique. La reproduction de formes y est centrale : formes militarisées, rigides, standardisées. La discipline individuelle et collective garantit ici l’expertise gestuelle. Les sports collectifs, quant à eux, instaurent une relation à l’environnement humain censée développer la « socialisation », la discipline de groupe, l’entraide et la coopération. L’individu s’efface au profit du collectif, s'inscrivant ainsi dans les orientations de l'œuvre sociale de l'Église. Le sport participe ainsi à l’œuvre de civilisation des populations indigènes. Ces dernières, considérées comme encore « sauvages », doivent être « civilisées ». C’est ce que précise T. Jobert (2006) : « Le regard

qui est porté sur le sportif noir tend à se structurer autour de deux figures antinomiques et complémentaires : le civilisé et le sauvage (…). Les situations d’ascension sur l’échelle de la renommée comme la réalisation de performance contribuent à la reconnaissance de leur caractère de civilisé (…) »2

Au-delà du respect des statuts fédéraux, l’introduction, dans l'éducation Sonis, des sports importés des pays européens industrialisés, crée de nouveaux cadres de pratique, de nouvelles sociabilités, des règles inédites. En adhérant à des valeurs issues de la métropole, la jeunesse antillaise subit une mutation qui la fait s'adonner aux pratiques du groupe colon dominant. L'apprentissage des

1

Entretien avec Michel Feuillard. 14 mai 1999. Saint-Claude.

2

sports provoque ainsi des déculturations et des réorganisations culturelles qui participent à l'assimilation des populations. Ils doivent être considérés comme des transferts culturels de la société métropolitaine vers la société antillaise. La compétition sportive moderne, inventée par les sociétés industrielles, peut être considérée comme un outil d’assimilation qui place tous les pratiquants dans un moule de formation occidental. En ce sens, il nous semble que les sports agissent au même titre que les institutions mises en place par l'État ou l'Église : école, conscription… Ces activités deviennent des supports pertinents de l’inculcation de normes1

étrangères, en l’occurrence métropolitaines. Dans cette logique, les activités traditionnelles créoles (canot à voile, danse traditionnelle…) ne peuvent être pratiquées dans ces sociétés sportives. L’assimilation culturelle s’exprime pleinement dans les activités, comme dans leurs modes d’organisation pédagogique fortement centrés sur une dimension autoritaire, voire militaire.

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