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Le scoutisme guadeloupéen : un mouvement importé de métropole

Chapitre I er L’assimilation, un axe politique et social central dans la Guadeloupe coloniale (premier quart du XXe S.)

CHAPITRE 4 Les Scouts de France de Guadeloupe

2 Le scoutisme guadeloupéen : un mouvement importé de métropole

Dans la plupart des communes, la naissance du scoutisme se fait à l’initiative d’individualités souvent fortes et totalement investies dans la formation de la jeunesse. Les prêtres, tous métropolitains à cette époque, jouent un rôle premier dans cette implantation du scoutisme guadeloupéen. Deux d’entre eux font figures de précurseurs dans la création du scoutisme local : le Père Dugon, fondateur de la troupe de Basse-Terre, et le Père Durand, fondateur de la troupe du Moule. Le rôle des laïques métropolitains est aussi central. À partir de 1938 le mouvement SDF s’implante dans la commune de Pointe-à-Pitre, ville la plus peuplée et capitale économique de l’île. La Troupe de Pointe-à-Pitre (Troupe du Père Labat) compte 72 adhérents dès la première année, ce qui en fait le groupe le plus important de la colonie. Il est à l’initiative d’un couple métropolitain dont le mari était ancien chef scout de la province d’Aquitaine, le Chef Ferran.

« Le Chef Arnette nous quittait, mais deux jours avant son départ, arrivait le Chef Ferran, de la province d’Aquitaine. Pendant trois ans, il fut le commissaire de la Guadeloupe et l’animateur du mouvement. Madame Ferran, cheftaine des louveteaux, en accord avec la Martinique, fondait les Guides de France. »1 Le Chef Ferran est directeur de l’agence guadeloupéenne de la Compagnie Générale Transatlantique. Il œuvre, avec sa femme, à l’organisation du mouvement Pointois jusqu’en 1943, date à laquelle ils regagnèrent la France métropolitaine. Le groupe SDF de Pointe-à-Pitre sera alors pris en charge par un autre métropolitain, Ives Demond, qui sera commissaire de la province à la Libération. J. Gothland sera commissaire de la province de 1956 à 1966. Notons toutefois que les cadres du mouvement naissant ne sont pas uniquement blancs. Les meutes de Pointe-à-Pitre sont aussi encadrées par des cheftaines mulâtresses et noires. M. Albina qui s’occupe des louveteaux de Basse-Terre est antillais. Si l’initiative de création des troupes est métropolitaine, l’encadrement s’étend vite à d’autres couches de la population de la colonie.

Les relations entre les SDF et les colonies sont fortes. Sans doute trouvent-ils dans les territoires colonisés la subsistance d’éléments empruntés à l’Afrique par Baden Powell. « D’un autre côté, les colonies étaient valorisées parce que,

comme la nature, elles étaient la matrice qui permettait aux jeunes de faire la preuve de leur esprit scout, d’affronter leurs limites, de se dépasser, de prouver qu’ils devenaient des hommes de cette élite catholique que l’on voulait promouvoir. »2 Les SDF, attachés à l’Empire, transmettent l’idée d’aventure et de grandeur de la France, ses missions civilisatrices, françaises et catholiques.

La marque de la métropole s'inscrit aussi dans les uniformes que portent les premières troupes scoutes. Chemises à manches longues et pantalons en laine perdurent jusqu'en 1965 ! Certes, il s'agit là de l'uniforme de cérémonie ; les scouts locaux portent des shorts lors des sorties et durant les activités. Mais le

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Courrier France – outremer, nº 37, mars – avril 1956, p. 10.

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symbole n'en demeure pas moins frappant : le scoutisme local aura du mal à se détacher de sa tutelle métropolitaine. Conserver l'uniforme imposé par le siège parisien marque l'appartenance du mouvement local à celui de la mère patrie. Changer d'uniforme reviendrait à couper le lien qui l'unit à la France et à renier son statut de citoyen français à part entière.

2.1 Le scoutisme : outil éducatif pour la jeunesse. Le rôle du Père Durand

La petite histoire du scoutisme local voudrait que le Révérend Père H. Durand ait rencontré une patrouille libre lors d’une de ces randonnées. Il aurait alors décidé de fédérer les patrouilles existantes en Grande-Terre. Œuvrant depuis de nombreuses années dans la jeunesse et le sport, le scoutisme aurait représenté pour lui un moyen d’occuper les jeunes et de les mettre dans le chemin du Christ. Le RP Durand connaissait le scoutisme. Ayant côtoyé les premiers boys scouts métropolitains, il était séduit par la doctrine du mouvement. Si le RP Dugon monte la première troupe basse-terrienne, le RP Durand est le premier à chercher à organiser le scoutisme guadeloupéen. Curé de la paroisse du Moule, il y implante, dans un premier temps, une troupe. Puis il cherche à rapprocher les différentes patrouilles isolées de l’île. Il a donc joué le rôle d’intermédiaire entre ces patrouilles. Mais son intervention la plus significative se fait auprès du siège national des SDF à Paris, en 1937. Ses contacts avec le siège parisien aboutiront à l’organisation des deux premiers camps scouts sous la responsabilité du commissaire des Scouts de France, le chef Arnette de la Chalonnie de passage dans la colonie avant de se rendre en Nouvelle-Calédonie pour ses travaux de doctorat de géographie. Le premier camp se déroule à La Rosette au Moule, durant trois jours, avec les troupes de Basse-Terre, de Pointe-à-Pitre et du Moule. Le second camp fut le premier CEP (Camp École de Patrouille) en Guadeloupe. Dirigé par le chef Arnette, ce CEP se déroule entre le 12 et le 17 septembre 1938, à Blanchet 1, sur le terrain destiné au futur Petit Séminaire, dont la construction commencera en novembre. Il permet la formation de 35 jeunes chefs guadeloupéens, chefs des patrouilles des troupes du Moule, de Saint-François, de Vieux-Habitants, de Basse-Terre, de Pointe-à-Pitre et de Terre-de-Bas (les Saintes). Les futurs petits séminaristes, initiés par l’abbé Magloire au scoutisme, participent aussi au camp-école. Le RP Durand est chargé de la direction spirituelle du camp. Le dimanche de la clôture, l’évêque Mgr Genoud vient célébrer la messe au camp qui, malgré sa destruction par un déluge de pluie la nuit précédente, sera donnée sur un autel dressé sous un manguier. Le soir, au Champ d'Arbaud à Basse-Terre, a lieu un grand feu de camp public qui laissera un souvenir ému parmi les spectateurs.

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2.2 La formation des cadres : une nécessité pour lancer le mouvement local

Dès les premiers temps du mouvement local, les instigateurs des SDF s'attachent à développer une politique de formation des cadres. Rapidement les chefs sont envoyés régulièrement en métropole à Chamarande1, au camp-école des chefs SDF, dans la région de Salbris. Des instructeurs métropolitains viennent aussi former les scouts locaux. Ces formations sont répercutées au niveau des troupes par les chefs des groupes guadeloupéens qui réunissent les chefs de troupes, de patrouilles ainsi que leurs seconds, au sein de la « Haute Patrouille ». Le camp de cette haute patrouille composée uniquement de chefs permet la transmission des connaissances acquises avec les formateurs métropolitains. Enfin, la revue Le Chef parvient dans la colonie. Elle aborde le scoutisme d'un point de vue didactique ce qui assure un complément de formation. Durant cette période, le problème de l'encadrement des troupes reste central. L'Écho de la Reine l'aborde dans ses lignes : « Il n'y a pas de moniteurs

locaux ayant une connaissance suffisante des différents sports ou de l'éducation physique, encore moins l'habitude du commandement. » 2 L'article déplore la pénurie de l'encadrement du scoutisme local par manque de compétence. La voie de la formation des chefs est indispensable, mais nombre d'entre eux quittent l'archipel pour faire leurs études en métropole. Il faudra attendre les années 1960 pour voir l'encadrement se stabiliser avec l'ouverture du cursus universitaire à Pointe-à-Pitre à partir de 1963.

La formation des cadres dans le scoutisme guadeloupéen, à l'image des autres organisations de jeunesse, Sonis ou Guides, revêt une importance centrale. Elle garantit la conformité avec la doctrine du scoutisme national. Formés par les chefs métropolitains, les cadres locaux sont le relais d'une éducation dans les valeurs de la France. En ce sens, ils se font aussi le relais d'une politique d'assimilation voulue à la fois par les institutions étatiques et ecclésiastiques, mais aussi par toute une frange de la population guadeloupéenne. Le scoutisme, en étant conforme au scoutisme français, représente, à côté de l'école, une possibilité supplémentaire d'éduquer les enfants à l'Européenne.

1 Ce sera le cas de Ginet Brument qui fut scout dès 1943, et adjoint puis chef de la troupe de

Pointe-à-Pitre entre 1948 et 1955. Il se rend à Chamarande à la suite du Jamboree de la Paix de Moisson, en 1947. La formation qu'il reçoit lui permettra d'envisager la mise en place des « raiders » en Guadeloupe, au début des années 50.

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2.3 Les noms des premiers groupes scouts ou la « marque » de la métropole

La première troupe de Basse-Terre, fondée par le Père Dugon se nomme « troupe C. Colomb ». La marque de l'Europe conquérante et colonisatrice est ici significative. La référence se fonde sur les découvreurs qui ouvrirent le Nouveau Monde à la civilisation et à l'évangélisation des populations primitives. La troupe de Pointe-à-Pitre prend le nom du « Père Labat », prêtre missionnaire du XVIIe siècle qui œuvra pour le maintien des Antilles dans le giron français, contre les Anglais. Le Père Labat reste une figure emblématique en Guadeloupe où il donnera même son nom à un rhum marie-galantais. Mais il n’en demeure pas moins un autre symbole de la colonisation et de la mise en place de l’industrie de la canne, et donc de l’esclavage. La troupe de Saint-

Claude prend le nom de « Maréchal Hubert Lyautey ». Dans une paroisse peuplée de Blancs et de Mulâtres, fonctionnaires, cadres, le scoutisme adopte ce symbole colonial qu'est Lyautey. Pacificateur du Maroc, conquérant de l'Armée d'Afrique il représente le modèle de l'officier colonial, à la fois militaire et bâtisseur. Mais Lyautey représente surtout un nouveau type d'homme plus prompt à l'action, plus responsable, que l'expérience coloniale a forgé.

Les sizaines des meutes scoutes laissent aussi apparaître cette imprégnation du modèle métropolitain. Ainsi, le nom des « loups blancs » (photo nº 5) que porte une des sizaines de la meute de Basse-Terre, témoigne de l'influence de la doctrine parisienne et de la référence à l'indianisme qui marque le scoutisme français d'avant-guerre. Le recours à cet animal du Grand Nord canadien, inconnu en Guadeloupe, mais symbole de l’aventure, montre l’influence des représentations métropolitaines. Le qualificatif reflète lui aussi l'importance, peut-être inconsciente, que revêt la

couleur blanche, celle de la religion catholique, celle du colon à qui l'on voudrait être assimilé.

À côté de ces références toutes coloniales, certaines troupes prendront le nom d'un saint. La troupe du Moule prend le nom de « Troupe Saint-Jean- Baptiste ». La troupe de Morne-à-l'Eau prend le nom de « Troupe de la croix Saint-André », autre signe d'allégeance à l'Église romaine.

Le mouvement guadeloupéen prend donc naissance à l’initiative des métropolitains de l’île, prêtres, fonctionnaires et commerçants de la colonie. Il est un mouvement importé de la métropole par d’anciens scouts ou par des prêtres qui furent séduits par l’impact éducatif du scoutisme. Dans les premières années de son existence, le scoutisme véhicule des valeurs purement françaises édictées par le siège national, telles que la valorisation de la patrie, le goût des rituels, voire la chevalerie.

3 Sociologie et financement du scoutisme guadeloupéen

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