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Chapitre I er L’assimilation, un axe politique et social central dans la Guadeloupe coloniale (premier quart du XXe S.)

CHAPITRE 4 Les Scouts de France de Guadeloupe

5 Le scoutisme guadeloupéen, un « outil » au service de l’Église locale

5.2 Le contrôle de la jeunesse

C'est par l’organisation même du mouvement scout que le contrôle des jeunes est le plus apparent. La notion de « contrôle » est significative d'une domination et d'un cadrage de la jeunesse. C'est en cadrant les faits et les gestes des jeunes scouts que l'Église locale parvient à leur inculquer les valeurs du christianisme et les chefs, celles de la doctrine du mouvement. Le contrôle implique la surveillance permanente, l'organisation minutieuse et la soumission à une discipline stricte. Ainsi, la hiérarchie scoute est destinée à mieux imposer un pouvoir. L’organisation pyramidale en « chef de groupe », « chef de troupe », « chef de patrouille », « second de patrouille », facilite l’obligation d’obéissance ; le contrôle est toujours assuré, puisqu’en l’absence d’un des chefs, un autre, d’un rang immédiatement inférieur, le remplace. Le respect des chefs se double d’une politique coercitive en cas de non-respect des ordres ; si ces punitions ne sont pas corporelles, elles concernent des corvées (vaisselle, nettoyage des tentes, corvée de bois, de latrines, etc.). Une telle politique ne va pas sans un système de récompenses ; elles se situent non pas sur un plan matériel, mais honorifique. La « Promesse » en est une des premières étapes (ou l’on promet le respect des normes du système) ; la « Totémisassions » en est une autre. Cette dernière étape ne peut être franchie que lorsqu’on a fait la preuve d’être un « vrai scout » ; elle arrive rarement avant 17 ou 18 ans. Elle constitue pour beaucoup une distinction enviée et admirée qui motive l’ensemble des jeunes à se « mouler » dans le système scout. Notons que les totémisés ont eux aussi un droit de commandement sur les non-totémisés.

Le symbole du drapeau, rassembleur, constitue un autre indicateur de ce contrôle de la jeunesse. Le cérémonial du « lever des couleurs », issu directement du système militaire, apparaît comme un moyen de fédérer les esprits autour d’un signe d’appartenance à une communauté. Le jeune scout est émerveillé par le cérémonial du lever des couleurs qui recouvre une dimension quasi mystique. Les scouts ont un drapeau par groupe et la cérémonie des couleurs a lieu tous les matins (le « lever des couleurs ») et tous les soirs (la « descente des couleurs »), durant les camps. Tous y participent, rangés en patrouilles. Le cérémonial débute par « les cris des patrouilles », à tour de rôle ; puis par la montée ou la descente des couleurs qui s’effectuent en général en chantant : « Flotte petit drapeau, flotte, flotte bien haut, image de la

France… »1

. Ce cérémonial nécessite la construction en commun du « mât aux

couleurs » ; par là, le drapeau devenait aussi le symbole d’un travail d’équipe. Il faut rechercher un arbre approprié, le couper, le transporter, construire le mat, le fixer dans le sol au centre du campement.

La démonstration de la bonne santé du mouvement, et de son utilité, passe par l'occupation de l'espace public : « Pour bien montrer aux habitants le

caractère catholique des Scouts de France, nous assurerons, à la grand-messe, les offices de cérémoniaires, thuriféraires et acolytes. » 2 Cette occupation de l'espace public représente chez les scouts une part non négligeable de leurs activités, même si l'apparat ne revêt pas la dimension qu'elle prend chez les Sonis. Les scouts ne défilent pas systématiquement pour les différentes fêtes de la colonie ou le dimanche après la messe, comme le font les Groupes de Sonis. Néanmoins, la population guadeloupéenne peut voir les scouts locaux dans leurs communes notamment pour les fêtes des bourgs ou des sections, pour le 14 Juillet ou le 11 Novembre. À Pointe-à-Pitre, au monument aux morts, le dépôt de la gerbe se fait au son de la fanfare des Sonis, les scouts eux, encadrent la foule qui vient assister à la cérémonie. On les voit aussi sur les quais de Basse- Terre pour saluer l'arrivée d'un nouveau gouverneur ou d'un ministre des colonies en visite. Ils assurent ainsi la sécurité en encadrant la foule, tel un service d'ordre discipliné dans des uniformes impeccables qui inspirent le respect. Pour le bal annuel de la Croix Rouge ils assurent l'organisation, ils contrôlent les billets et accueillent les gens. Il en est de même pour la Fête-Dieu ou pour différentes kermesses d'associations catholiques ou d'établissements scolaires confessionnels. Structurés, organisés et disciplinés, les scouts représentent une force importante sur laquelle les organisateurs peuvent compter. Mais leur présence dans ces rassemblements publics assure aussi pour eux une notoriété non négligeable qui permet aux instances dirigeantes locales, comme à la hiérarchie ecclésiastique, de montrer que ce système d'éducation est efficace : « C'était un peu le décorum de la soirée. Cela faisait bien d'avoir des

uniformes scouts qui étaient à l'entrée. On servait d'allée d'honneur ! »3

Les activités spécifiquement scoutes revêtent aussi cette dimension démonstrative. Le nº 36 de Clartés4 relate un feu de camp en public avec cérémonial de Promesse, jeux divers, chants, etc. Le public, gagné par l'émotion participe rapidement. Ces feux de camp en public deviennent fréquents et attirent la foule. Le nº 835 se fait en effet l'écho du Jamboree6 de Moisson, près de Paris, dit « jamboree de la paix », qui s'est déroulé entre le 9 et le 23 août 1947. Une délégation guadeloupéenne y participe, et ce premier « jam » de

1

Entretien avec Mme Colombo. 20 avril 1999. Sainte-Anne.

2 Clartés n° 4, 6 octobre 1945. Article intitulé : « Camp Scout à Petit – Bourg ». 3

Entretien avec J. Rivier, op. cit.

4

Février 1946. Article intitulé : « Chez les scouts de Saint – Claude ».

5

9 août 1947.

6

l’après-guerre laisse une émotion particulière aux anciens scouts locaux. Le ton y est lyrique : « Minutes émouvantes. Chants et orchestres ont préludé, et voici

qu'apparaît au loin une flamme scintillante qui s'approche au pas rapide de coureurs en relais : c'est un flambeau apporté de Vogelenzang pour marquer la continuité de notre fraternité internationale. » Plus loin : « Tous les Éclaireurs voudront participer à ces fraternelles démonstrations de techniques scoutes et de jeux sportifs ou dramatiques qui feront s'affronter et se rapprocher les patrouilles. » Le public présent est emporté par ces démonstrations réunissant

des scouts de quarante pays et de toutes religions. Le Jamboree est sans aucun doute un signe de bonne santé du mouvement dans ces années d'après-guerre. Il en est la démonstration aux yeux de l'opinion publique et la presse catholique locale s'en fait l'écho sans omettre de préciser la présence des scouts guadeloupéens, témoignage de la vivacité du mouvement local.

Le contrôle de la jeunesse permis par la structure même du scoutisme et par les activités pratiquées agit comme un outil d'assimilation aux normes métropolitaines, en formant les jeunes Guadeloupéens dans des normes identiques à celles de jeunes Français. Sous le régime de Vichy, cette dimension prend toute son ampleur. Le contrôle de la jeunesse devient une nécessité d’embrigadement. Ainsi, « l’encadrement de la jeunesse dans la colonie

s’appuie sur le comité du scoutisme et les Compagnons de France. »1

L’État

Français, en métropole, comme dans la colonie, s’attache à développer une politique cohérente d’encadrement des jeunes « en s’appuyant sur le scoutisme

comme méthode d’éducation, et le paternalisme autoritaire comme mode d’encadrement. »2

Le scoutisme participe ainsi à la Révolution Nationale, à la mise en place de « l’Ordre Nouveau », voulu par le Maréchal Pétain. « Les

Scouts de France participent à la quête d’une nouvelle chevalerie qui doit régénérer la France. Ils sont d’esprit chevalier, n’admettent que l’autorité du Chef et sont nolens volens en phase avec un régime qui prône des valeurs auxquelles ils ont librement adhéré. »3 À l'image des jeunes gymnastes et

sportifs catholiques, les scouts guadeloupéens deviennent « les soldats du Christ

et les soldats de la France, dont le regard devait être fixé sur la croix et sur le drapeau. » (B. Dubreuil)4. La référence aux saints dans les noms des troupes locales renforce l'adhésion aux dogmes catholiques. La référence aux noms de colonisateurs renforce l'adhésion aux valeurs de la France. Cette double dépendance à la religion et à la patrie trouve sa pleine expression dans les processions auxquelles les scouts guadeloupéens participent de façon régulière.

1 H. P. Mepnon, op. cit., p.184. 2

L. Bantigny, Le plus bel âge ? Jeunes et jeunesse en France de l’aube des « Trente glorieuses »

à la guerre d’Algérie, Millaud, Fayard, 2007, p. 200.

3

M. Héluwaert, op. cit. p. 109.

4

5.3 Pèlerinages et processions, une marque de la soumission des SDF à

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