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L’Église catholique guadeloupéenne : une institution au service de l'assimilation de la population

Chapitre I er L’assimilation, un axe politique et social central dans la Guadeloupe coloniale (premier quart du XXe S.)

3 L’Église catholique locale : un vecteur assimilationniste

3.1 L’Église catholique guadeloupéenne : une institution au service de l'assimilation de la population

Depuis les débuts de la colonisation, les missions catholiques œuvrent pour l'évangélisation des populations indigènes, dans le sillage des conquérants militaires. Comme le précise Raoul Girardet : « C'est une opinion

communément admise (…) que celui qui porte la Croix de Christ sur les terres lointaines y porte en même temps, explicitement ou implicitement, le drapeau de son pays. » 1 L'auteur de préciser que c'est souvent l'action missionnaire qui a

ouvert la voie à la prise de possession militaire. En Guadeloupe, les premiers missionnaires sont envoyés par le Cardinal de Richelieu dès 1635. Les Pères Dominicains (ou Pères Jacobins, comme on disait en France) sont les premiers à mettre en place une mission. Viendront ensuite les Capucins, les Carmes, et les Jésuites, qui eux disparaîtront de la colonie en 1764. En Guadeloupe, les congrégations masculines les mieux implantées à partir du milieu du XIXe siècle sont les Frères de Ploërmel qui débarquent à Basse-Terre en 1838, ainsi que la congrégation du Saint-Esprit. Des congrégations féminines vont aussi s'implanter en Guadeloupe. Ainsi, les Sœurs de Saint-Paul de Chartres arrivent dans la colonie en 1818. Quatre ans plus tard arrivent les Sœurs de Saint-Joseph de Cluny. Ces différentes congrégations vont œuvrer dans le domaine de la santé et de l'éducation des populations autochtones. Au côté de l'État français, elles entrent dans la logique de la politique d'assimilation notamment en organisant l'enseignement dans la colonie. Les frères de Ploërmel organisent ainsi l'enseignement confessionnel pour les garçons dès 1844, et les Sœurs de Saint-Joseph de Cluny, l'enseignement des filles. Elles fondent à Basse-Terre le Pensionnat de Versailles, prestigieuse école de filles. En 1848, toutes les écoles de la colonie leur sont confiées. Ce développement des institutions éducatives est aussi indissociable d’une structuration du clergé local. En effet, la bulle d’érection de Pie IX, du 27 septembre 1850, nomme les premiers évêques des colonies antillaises. « De nombreuses structures

ecclésiastiques fortement centralisées voient le jour : une administration diocésaine, autorité unique, prestige du prélat (…) »2

Ces nouvelles structures

donnent à l’Église de Guadeloupe une forte influence sur la population et la prédisposent à un encadrement rigoureux de la jeunesse locale. Malgré cela, quelques décennies plus tard, la loi de Séparation entre l'Église et l'État de 1905 aura pour conséquence la fermeture des écoles des frères, et de la quasi-totalité

1

Raoul Girardet, L'idée coloniale en France. 1871-1962, Paris, Ed. du Club Histoire (1re édition 1972, Ed. de la Table Ronde), p15.

2

de celles des sœurs. À la suite de la Première Guerre mondiale, seules ces dernières assurent encore un enseignement : au Pensionnat de Versailles de Basse-Terre et dans certaines écoles primaires, notamment à Pointe-à-Pitre.

La politique de conquête et d'assimilation menée par la France est donc largement aidée par l'Église catholique. Malgré les oppositions entre l'Église et l'État français qui iront en s'accentuant jusqu'à la Première Guerre mondiale, la première apparaît comme le bras droit du second. Les missions interviennent auprès de populations indigènes et des colons, principalement dans les tâches sanitaires, médicales et éducatives.

C'est aussi dans le domaine de l'éducation extrascolaire que les congrégations religieuses vont asseoir leur politique éducative. Cette dernière s'inscrit dans un contexte métropolitain plus large qui voit le jour en France dès le début du XIXe siècle. Ainsi, si l'action sociale de l'Église se généralise en France à partir de la décennie 1880, le début du XIXe siècle voit ainsi apparaître les premières organisations de jeunesse sous le nom de « patronages ». G. Cholvy1 cite le patronage de Saint-Louis-de-Gonzague, fondé en mai 1799 par J. Joseph Allemand, et destiné aux enfants de bourgeois. L’objectif premier est de restaurer la piété que la Révolution a fait reculer dans l’élite bourgeoise française. L’intervention auprès des classes populaires peut être située dans les années 1830. À partir de cette période, le terme de patronage sera appliqué à l’action envers les classes défavorisées. Les patronages de garçons des Frères de Saint-Vincent-de-Paul créés en 1845, et destinés à la jeunesse ouvrière vont pour la première fois associer piété et jeu. À côté de l’éducation religieuse, les frères vont introduire les jeux. Ce modèle sera reproduit. C’est toutefois à la fin du XIXe siècle que l’on peut situer l’explosion des organisations de jeunesse sous l’égide des patronages paroissiaux. La loi de laïcisation de l’enseignement primaire de 1882 va donner un essor sans précédent à l’éducation de la jeunesse dans les patronages. En 1900, on comptait 2 531 patronages catholiques de garçons et 1827 de filles2. La gymnastique puis le sport vont alors prendre le relais des activités théâtrales et de la musique. Le patronage apparaît ainsi comme « une institution jouissant d’une organisation autonome, possédant, le

plus souvent, un local spécial, recevant les enfants à l’âge de la première communion (ou un peu avant) et s’efforçant de les conserver jusqu’au service militaire. »3

Les patronages apparaissent comme le moyen privilégié d’évangéliser et d’éduquer le plus grand nombre d’enfants, la garantie la plus précieuse contre la

1 Pour un approfondissement se reporter à l'ouvrage collectif : S/D de G. Cholvy, Mouvements de

jeunesse. Chrétiens et Juifs : sociabilité juvénile dans un cadre européen. 1799-1968, Paris,

éditions du Cerf, 1985, 432 p. Voir l'article de G. Cholvy, Les organisations de jeunesse

d'inspiration chrétienne ou juive. XIXè-XXè siècle, p. 14 à 67.

2

G. Cholvy, idem, p. 21.

3

R. Hervet, La Fédération Sportive de France (1898-1948), Paris, imprimerie Henriot et Guyot, 1948, p.3.

laïcisation de la société, accentuée depuis la loi de Séparation de l’Église et de l’État en 1905. Les patronages s’adressent aux enfants entre 5 et 14/15 ans, que l’école obligatoire laïque tend à écarter de la religion, surtout depuis la loi du 30 octobre 1886 interdisant aux religieux d’exercer des fonctions d’instruction publique sans diplôme. Le patronage constitue ainsi « le couronnement

nécessaire de l’école primaire catholique »1

. Il a pour mission d’occuper le

temps non scolaire des enfants et de lutter ainsi contre leur laïcisation. L’Église catholique considère de plus que la famille ne peut assurer seule l’éducation religieuse des enfants, surtout dans une époque où l’on considère que l’autorité du père est souvent déchue. « Qu’on ne l’oublie pas, les plus respectables

familles ne sauraient maintenir les enfants contre les efforts de l’impiété, si le prêtre n’était à leurs côtés comme l’ange visible qui dénonce le mal, qui entraîne au bien et qui panse les plaies en pardonnant les fautes. Or, où le jeune homme trouvera-t-il le prêtre, où pourra-t-il lui confier le détail de sa vie, sinon au patronage. »2

Les patronages apparaissent donc comme des « outils » au service de l’évangélisation des individus. Nés du combat contre la laïcisation de la société voulue par la III République, et notamment à la suite des lois Ferry sur l’enseignement (1881 et 1882), ils se positionnent sur un espace éducatif laissé libre par les institutions étatiques de la République plus préoccupées, en cette fin du XIXe siècle, par les questions scolaires. L’Église de France se tourne ainsi vers l’action sociale, répondant aux attentes du Pape Léon XIII édictées dans l’Encyclique Rerum Novarum (1891). « Occuper le terrain des sports

renvoie à un impératif pour l’Église : celui d’être présent dans toutes les sphères de la vie sociale. »

Dans cette logique, comme le laisse supposer l’abbé Bergey3

, les activités sportives s'avèrent être des moyens d'éducation pertinents. Après l’introduction du jeu comme moyen éducatif, l’Église va utiliser la gymnastique et les activités sportives, suivant ainsi l’élan de la jeunesse pour ce type de pratiques, sources de motivation non négligeables. Le succès est tel qu’en 1898 le Dr Michaux crée la Fédération gymnastique et sportive des patronages de France pour les regrouper et organiser les compétitions. Il la présidera jusqu'en 1923. En 1913, sur 5 000 patronages de garçons existants, 1 500 sont affiliés à la FGSPF et pratiquent gymnastique et sport chaque dimanche4. Les patronages associent

1

Bulletin mensuel de la Commission des patronages, n°2, février 1894.

2

Bulletin mensuel de la Commission des patronages, nº 2, février 1894, p.19.

3

A la veille de la Grande Guerre, l’Abbé Bergey, après une étude des patronages belges, formule 14 points, dont quatre sont pertinents pour nos propos : s’adresser au plus grand nombre à partir de 5 ans ; former autant de patronages de filles ; les transformer en sociétés sportives ; donner aux patronages la même importance qu’aux écoles.

(Cité par G. Cholvy, Le patronage devant l’histoire, in ouvrage collectif, sous la direction de G. Cholvy, Le patronage ghetto ou vivier ? P. 9 à 35. Actes du colloque des 11 et 12 mars 1987, Paris, Nouvelle cité, 1988, 368 p.).

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activités spirituelles, activités ludiques, activités gymniques et sportives, théâtre, musique, mais aussi formations professionnelles ou préparation militaire. À la suite de la Première Guerre mondiale, l’explosion des sports dans la société va favoriser l’orientation des patronages vers ce type d’activités. Entre 1913 et 1937, le nombre de patronages affiliés à la FGSPF va doubler, passant de 1 500 à 3 0001.

C’est à partir de la Grande Guerre que la Guadeloupe voit les sociétés sportives diocésaines se créer, suivant le modèle métropolitain. Elles s’intègrent dans une politique locale de l’Église, qui depuis le milieu du XIXe siècle a réorganisé son action d’évangélisation. « La bulle d’érection de Pie IX du

27 septembre 1850 nomme les premiers évêques des colonies antillaises. La présence d’un évêque à la tête du Clergé redonne aux choses religieuses un poids et une autorité favorisant l’évangélisation et un nouvel élan missionnaire. » 2 Ainsi, de nombreuses structures ecclésiastiques centralisées se

créent : administration diocésaine, uniformisation de la liturgie… À partir du milieu du XIXe siècle, l’Église guadeloupéenne affirme son influence, notamment dans l’éducation des masses. Le pouvoir du clergé dans la colonie dépasse le simple message religieux. L’Église occupe une position centrale dans le système politique de la colonie. H. P. Mephon relève que l’État français entend confier à l’évêque l’administration de la société coloniale guadeloupéenne. L’évêque est doté de pouvoirs politiques non négligeables (attributions dans l’instruction publique, droit de regard sur les hôpitaux publics, membre de droit de conseil…). « L’Église, à la fin du XIXe siècle, se

révèle comme un puissant agent de réorganisation coloniale - substitut de l’État - en possédant un pouvoir dépassant le cadre de ces prérogatives spirituelles. »3

Les sociétés sportives et culturelles telles que les Groupes de Sonis, relevant de cette logique éducative, suivent les directives de la Commission des Patronages. Dans cette démarche éducative, les pratiques corporelles vont avoir une place centrale, voire exclusive.

Dès 1913, l’abbé Jules-Marie Bioret ouvre le premier patronage à Pointe-à- Pitre sur le mode des sociétés sportives métropolitaines. Ce patronage prend le nom de Groupe de Sonis. Très vite il sera suivi par l’abbé Durand à Basse- Terre, puis par la plupart des prêtres des paroisses du diocèse de Guadeloupe. Le scoutisme sera aussi un axe privilégié d'investissement du clergé en faveur de l'éducation des jeunes guadeloupéens dès le milieu des années trente. Ce qui est remarquable, c'est l'augmentation considérable du nombre des sociétés sportives, des troupes scoutes et de leurs adhérents entre 1935 et 1970. Ainsi, le nombre de paroisses qui créent des Sonis est multiplié par quatre entre 1936 et 1941, passant de 3 à 12. Les effectifs progressent de 150 % dans la même

1

Voir à ce sujet J.P. Augustin, Les patronages catholiques dans l’espace français de 1914 à

1985, in Cholvy, 1988, opus cité, p. 91 à 106.

2

H. P. Mephon, op. cit. p. 70.

3

période. Concernant le scoutisme catholique, les adhésions connaissent une progression de 80,6 % entre 1936 et 1948, puis de 189,9 % entre 1950 et 1965. Il apparaît donc que la hiérarchie ecclésiastique locale trouve un intérêt à développer ses organisations de jeunesse.

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