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Chapitre I er L’assimilation, un axe politique et social central dans la Guadeloupe coloniale (premier quart du XXe S.)

CHAPITRE 3 Les Groupes de Sonis 1 Que sont les Groupes de Sonis ?

7 Les objectifs éducatifs poursuivis par les Groupes de Sonis

7.4 Une éducation hygiénique

L’amélioration de l'hygiène recouvre aussi une dimension importante. L'hygiène doit être entendue ici comme un ensemble de mesures préventives destinées à conserver la santé, à prévenir d'éventuelles maladies. Mais la formation à l'hygiène doit aussi être perçue comme destinée à améliorer la race. Les finalités eugéniques doublent celles de conservation de la santé. Éducation physique et hygiène sont étroitement liées dans la mesure où l'entretien de la santé passe par le développement des potentialités physiques. Pour les Sonis, c'est donc en améliorant le physique des jeunes Guadeloupéens que l'on favorise la conservation de leur santé. Cet objectif hygiénique apparaît clairement pour certains membres : « La santé était importante. Du reste, je me rappelle la

devise "un esprit sain dans un corps sain". C’était une devise que les Sonis utilisaient » (C. Thibault). C'est dans un contexte favorable au développement

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Idem, nº 250, février 1939, p. 65.

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de l’hygiène et de la santé, et principalement de la santé physique, que les Sonis se mettent en place. La structuration de ces groupes se situe dans la mouvance hygiénique de l'éducation corporelle qui se développe en métropole depuis la fin du XIXe siècle. En effet, depuis la fin de ce siècle une certitude s’impose :

« (...) celle d’une asepsie garantie par le grand air. D’où l’avantage des villégiatures : l’éloignement du mal par le soleil, le vent, la lumière, le renforcement des défenses par les séjours à la mer, à la montagne, par les jeux de nature. » (G. Vigarello1). Le plein air a cet avantage de « se constituer à la

fois comme forme d’hygiène et d’initiation au milieu — connaissance de la montagne et découverte des paysages — et simultanément comme incitation à des techniques du corps (...) » (A. Rauch2). La marche et la natation font partie des pratiques d'hygiène ; on retrouve ces deux activités chez les Sonis.

La formation hygiénique des Sonis s'inscrit aussi dans une problématique eugénique voulue par l'État français au lendemain de la Première Guerre mondiale. Les pertes humaines et les problèmes démographiques inhérents à la guerre encouragent le développement des activités physiques en métropole et dans les colonies. Le pouvoir et les médecins cherchent à les développer à des fins de régénération de la race et de lutte contre la dépopulation : « Médecins,

militaires et hommes politiques se penchèrent alors sur les possibilités de redonner de la vitalité au peuple français (…) Le développement des activités physiques apparut comme une des solutions les plus efficaces. »3 Les colonies sont alors perçues comme un « réservoir d'hommes aptes à contribuer au

développement de notre pays pendant la paix et prêts à venir le défendre s'il était de nouveau attaqué. »4 Le ministre des Colonies Albert Sarraut considère que le « capital humain » constitue la richesse première des colonies5, et l'amélioration de la race noire devient un thème incontournable des finalités éducatives dans les colonies : L’éducation physique constituerait « le stimulant

capable de donner (aux Noirs) l’ardeur et la vitalité qui leur manquent. Le besoin de dépenser la force et l’énergie acquise dans la fréquentation des stades augmenterait leur rendement au travail. »6 Formation militaire et amélioration de la condition physique pour une meilleure mise en valeur du territoire deviennent des thèmes centraux de la politique coloniale. Félix Éboué poursuivra ces objectifs. Le Front populaire est préoccupé par l'état physique des jeunes Français. En 1918, en France, le service militaire réformait 26 % des jeunes gens incorporables, contre 27 % en Allemagne. En 1938, la France en

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G. Vigarello, Le sain et le malsain, santé et mieux être depuis le Moyen Age, Paris, Seuil, 1993, p. 271.

2 A. Rauch, Le souci du corps, Paris, PUF l'éducateur 1983, p. 198. 3

Bernadette Déville-Danthu, op. cit., p. 6.

4 L'Éducation Physique aux colonies, fascicule édité par le Sous-secrétariat de l'EP, Joinville-le-

Pont. 1930, 47 pages. P. 37.

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Albert Sarraut, La mise en valeur des colonies, Paris, Payot, 1923. Le ministre expose son programme de mise en valeur des colonies devant le Sénat le 27 février 1920.

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réforme 33 % et l'Allemagne, 17 %1. Manifestement, la santé des Français se dégrade. La formation physique apparaît comme insuffisante comparée à nos voisins européens. On comprend dans ces conditions l'importance d'une formation hygiénique auprès des jeunes.

Mais la santé ne semble pas avoir été affichée chez tous les groupes comme un objectif central, au même titre que les formations sportives, culturelles, militaires et religieuses. Il semble en fait que la poursuite de l'objectif d'amélioration de la santé dépend du lieu d'implantation des groupes. Pour les Sonis de Pointe-à-Pitre, ville la plus importante de la colonie, cet objectif revêt une dimension importante. Dans l'entre-deux-guerres la ville s'agrandit, « gonflée » par l'arrivée massive de ruraux venant chercher du travail à la suite des crises sucrières successives. Plus de 15 000 nouveaux citadins s'installent dans la ville entre 1929 et 19392. Ses faubourgs rejoignent progressivement le bourg voisin des Abymes. Une classe ouvrière s'est développée depuis la fin du XIXe siècle et l'ouverture de l'usine Darboussier. Le quartier du Carénage, situé autour de cette sucrerie, a vu sa population croître et s'entasser dans des cases où règnent insalubrité et promiscuité. Les faubourgs de Pointe-à-Pitre, construits sur des zones marécageuses, constituent aussi des quartiers insalubres que le gouverneur F. Éboué entreprend d'assainir. Y règnent paludisme et dysenterie, comme le dénonce le rapport Gernut de 1937, rapport de la commission d'enquête sur les colonies commandité par le Front populaire3. Dans ces conditions, la dimension hygiénique recouvre une importance certaine dans les bourgs principaux de la colonie. Les bienfaits de la marche et du grand air sont aussi soulignés par la hiérarchie catholique locale au travers du bulletin de liaison. Déjà en 1934 le bulletin de l’évêché vantait les bienfaits de la marche à propos d’une excursion à la Soufrière4. La marche est facteur de bien-être et d’hygiène. La caution médicale traduit la volonté de lutter contre les méfaits sociaux de l’époque. Accroître les capacités physiques des enfants c’est combattre la maladie, mais c’est accroître aussi la vitalité des citoyens et des soldats. Les finalités hygiéniques viennent appuyer les finalités morales et sociales.

À l’inverse, dans les bourgs ruraux, cet objectif d'amélioration de la santé revêt une importance moindre, laissant transparaître une autre conception des pratiques corporelles. À Port-Louis, petit bourg rural du nord de la Grande- Terre, vivant de la pêche et du travail de la canne pour alimenter la sucrerie de Beauport située à quelques kilomètres, ces préoccupations liées à l'hygiène

1 Jean Louis Gay-Lescot, Sport et Éducation Physique sous Vichy (1940-1944), Lyon, PUL, 1991,

p.12.

2 H. Bangou, op. cit. P. 64. 3

5180 cas de paludisme et 938 cas de dysenteries sont dénoncés par ce rapport, pour la Guadeloupe.

4

L’Écho de la Reine de Guadeloupe, nº 143, janvier-février 1934. Article sur la paroisse de Saint-Claude.

semblent secondaires, comme le précisent les anciens du groupe. Situé en bord de mer et s'étalant dans les mornes de l'arrière-pays, les problèmes d'insalubrité que connaît Pointe-à-Pitre sont quasi inexistants à Port-Louis. La recherche de la performance et de l'exploit sportif semblent ainsi davantage valorisées. Le but est la victoire et la reconnaissance dans le bourg, mais aussi dans la colonie en figurant sur les journaux locaux qui retracent régulièrement les rencontres sportives du week-end. Les victoires des Sonis sur les autres associations sportives guadeloupéennes apportent à la ville de Port-Louis une notoriété encore reconnue aujourd'hui.

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