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Les prêtres fondateurs des Groupes de Sonis dans les paroisses étudiées : un symbole de dévouement et de paternalisme

Chapitre I er L’assimilation, un axe politique et social central dans la Guadeloupe coloniale (premier quart du XXe S.)

CHAPITRE 3 Les Groupes de Sonis 1 Que sont les Groupes de Sonis ?

2.3 Les prêtres fondateurs des Groupes de Sonis dans les paroisses étudiées : un symbole de dévouement et de paternalisme

Au côté de l’action menée par le Révérend Père Dugon et l’abbé Durand, les prêtres des paroisses apparaissent comme des symboles de dévouement pour les jeunes, voire de paternalisme. Ainsi, la popularité de l’abbé Jean-Marie Mestric, fondateur des Sonis de Port-Louis, est telle que depuis sa mort les anciens Sonis lui rendent hommage à Basse-Terre sur sa tombe, une fois par an. La reconnaissance de l’œuvre accomplie par ce prêtre perdure encore dans la mémoire des Port-Louisiens qui ont connu cette période. Les anciens de la Maristella du Gosier sont aussi marqués par les prêtres fondateurs du mouvement. L. Cellini, membre et responsable du groupe pendant plus de 50 ans, cite l’initiative de l’abbé Ryo, vicaire de Pointe-à-Pitre, qui créa la Maristella, mais surtout l’investissement de l’abbé Wil, curé du Gosier, qui développa véritablement le mouvement. C’est ce dernier qui envoya L. Cellini suivre des stages de formation auprès de l’abbé Durand au Moule, dès 1937- 1938 ; ce qui lui permit de prendre des responsabilités au sein du groupe dès l’âge de 18 ans. L’abbé Durand reste la figure la plus emblématique. Fondateur des Sonis du Moule et des Rayons Sportifs Féminins de cette commune, il fait figure d’éducateur hors pair. Assurant les stages de formation des cadres, sa renommée dépasse la localité du Moule.

Si le curé de la paroisse apparaît souvent comme une figure emblématique, il est associé à son vicaire qui est lui aussi investi dans l’action éducative de la jeunesse. Souvent plus jeune que le curé, c’est lui qui entraîne les jeunes ou qui leur enseigne la musique. Ainsi, l’abbé Ryo fut le premier secrétaire correspondant avec la FGSPF. À Port-Louis, le vicaire de l’abbé Mestric, l’abbé Henri Cheelder (que l’on appelait « Père Henri »), forme les Sonis à la musique. Joffre Commer, ancien Sonis de cette commune avant la Seconde Guerre mondiale, précise : « Il y avait un prêtre, qui était son vicaire, le Père Henri.

C’était un très bon musicien. C’est lui qui a appris aux jeunes d’ici à faire de la musique. Tôt nous avons monté une clique de clairons et d’autres instruments »1

Les vicaires et les prêtres sont assistés par des « moniteurs » qui assurent les formations culturelles, sportives et prémilitaires. C’est le cas de Catulle Lara

1

moniteur des Sonis de Pointe-à-Pitre. À Port-Louis, le moniteur M. René, instructeur militaire, dirigeait la préparation prémilitaire avec efficacité.

Enfin, ces personnalités sont associées à des personnalités civiles, souvent présidentes des organisations. C’est le cas de Joseph Foucan qui fut président des Sonis de Port-Louis jusqu'en 1995, c’est-à-dire plus de 50 ans ! C’est aussi le cas de Léon Cellini, entré chez les Sonis très jeune, il en fut un des « piliers » durant près de 60 ans. Son dévouement pour la jeunesse était total ; il allait par exemple chercher les jeunes et les ramenait avec sa propre voiture dans les différentes sections de la commune du Gosier (parfois éloignées de 15 kilomètres du bourg). Ce dévouement des cadres de l’organisation est souligné par la fédération dans un ouvrage publié pour son 50e anniversaire, en 1948 :

« L’esprit fédéral, c’est ce dévouement obscur, désintéressé, sans publicité, sans tapage, de chacun des membres petits et grands, au service d’une cause qui répugne le lucre en matière de sport »1 Les Groupes de Sonis reposent ainsi sur les personnalités fortes de certains prêtres et de certains éducateurs totalement investis dans l’action éducative de la jeunesse.

Au-delà du simple dévouement à la jeunesse locale, comment pouvons-nous expliquer cette reconnaissance qui perdure parfois plus de trois décennies après la disparition des cadres ? Une des causes semble résider dans le fait que les Sonis constituent souvent le seul loisir possible dans la colonie. Seule véritable possibilité de sortir du cadre familial et du cadre du travail, ils exercent un attrait considérable sur la jeunesse. De plus, dans une société désireuse de parvenir à l'égalité avec la métropole, les Sonis peuvent satisfaire cette volonté égalitaire avec les colons blancs. Enfin, la structure même de la famille guadeloupéenne favorise cette reconnaissance envers les responsables de l'organisation. Ce symbole du « paternalisme » pourrait reposer sur le fait que la famille est essentiellement matrifocale. Les foyers matrilinéaires dominent. Citant une étude publiée en 19122, C. Fabre signale que près de 75 % des enfants guadeloupéens sont illégitimes ; la structure familiale telle qu'elle existe en métropole est inexistante en Guadeloupe. Ce fait semble hérité de l'esclavage, comme le souligne R. T. Smith : « Sur la plantation, il était

impossible de conserver parmi les esclaves certains des domaines de l'activité masculine traditionnelle en Afrique, comme le clan et la famille élargie. Alors que le groupe élémentaire mère enfant demeurait à peu près intact, les responsabilités de l'homme en tant que chargé des biens matériels, leader religieu, et chef du lignage disparaissaient. » 3 Même après l'abolition, l'auteur signale que le rôle du père demeure souvent inexistant. Cette absence du père et

1

R. Hervet, La Fédération Sportive de France (1898-1948), Paris, imprimerie Henriot et Guyot, 1948, p.73.

2

C. Fabre, op. cit..

3

R. T. Smith, La famille dans la région caraïbe, in J. Benoist, Sociétés antillaises : études

anthropologiques, textes choisis, Centre de recherches caraïbes, Université de Montréal, 1970, 64

du contenant qu'il représente pour l'enfant dans les sociétés européennes pourrait ainsi donner aux prêtres et dirigeants des Sonis ce rôle. Règles, discipline, respect que véhicule à cette époque le père seraient ainsi inculqués par les prêtres. Comme le précise Claude Thibault, ancien Sonis de Pointe-à- Pitre, son inscription au groupe Pointois fut voulue par sa mère, « cheville

ouvrière »1 de la famille, alors que son père, franc-maçon, n'était pas forcément enclin à l'adhésion de son fils. Mais il ne maîtrisait pas l'éducation que la mère dirigeait. On peut ainsi émettre l'hypothèse qu'une organisation comme les Groupes de Sonis fournit aux enfants la structure stable que la famille ne peut pas leur donner. À partir de là, on conçoit que le souvenir exercé par les anciens cadres de l'organisation puisse être quasi légendaire.

3 1940-1943 : l’âge d’or des Sonis

Le recensement des adhérents aux Groupes de Sonis comptabilise un pic maximal d'adhésion entre 1940 et 1943. C'est durant cette période que l'impact éducatif des Sonis semble le plus important.

Dans quel contexte politique et social se situe cette période faste pour les Sonis ? Quelles sont les causes de cette croissance des groupes ? Pourquoi ont- ils bénéficié d’une telle popularité durant cette période ?

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