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Chapitre I er L’assimilation, un axe politique et social central dans la Guadeloupe coloniale (premier quart du XXe S.)

CHAPITRE 3 Les Groupes de Sonis 1 Que sont les Groupes de Sonis ?

5 Groupes de Sonis : sociologie du recrutement

Dans les années d’avant-guerre, au début du mouvement, les Blancs sont majoritaires : « À l’époque, les Sonis étaient une sorte de race distinguée.

C’était ceux qui travaillaient à l’école. Ceux qui étaient le plus instruits »4 . Pour rentrer chez les Sonis, il faut pouvoir apprendre le catéchisme, lire la bible, et passer la première communion : « Parce qu’il fallait passer un examen pour

1 Entretien avec Aristide Gordien. 02 décembre 1997. Port-Louis. 2

Recensement de la paroisse de Port-Louis, année 1943-1944, archives de l'évêché de Guadeloupe, Basse-Terre.

3

Entretien avec Léon Cellini, op. cit.

4

faire la première communion et pour la renonce1. Des questions de catéchisme. C’était sur 10. Il fallait avoir 5, sinon… » (A. Gordien). Pour être Sonis il faut

donc être scolarisé, savoir lire et écrire. Or, l'instruction reste l'apanage de la classe blanche aisée. En effet, de nombreuses familles n’ont pas les moyens financiers de scolariser leurs enfants, même dans le public, gratuit (et encore moins dans le privé qui est payant) ; elles ne peuvent acheter les fournitures. L’éloignement des lieux d’habitation par rapport aux écoles rend la scolarisation encore plus difficile. Le conseiller Lurel précise en 1935 qu’il faut « aux enfants

se déplacer trois, quatre, cinq heures durant et franchir des distances de huit, dix, quinze kilomètres pour suivre les classes. »2 Le besoin de main-d’œuvre

dans la culture de la canne est un autre facteur de limitation de la scolarisation dans les familles ouvrières noires. Très jeunes, les enfants aident leurs parents à la récolte (rapport Debretagne, 1935).

D’autre part, comme le précise A. Abou3

, les lois républicaines en matière d’enseignement ne sont pas appliquées. Nous pouvons supposer à partir de ces données, que dans les débuts du mouvement les Sonis s’adressent principalement à la classe blanche, la plus instruite « Chez les Sonis, c'était les

fils de blancs pays, des usiniers blancs. »4 La classe ouvrière formant la majorité de la population guadeloupéenne (ouvriers urbains, travaillant dans le bâtiment ou comme charbonnier ; ouvriers de la canne travaillant au champ ou dans les usines), accède plus difficilement aux Sonis. C’est ce qui fait dire à G. Gordien que « les Sonis de Pointe-à-Pitre étaient des enfants de bonne famille,

de grandes familles, en particulier des Blancs ». Ceci semble être d'autant plus

vrai que durant cette période le niveau de vie des classes moyennes et supérieures guadeloupéennes progresse. Certains secteurs économiques sont en expansion comme c'est le cas de la banane ou du sucre. Leurs exportations progressent respectivement de 144,7 % et de 210 % entre 1936 et 1938. Les exportations de café connaissent aussi une augmentation de plus de 900 % ! Le commerce dans son ensemble connaît une progression importante entre 1921 et 1939. Les exportations augmentent de 272 % et les importations de près de 205 %5. La Guadeloupe accroît sa capacité de production et de consommation indice d'une amélioration du niveau de vie. Mais en tirent profit les industriels et commerçants, en minorité numérique. La classe ouvrière demeure pauvre, vivant dans les cases des quartiers périphériques des centres urbains historiques.

1

Renonce : renouvellement des vœux du baptême, appelé « communion solennelle » en métropole.

2

A. Abou, L’école dans la Guadeloupe coloniale, Paris, éd. Caribéennes, 1988.

3 A. Abou, idem. 4

Entretien avec Mme Hildvert, éclaireuse de Pointe-à-Pitre. 3 mars 1999. Pointe-à-Pitre.

5 Ces chiffres s'inscrivent dans une augmentation générale du commerce entre la France

métropolitaine et ses colonies : entre 1913 et 1933, les échanges passent de 13 % à 27 %. En 1933 les colonies absorbent 33 % des exportations de la métropole et lui fournissent 23 % des ses importations. Pour la période 1909-1913, les exportations métropole-colonies ne s'élevaient qu'à 12,8 %, et les importations à 10,9 %. (in R. Girardet, op. cit.).

C'est le cas du Carénage à Pointe-à-Pitre, quartier insalubre autour de la sucrerie Darboussier. Les importations connaissent, elles aussi, une croissance importante principalement dans les denrées de première nécessité. Ainsi, les importations de froment augmentent de 134 % entre 1936 et 1938 et celles de riz, de 94 %. Mais d'autres biens voient aussi leurs importations augmenter, preuve d'un intérêt croissant chez les Guadeloupéens pour des dépenses qui ne sont pas de première nécessité. C'est le cas des parfums et savons dont l'importation augmente de 54 % entre 1936 et 1938. Les Guadeloupéens commencent à pouvoir dépenser de l'argent dans des produits de luxe. Les classes dominantes s'ouvrent à la consommation. L'augmentation globale des importations de 99,7 % témoigne de cette expansion du niveau de vie sur la seule période du Front populaire. Ce sont les enfants de ces familles argentées qui vont gonfler les effectifs des Sonis dans cette période.

Mais si l’organisation s’adresse principalement aux Blancs, dans ces débuts, elle s’ouvre progressivement aux différentes couches de la population, sous l’impulsion de Monseigneur Genoud qui prône l’ouverture afin d’élargir le recrutement : « Le groupe s’est ouvert. Même Monseigneur Genoud a poussé

dans ce sens. Il y a eu cette idée de prendre la jeunesse. Vous savez, tous les mouvements et toutes les institutions voulaient avoir la jeunesse » (C. Thibault).

L. Cellini, de la Maristella du Gosier, se souvient que le premier Noir qui est entré au Sonis de Pointe-à-Pitre était M. Rivier, commerçant ; c’était un noir « tout à fait distingué ». Ainsi, le recrutement s’élargit d’abord aux Noirs aisés et instruits, probablement aussi aux Mulâtres, davantage scolarisés.

Il apparaît aussi que les milieux de recrutement des Sonis dépendent des paroisses d’implantation. À Port-Louis, comme dans la plupart des communes rurales (Vieux-Habitants, Moule…), le recrutement se fait davantage chez les Antillais noirs, le nombre de Blancs étant très réduit. À Pointe-à-Pitre, ville commerciale, la classe blanche constitue la majorité des adhérents. Il n’est donc pas étonnant que certains groupes recrutent davantage dans les milieux noirs que d’autres : « A Port-Louis, il n’y avait pas de Blancs. La société s’adressait

aux Noirs. Il n’y avait pas de population blanche » précise G. Gordien. Mais les

Noirs qui sont recrutés se doivent d’avoir une instruction, au moins dans les premières années de l’organisation (G. Gordien sera instituteur).

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