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La participation aux fêtes des communes comme « couronnement » de l’activité des Sonis

Chapitre I er L’assimilation, un axe politique et social central dans la Guadeloupe coloniale (premier quart du XXe S.)

CHAPITRE 3 Les Groupes de Sonis 1 Que sont les Groupes de Sonis ?

8 Les activités pratiquées par les Groupes de Sonis

8.5 La participation aux fêtes des communes comme « couronnement » de l’activité des Sonis

Les défilés et démonstrations sportives durant les fêtes communales constituent sans aucun doute l’aboutissement de toute cette formation, et laissent un souvenir fort chez les anciens. « On défilait pour les fêtes

religieuses. Le défilé partait devant la Mairie et traversait le bourg, avec les musiciens, ceux qui faisaient de la gymnastique, puis les filles. Et c’était la Maristella qui fêtait la fête du Gosier le lundi, derrière l’église » (L. Cellini).

La Maristella se mobilise aussi pour les grandes manifestations religieuses. Le jour où l’évêque Mgr Genoud est venu célébrer les confirmations au Gosier, les Sonis l'accompagnent en cortège à la croix du bourg. Majestueux, monté sur son cheval, il chemine entre deux haies de fidèles, au son des clairons et des tambours de la clique, encadré par les Sonis en uniforme immaculé. Les processions religieuses sont aussi l'occasion de démonstrations (photo nº 3).

À Pointe-à-Pitre les défilés des Sonis ont lieu le Mardi gras, le 14 Juillet et le 11 Novembre, marquant ainsi la dimension patriotique de l’organisation. Ils défilent aussi, comme à Port-Louis, pour les fêtes religieuses, Pâques, Pentecôte ou pour la nativité de la Vierge, participant ainsi aux processions. Les défilés débouchent sur le terrain de fête où ont lieu les rencontres sportives. Mais les Groupes de Sonis sont aussi invités dans les différents bourgs de la Guadeloupe, si bien que défilés et rencontres sportives sont très fréquents, hebdomadaires en juillet et en août (période des différentes fêtes des communes). La Maristella participe aux fêtes de Grand-Bourg, de Saint-Louis et de Capesterre, sur l’île de Marie-Galante ; mais aussi à celles des Saintes (Terre-de-Haut et Terre-de-Bas). Inversement, les Sonis de ces îles se rendent à la fête du Gosier.

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Ces défilés sont réglementés par le « Protocole des concours ». Les sociétés évoluent en colonnes par quatre ou par six, drapeaux en tête. Tambours, clairons et trompettes prennent place derrière les drapeaux. Clique et drapeaux sont

suivis des sportifs masculins et féminins. Ils évoluent sous le commandement d’un chef instructeur. Les Sonis saluent au passage devant la tribune d’honneur où se trouve en général l’évêque ou le président de l’Union Guadeloupéenne. À Pointe-à-Pitre les défilés peuvent compter jusqu'à 250 Sonis. À Port-Louis, sous le ministère de l’abbé Mestric, jusqu'à 120 jeunes peuvent marcher derrière la clique. Les concours sportifs organisés par l'Union Guadeloupéenne attirent les foules. Le 29 janvier 19391, la journée de l'Union regroupe 1 200 jeunes de quinze sociétés sportives. La cérémonie est grandiose, présidée par l’évêque Mgr Genoud et le gouverneur de la colonie. Les concours gymniques, d'athlétisme et les mouvements d'éducation physique d'ensemble se déroulent sur la place de la Victoire, que l'on regagne après la messe en défilant dans la rue au son des cliques. Les drapeaux des différents Groupes de Sonis flottent devant les jeunes garçons qui marchent au pas, vêtus de blanc, portant bérets et casques coloniaux. Toute la presse coloniale relatera l'événement.

L'occupation de l'espace public (fêtes patronales, kermesses…) traduit une volonté de la part de la hiérarchie catholique guadeloupéenne de faire la démonstration de son pouvoir au sein de la société, en montrant l’efficacité de son système éducatif. Cette problématique est fréquente à cette époque, aussi bien en métropole que dans les colonies. « Le spectacle est une dimension

constitutive de l’exercice du pouvoir ; il exprime un style politique, il caractérise le type de relation paternaliste, clientéliste, coercitive, etc. qui s’établit entre les autorités et une population. »2

En regroupant messes, représentations théâtrales, mouvements gymniques d’ensemble, démonstrations de force, rencontres sportives… les fêtes de patronages sont d’excellents moyens de propagande. Elles rendent compte du dynamisme de l’institution catholique. « L’Église, accusée de conservatisme, voire d’antimodernisme

trouve auprès des sociétés sportives catholiques une façon de se rendre visible au monde, à travers notamment les parades, défilés, concours, toute manifestation publique assurant une démonstration de discipline, de force, et de joie. »3 C’est aussi l’argumentation que développe H. Mephon (2007) :

l’organisation du premier festival de gymnastique par l’Union Guadeloupéenne en 1938 à Basse-Terre « concrétise la volonté des catholiques d’afficher

publiquement le monopole de la gymnastique. »4

Les Groupes de Sonis sont ainsi très populaires : « Il y avait beaucoup

d’engouement pour les Sonis. Parce qu’il n’y avait pas autant de sociétés que

1

L'Écho de la Reine de Guadeloupe, février 1939.

2

P. Chambard, Les vitrines de la République. Uniformes, défilés, drapeaux dans les fêtes de gymnastique en France (1879-1914), in Les athlètes de la République. Gymnastique, Sport, et

idéologie républicaine. 1870-1914. S/D de P. Arnaud, Toulouse, Bibliothèque historique Privat,

1987, 423 p.

3

L. Munoz, op. cit., p. 19.

4

H. Mephon, Corps et société en Guadeloupe. Sociologie des pratiques de compétition, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2007.

maintenant. Tout le monde était Sonis. Il n’y avait pas d’autres sports ; toute la jeunesse était Sonis. Il n’y avait pas de loisirs »1. L’absence d’autres associations est sans aucun doute une des causes de la popularité de cette organisation. Avant la Seconde Guerre mondiale et jusque dans les années soixante, les loisirs sont rares dans la société guadeloupéenne, notamment en zones rurales. Seuls quelques divertissements ponctuent la semaine des Guadeloupéens. Ainsi, le bal était une activité très répandue chez les adultes. On y danse la biguine ou le tango. Les aînés jouent à la belote et aux dominos. Les marins-pêcheurs organisent des courses de canots à voiles lors des fêtes communales.

L. Cellini souligne aussi la dépendance des Sonis à l’Église comme cause de popularité. La Guadeloupe coloniale, à dominante catholique, est, selon lui, admirative de ces organisations paroissiales, capables de fédérer des centaines de jeunes. Elles peuvent représenter un idéal éducatif pour de nombreuses familles et assurer une formation religieuse et disciplinaire valorisée dans la société de l'époque. La conjonction de ces différents facteurs fait dire à C. Thibault, que « c’était la fierté des jeunes de cette époque d’être membre de

cette association, de s’y former. »

Les Sonis constituent ainsi un « outil » de propagande non négligeable pour l’Église de Guadeloupe. Monseigneur Genoud dit d’eux : « C’est ma carte

d’honneur ! » Les Sonis de Pointe-à-Pitre l’escortent à partir du Morne Miquel,

lorsqu’il vient dans cette ville. Ceux de Basse-Terre l’accompagnent jusqu’à la cathédrale lorsqu’il s’y rend pour l’office. Les Sonis sont « la vitrine sociale » de l’évêché, et permettent à la population de mesurer l’ampleur du travail éducatif mené par le diocèse. Les Groupes de Sonis se positionnent à la fois comme outils de propagande du pouvoir ecclésiastique local, notamment contre les associations de jeunesse laïques, et à la fois comme symbole de la puissance de ce même pouvoir. L'occupation de l'espace public lors des fêtes des communes ou des rencontres organisées par l'Union permet à la hiérarchie ecclésiastique locale d'étaler aux yeux de ses fidèles l'œuvre qu'elle est capable de mener envers la jeunesse, dans un but de séduction de la population guadeloupéenne en général et des familles en particulier. (Photo nº 4).

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Photo nº 4 9 L’organisation des activités

Les entraînements sportifs sont en général hebdomadaires, voire bihebdomadaires dans le meilleur des cas. Ils se déroulent souvent le jeudi, jour férié pour les écoliers. C’est le cas du groupe de Pointe-à-Pitre. À Gosier, le jeudi est réservé à l’entraînement des filles et le samedi à celui des garçons. Les répétitions de la clique ont lieu le soir, après sept heures, heure de la fin de la messe paroissiale. À Port-Louis, les entraînements sont plus nombreux et peuvent se dérouler tous les jours en fonction des disponibilités des prêtres. À Basse-Terre, ils ont lieu aussi le jeudi, et se terminent par une discussion avec le prêtre sur les Évangiles et la parole de Dieu.

Pour préparer les compétitions, les Groupes de Sonis s’entraînent dans des conditions souvent sommaires. Les entraînements des différentes sections se font généralement dans la cour du presbytère ou au mieux dans une salle attenante mise à leur disposition par le curé. C’est le cas des Sonis de Pointe-à- Pitre qui disposent d’un « minigymnase au presbytère » (C. Thibault). Ce groupe fait figure de privilégié, pouvant aussi s’entraîner sur la place de la Victoire (« stade » de football de la ville). Le groupe dispose aussi d'un portique

sur lequel sont montés des anneaux, un trapèze, des cordes. À Gosier, barres fixes, barres parallèles et anneaux sont installés dans une salle attenante à l’église. À Sainte-Anne, les prêtres ont aménagé un terrain de sport derrière le presbytère. La plupart du temps, il s’agit d’aménagements de fortune, effectués par les prêtres eux-mêmes afin de permettre aux jeunes de pratiquer.

Les entraînements, tout comme les répétitions théâtrales et musicales suivent en général un programme hebdomadaire, intégré dans un plan d’action annuel. Programme et plan d’action sont établis par les responsables des groupes, en fonction des fêtes communales, des rencontres de l’Union Guadeloupéenne ou de toute autre manifestation à laquelle peuvent participer les Sonis (visite de l’évêque ; fête nationale ; commémoration de l’armistice de la Grande Guerre…). Afin de réguler ces programmes d’activités, les responsables se réunissent régulièrement. Ainsi, à Pointe-à-Pitre une réunion des chefs d’équipe d’une même section a lieu tous les jeudis soirs. Toutes les deux semaines, il y a un regroupement général de tous les chefs des différentes sections.

Si les apprentissages des techniques sportives, faute de cadres, se font souvent à partir de fiches techniques envoyées par le siège fédéral [schémas de figure de gymnastique que les jeunes essayaient de reproduire (document nº 1)], la formation des cadres est une préoccupation centrale des Sonis.

Les moniteurs et instructeurs suivent des formations pour les préparer à encadrer et à enseigner. En 1936, L. Cellini, alors âgé de 18 ans, est envoyé par l’abbé Will, curé du Gosier, à un stage de formation au Moule, encadré par l’abbé Durand. Le stage dure un mois et regroupe des jeunes de différentes communes (Port-Louis, Pointe-à-Pitre, Vieux-Habitants…). « On vous

apprenait à faire de tout. Travailler aux barres fixes, aux barres parallèles. Il fallait avoir la valeur d’au moins quatrième degré. On vous apprenait à entraîner les jeunes ; pour la gymnastique, pour faire des mouvements d’ensemble. On prenait un groupe de ceux qui étaient en stage, et chaque jour c’était un d’entre nous qui commandions. Pour nous habituer, quand on serait dans notre club. Pour entraîner les jeunes »1. C’est à la suite de ce stage que les

Sonis du Gosier s’organisent vraiment. La formation des cadres chez les Sonis, tout comme dans le scoutisme revêt une dimension indispensable pour assurer le fonctionnement des groupes et l'application des directives métropolitaines. Elle est la garante de la conformité aux sociétés métropolitaines ; elle assure aussi pour les parents la certitude d'une éducation de qualité, menée par des cadres compétents.

Sur un plan hiérarchique, les Groupes de Sonis sont sous la direction du curé de la paroisse. Ils sont intégrés aux patronages paroissiaux, et à ce titre, ils sont donc dirigés par le prêtre. Chaque groupe est divisé en sections ; chaque section pratique des activités différentes. Chez les Sonis de Pointe-à-Pitre, il y a une section théâtrale, une section de danse, une section musicale, des sections sportives (football, basket-ball). Chaque section a un moniteur qui assure les entraînements. Moyennant une cotisation, les jeunes peuvent participer à plusieurs activités. La constitution des sections est faite selon les activités et par affinité, laissant une liberté d’association pour les jeunes ; ils peuvent se retrouver ainsi entre camarades. La formation prémilitaire est, quant à elle, encadrée par des « instructeurs ». Lors de défilés, ces sections constituent la « troupe » qui marche derrière la clique. À Port-Louis, la troupe est divisée en trois groupes (les grands, les moyens et les petits), chacun sous la responsabilité d’un « chef ». Troupe et clique sont dirigées par le « chef de défilé ».

Conclusion partielle

Cette période est marquée par la forte popularité des Sonis dans la société guadeloupéenne. L'accroissement de leurs effectifs dès l'année scolaire 1936- 1937 résulte de plusieurs facteurs. Il s'intègre tout d'abord dans la lutte que mène la hiérarchie ecclésiastique locale contre les mouvements de jeunesse laïques qui, eux aussi, se développent dans la période. Pour l'Église, désireuse d'étendre son message évangélisateur, la jeunesse devient un enjeu de conquête idéologique. Il résulte ensuite de la politique sportive menée par l'État, d'abord

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par le gouverneur de l'époque nommé par le Front populaire, Félix Éboué, et ensuite par le gouverneur C. Sorin, nommé par Pétain. Les Sonis se situent ainsi dans la mouvance du développement des pratiques sportives qui touche la colonie durant cette période. La poursuite d'une politique en faveur de la jeunesse par le gouvernement de Vichy va induire une forte adhésion de la jeunesse guadeloupéenne aux Sonis entre 1939-1940 et 1941-1942. Ce pic des effectifs témoigne d'une adéquation entre les objectifs et les activités des Sonis et le type d'organisation de jeunesse voulue par le Maréchal Pétain, à l'image de certaines organisations métropolitaines telles que les Compagnons de France ou les Jeunesses du Maréchal. Uniforme, défilés, militarisation de l'encadrement, recherche du développement physique… propres aux Sonis, se situent dans la logique voulue par Pétain pour former une jeunesse nouvelle dans l'optique de la Révolution Nationale. Ainsi, l'avènement de l'Ordre Nouveau dans la colonie renforce l'importance des Groupes de Sonis en tant que représentatifs d'un système éducatif dans la lignée du régime.

Enfin, les Sonis, sociétés sportives copies conformes des sociétés métropolitaines, jouent un rôle assimilateur important, à la fois aux yeux du pouvoir blanc colonial, mais aussi de ceux des populations guadeloupéennes, dont l'assimilation à la métropole est une revendication récurrente depuis l'abolition de l'esclavage en 1848. Les Sonis sont ainsi soumis à une éducation métropolitaine acculturante qui doit faire évoluer le petit Antillais vers l’état de Français à part entière, citoyen, soldat et bon catholique.

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