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La perception de l'assimilation chez les Antillais 1 Une volonté d'être français à part entière

Chapitre I er L’assimilation, un axe politique et social central dans la Guadeloupe coloniale (premier quart du XXe S.)

4 La perception de l'assimilation chez les Antillais 1 Une volonté d'être français à part entière

La politique d'assimilation instaurée par l'État colonial s'inscrit dans une logique d'adhésion de la population antillaise. La perception qu'ont de l'assimilation les Guadeloupéens qui ont vécu cette période (1920-1950) se caractérise par l'absence totale de référence à une quelconque spécificité culturelle locale. L'assimilation ne se joue pas que dans une seule direction, elle est aussi une revendication du peuple antillais qui y voit une possibilité d'amélioration de sa condition. Le sentiment est celui d'être français, de n'avoir comme unique référent que la France métropolitaine. En ce sens, la politique assimilationniste de la France a fonctionné de façon remarquable jusqu'au début de la décennie 1950. « À l’époque, on se sentait Français. Tout était calqué sur

la France. On ne savait rien de la Guadeloupe, de nos origines. Pendant la guerre, on chantait Maréchal, nous voilà ! »1 Le sentiment d'une identité locale, d'une spécificité culturelle, n'existe pas. La France et son empire restent les référents des Antillais, chez les Blancs créoles, comme dans la population noire issue de l'esclavage. C'est ce que signale Maryse Condé dans son ouvrage autobiographique2 où elle relate son enfance à Pointe-à-Pitre. Ce qui a le plus fait souffrir ses parents durant la Seconde Guerre mondiale, c'est le fait de n'avoir pas pu se rendre à Paris durant sept ans ! « Pour eux, la France n'était

nullement le siège du pouvoir colonial. C'était véritablement la mère patrie et Paris, la Ville lumière qui seule donnait l'éclat à leur existence. ».

Ainsi, la domination coloniale n'est pas perçue comme un état de fait négatif. Les Antillais, principalement dans les classes sociales aisées, ne se sentent pas dominés ; ils sont français à part entière et la France représente leur patrie. Dans ce contexte, l'éducation ne peut être qu'une éducation métropolitaine, la seule qu'un père soit digne d'inculquer à sa descendance.

Certains intellectuels antillais dénoncent cet état de soumission à l'imprégnation culturelle du Blanc. Ainsi, Frantz Fanon (1952)3 montre que le

processus d'assimilation imposé par l'éducation familiale et scolaire du jeune Antillais l'empêche de se considérer autrement que comme un Blanc : « c'est

que l'Antillais a le même inconscient collectif que l'Européen » (p. 154).

L'enfant noir antillais est éduqué avec les référents culturels métropolitains :

« Le Noir antillais est esclave de cette imposition culturelle » (p. 155). C'est le

processus d'assimilation permanent exercé par la société coloniale qui façonne l'Antillais noir à l'image du blanc.

1

Entretien avec M. Blombou. 17 février 1999. Abymes.

2

Maryse Condé, Le cœur à rire et à pleurer. Contes vrais de mon enfance, Paris, Robert Laffont, 1998, p 11.

3

4.2 L'éducation scolaire et familiale : être aussi blanc que le Blanc

La seule possibilité d'ascension sociale résulte de l'accession aux normes du colon blanc. La respectabilité et la reconnaissance professionnelle passent par la maîtrise de la langue française qui devient pour les parents le garant de la réussite de leurs enfants. « La langue française, c'était la langue sacrée ! Si l’on

voulait que les enfants arrivent, il fallait qu'ils s'expriment en français. »1 Les familles forcent les enfants à parler français à la maison afin que sa maîtrise soit plus effective et permette la réussite scolaire. Il faut apprendre la langue française pour réussir à l'école. « On n'avait pas le droit de parler créole. Moi je

n'ai jamais parlé créole à mes parents. Mais c'était une habitude. Encore maintenant je parle rarement à quelqu'un en créole. C'était les basses classes de la population qui parlaient créole. Mes parents me parlaient en français. »2

L'utilisation de la langue créole dépend des milieux d'appartenance. Dans les familles aisées, la maîtrise du français garantit l'accès aux études et permet ainsi l'ascension sociale. L'obtention de postes à responsabilité dépend de la connaissance de la langue du colon. Le français est donc imposé par les familles. L'école laïque, comme l'école confessionnelle, interdit aussi le créole. Le Père Flover 3 se souvient avoir eu une punition de 500 lignes : « je ne parlerai pas le créole en classe ». Toléré à la récréation, il est à proscrire dès l'entrée dans la classe. Dans l'entre-deux-guerres, si l'éducation dans les familles dépend de l'appartenance sociale, la maîtrise de la langue française est perçue par l'ensemble des Guadeloupéens noirs comme le symbole de l'appropriation de ce que possède le blanc : « C'était un peu la résurgence de l'esclavage : le

maître était beau, il avait la richesse… Il fallait s'approprier ce que le maître avait, donc la langue. On pouvait ainsi devenir un peu l'égal du maître. » (M.

Blombou).

Histoire et contes populaires témoignent aussi de cette volonté d'être Français comme le montre par exemple cette comptine que les enfants chantent durant cette période : une négresse qui buvait du lait. Ah ! Se dit-elle, si je

pouvais. Tremper ma figure dans un bol de lait. Je deviendrais plus blanche. Que tous les Français. Ais. Ais. Ais ! La volonté de devenir l'égal du Blanc

colon, symbole du pouvoir et de la richesse, envahit la population noire, jusqu'au monde des enfants que l'on conditionne dès leur plus jeune âge à accéder au statut du blanc. En ce sens, ce type de comptine s'inscrit dans le « négrisme » de Légitimus et laisse percevoir cette volonté qu'a l'Antillais de devenir plus blanc que le Blanc.

Cette volonté de s'approprier les critères de reconnaissance de la société blanche s'exprime pleinement dans l'éducation menée par l'Église catholique locale tant sur le plan scolaire qu'extrascolaire. Sonis et scoutisme vont ainsi

1

Entretien avec M Blombou, idem.

2

Entretien avec C. Trébert, 30 avril 1999, Petit-Bourg.

3

devenir des supports de ce type d'éducation, garants eux aussi de la politique assimilationniste.

5 L'assimilation des populations locales se joue dans un contexte de

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