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Tronchet s’oppose à Duport en faisant valoir que le peuple ne pourra exercer le pouvoir judiciaire qu’à travers des délégués, que ces délégués soient des jurés ou des juges

Section 1 : L’institution du jury populaire

A. Le caractère démocratique du jury

68. Tronchet s’oppose à Duport en faisant valoir que le peuple ne pourra exercer le pouvoir judiciaire qu’à travers des délégués, que ces délégués soient des jurés ou des juges

professionnels. « Les jurés ne sont que ses délégués, les juges choisis par lui ne sont- ils pas ses délégués ?137 » Selon Tronchet les jurés possèdent la même légitimation représentative indirecte que les juges. Il remet donc en cause la légitimité supérieure qu’attribue Duport aux jurés, critiquant ainsi indirectement un des arguments au soutien du jury138.

      

132

Ibid. p. 410.

133

DUPORT, Assemblée nationale constituante, débats archives parlementaires, Madival et Laurent, 29 mars 1790, Tome 12, p. 414.

134

Idem

135

DUPORT, Assemblée nationale constituante, débats archives parlementaires, Madival et Laurent, 29 mars 1790, Tome 12, p. 416.

136

Ibid. p. 410.

137

TRONCHET, Assemblée nationale constituante, débats archives parlementaires, Madival et Laurent, 29 avril 1790, Tome 12, p. 331.

138

A. Padoa SCHIOPPA, « Remarques sur l'histoire du jury criminel », in La cour d'assises, Bilan d'un héritage

69. Pour délivrer la France « de ces corps menaçants139 » Duport et Thouret préconisent l’introduction du jury dans le jugement des procès criminels. « Seul le jugement par jurés rendra impossible le retour des anciens abus 140». Le jury, expression de la souveraineté nationale, apparait pour les Constituants comme la seule garantie del’absolue impartialité de la justice et donc de la liberté publique et individuelle.

70. M. Duport égraine les avantages que possèdent les jurés, en raison de leur qualité de citoyen et d’homme libre et que ne possèdent pas les magistrats professionnels. Les jurés, « hommes du même état, du même intérêt que les parties 141» ne pourront être que justes « autant par intérêt que par devoir 142». Ces citoyens, juges temporaires, placés dans la même situation que les parties, « montreront dans l’exercice de leurs fonctions de l’intégrité et de la justice, afinde jouir de l’effet de ces vertus, lorsqu’ils seront jugés par leurs successeurs143 ». Ainsi les décisions des jurés se rapprocheront de celles des arbitres, elles s’imposeront par la confiance et le crédit qu’accordera le peuple aux jurés144.

Afin de renforcer encore plus l’impartialité de ces jurés, le député Duport propose que les jurés soient tirés au sort, récusables en grand nombre afin « d’en conserver les plus honnêtes et les plus éclairés145 ». Le député Garat déclarera à l’Assemblée constituante « je crois m’entendre proposer en vérité par le Président de Rabelais, de livrer les jugements aux chances des dés qui sortiront du cornet146 ». La définition des jurés donnée par Duport reprend ses propositions, les jurés « sont de simples citoyens pris au hasard, récusable en grand nombre, appelés à décider sur le champ, dans une affaire seulement, différents points qui sont l’objet d’un procès(…) entre le ministère public et les citoyens147 ».

      

139

THOURET, Assemblée nationale constituante, débats archives parlementaires, Madival et Laurent, 6 avril 1790, Tome 12, p. 553.

140

DUPORT, Assemblée nationale constituante, débats archives parlementaires, Madival et Laurent, 29 mars 1790, Tome 12, p. 416. 141 Ibid. p. 414. 142 Idem. 143 Ibid. p. 417. 144 Ibid. p. 421. 145 Ibid. p. 427. 146

GARAT, Assemblée nationale constituante, débats archives parlementaires, Madival et Laurent, 31 mars 1790, Tome 12, p. 498.

147

DUPORT, Assemblée nationale constituante, débats archives parlementaires, Madival et Laurent, 29 mars 1790, Tome 12, p. 433.

71. Les Constituants souhaitent exclure le pouvoir d’appréciation des magistrats professionnels de l’ensemble de la procédure pénale148. Duport propose de confier la décision de la culpabilité aux citoyens c’est-à-dire au jury populaire. Les juges professionnels se verraient seulement confier l’application de la peine prévue par la loi. « Les hommes dont l’unique fonction est d’appliquer la loi sans avoir pris, dans l’examen du fait, aucune impression en faveur d’aucune des parties, pour ou contre l’accusé, auront, par cela même, ce caractère d’impartialité qui convint à la justice, ils ne chercheront pas à détourner le sens de la loi ; et leur décision conforme à son esprit, sera toujours franche et naturelle149 »

72. Ainsi, « la partie importante se trouve vraiment confiée aux jurés 150». Les magistrats professionnels ne pourront plus avoir aucune incidence sur le verdict, ils seront liés par la décision des jurés sur la culpabilité et devront se contenter « d’appliquer passivement la loi »151. « Toute interprétation, toute explication de la loi purement théorique ou réglementaire doit leur être interdite 152». La dichotomie entre le fait confié à l’appréciation des jurés et le droit appliqué par les magistrats proposé par le député Duport sur le modèle du système anglais n’a d’autre but que d’assurer l’intégrité, l’impartialité des juges et jurés. Le jugement est un syllogisme dont le fait est la majeure, la loi est la mineure et le jugement en est la conséquence. Le fait doit dans un premier temps être établi, avant de comparer le fait et la loi. Ces deux étapes ne doivent pas être confiées aux mêmes personnes afin que la loi applicable aux faits ne dévoie pas l’appréciation des faits. En effet, le juge pourrait avoir la tentation d’adapter son appréciation des faits en fonction de la sanction qu’il souhaite153.

73. Duport rencontre sur ce point des opposants, tels que les députés Garat et Tronchet. Selon ces députés couper le jugement en deux est une méthode de délibéré qui n’est pas naturelle et pas logique car le jugement est un tout dans l’esprit de celui qui juge. « Mais

      

148

DUPORT, Assemblée nationale constituante, débats archives parlementaires, Madival et Laurent, 29 mars 1790, Tome 12, p. 434. « Otons aux juges toute autorité superflue qu’ils ne puissent jamais créer un procès, le déterminer, juger les faits qui en sont la base ; qu’ils ne puissent jamais ni décréter ni condamner sans jurés »

149

Ibid. p. 413.

150

Ibid. p. 414.

151

THOURET, Assemblée nationale constituante, débats archives parlementaires, Madival et Laurent, 6 avril 1790, Tome 12, p. 553. « Lorsque le ministère du juge, entièrement subordonné à la décision préalable des pairs de l’accusé sur le fait, sur la preuve et sur le caractère du élit se bornera à appliquer passivement la loi, la liberté individuelle n’aura plus rien à craindre de l’autorité judiciaire »

152

DUPORT, Assemblée nationale constituante, débats archives parlementaires, Madival et Laurent, 29 mars 1790, Tome 12, p. 411.

153

Ch. CHABROUD, « Assemblée nationale constituante », Séance du 30 mars 1790, p. 445 « Quand le fait et le droit ont confondus, le juge ajuste le fait, pour la loi ; il le manie, il le ramène à ses idées, et c’est précisément en cela que consiste l’arbitraire dans un pays où il y a des lois »

coupa-t-on jamais un syllogisme en deux pour en faire gouter les prémisses par des ignorants en logique, et tirer ensuite la conséquence par de bons logiciens ? (…) N’est-ce pas contrarier trop ouvertement la méthode de délibérer et de juger que la nature impose à l’esprit humain154 ? Pour Tronchet, cette distinction entre le fait et le droit est un «un rêve impraticable dans la pratique155 ». Pour le député Garat, M. Duport va instituer un magistrat professionnel pire que les précédents car ce sera « en aveugle qu’il aura à frapper du glaive de la loi, les victimes infortunées que lui désignera le jugement des jurés156 ».

Malgré ces critiques l’Assemblée Constituante entérine la proposition de M. Duport consistant à confier la fonction d’examiner les faits aux jurés et la fonction de dire le droit aux magistrats.

74. Les magistrats professionnels devront également être élus par le peuple afin de

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