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Une théorie critiquée

Conclusion du Titre I

Section 1 : Science et preuve de dangerosité

B. Une théorie critiquée

174. Les résultats des études anthropologiques concernant le crâne ainsi que la stature et le poids des criminels de Lombroso ne font pas l’unanimité chez les anthropologues. Alors que Lombroso conclut à une infériorité de la capacité crânienne du criminel, Ranke conclut à une égalité des capacités crâniennes entre les criminels et les gens honnêtes tandis qu’Heger et Dallemagne concluent à une supériorité des capacités crâniennes des criminels sur les gens honnêtes391. Lombroso trouve les délinquants plus grand et plus lourd en moyenne que les gens honnêtes alors que Thompson, Virglio et Lacassagne constatent le contraire392. Selon Ferri les désaccords des anthropologues relatifs à la capacité crânienne peuvent s’expliquer par le fait que la capacité crânienne est en liaison avec l’âge et la taille393

175. Dans son ouvrage le Docteur Francotte reproche au type criminel décrit par Lombroso de ne pas être suffisamment lisible, celui-ci comportant des caractères extrêmement nombreux et divers394. Lombroso se voit également reproché d’avoir établi le type criminel à partir de l’examen de seulement quelques milliers de criminels395. Ce type criminel pour être fiable aurait dû être établi sur l’examen d’un grand nombre de cadavre. Lombroso et Ferri répondent à cette critique que la nécessité des relevés nombreux est en proportion de la variabilité des éléments observés. L’étude anthropologique du crâne ne nécessiterait pas l’examen d’un grand nombre de crânes, la conformation du crâne ne pouvant varier que de quelques millimètres396.

 

      

391

Xavier FRANCOTTE, L'anthropologie criminelle, J.-B. Baillière et fils, 1891, p. 19.

392

G.TARDE, La philosophie pénale, A. Storck (Lyon), 1900, p. 228.

393

E. FERRI, La sociologie criminelle, A. Rousseau (Paris), 1893, p. 48.

394

Xavier FRANCOTTE, L'anthropologie criminelle, J.-B. Baillière et fils, 1891, p. 17.

395

C. LOMBROSO, Le crininel né, fou moral, épileptique: étude anthropologique et médico-légale , 4 éd., Félix Alcan, 1887, p. XIV.

396

E. FERRI, La sociologie criminelle, A. Rousseau (Paris), 1893, p. 35-36. ; C. LOMBROSO, Le crininel né,

176. Il est également fait remarquer à Lombroso que les anomalies atavistiques rencontrées chez les criminels peuvent s’observer également chez les honnêtes hommes.

Selon Lombroso c’est la pluralité de ces anomalies qui forment l’indice de criminalité397. Ferri, soutenant Lombroso face à ces critiques, souligne qu’il existe une criminalité latente chez les honnêtes gens qui n’est pas prise en compte398. Par ailleurs, Ferri estime que des anomalies caractéristiques d’une infériorité et donc de la criminalité peuvent être compensées par des supériorités organiques. « Chez les honnêtes gens aussi les quelques anomalies isolées, le plus souvent, sont contrebalancées par l’expression de la physionomie ou par d’autres caractères de supériorité anthropologique399 »

177. Dubuisson constatant que la plupart des assassins ont commis des vols avant de commettre l’assassinat interpelle les défenseurs de la théorie Lombrosienne. « Faut-il admettre que le voleur change de masque en se faisant assassin ?400 » Selon Ferri l’affirmation selon laquelle les assassins commettent des vols avant l’assassinat n’est exact que pour une minorité de criminels. Cette minorité d’assassins possède le type assassin ; « ils peuvent commencer par le vol seulement mais ils sont en réalité des assassins401 »

178. Par ailleurs, des auteurs expriment leur scepticisme face à l’origine atavique du crime. Dans la philosophie pénale ainsi que dans la criminalité comparée Tarde remet en cause la thèse de la criminalité atavique de Lombroso. Selon Tarde, la criminalité des sauvages est un préjugé. Dans notre société, les individus ne naissent pas avec des vertus morales supérieures à celles de nos ancêtres. L’amélioration morale ne serait pas le fruit de l’hérédité mais de l’éducation. « La thèse du crime considéré comme un phénomène de retour est une simple hypothèse dépourvue de justification402 ». Tarde fait remarquer à Lombroso que le physique des sauvages ne correspond pas toujours à la description du criminel-né.

Lombroso explique que les anomalies atavistiques ne se rencontrent pas toutes avec la même fréquence et abondance dans les différentes races sauvages ; en conséquence les traits de l’atavisme sont parfois difficile à saisir. « Quand on veut retrouver les lois de l’atavisme dans les phénomènes humains, même là où elles sont le mieux établies, dans l’embryologie,

      

397

C. LOMBROSO, Le crininel né, fou moral, épileptique: étude anthropologique et médico-légale , 4 éd., Félix Alcan, 1887, p. XXIII.

398

E. FERRI, La sociologie criminelle, A. Rousseau (Paris), 1893, p. 45.

399

Ibid. p. 54.

400

P. DUBUISSON, Responsabilité pénale et folie : étude médico-légale, F. Alcan, 1911, p. 46.

401

E. FERRI, La sociologie criminelle, A. Rousseau (Paris), 1893, p. 60.

402

par exemple, on risque souvent de s’égarer. Il en est comme de certains contours figurés des nuages qui disparaissent quand on les regarde de trop près ; ou comme de ces tableaux modernes, que j’appellerai Hollandais au rebours : vus de près ils vous ont l’air de croutes surchargées de couleurs : à distance, ils présentent d’admirables portraits ; Dans les deux cas, toutefois, la ligne existe ; seulement, pour la saisir, il faut reculer le point de vue403. »

179. Tarde dénonce, par ailleurs, le paradoxe existant dans la théorie de Lombroso entre les grandes similitudes physiques avec les criminels-nés qu’attribue Lombroso aux femmes dans son ouvrage la femme criminelle et la prostituée et la criminalité moindre de la femme. «C’est ainsi que les femmes présentent avec le criminel de naissance des similitudes frappantes, ce qui ne les empêche pas d’être quatre fois moins criminelles que les hommes, et je pourrais ajouter quatre fois plus portées au bien 404». Lombroso explique la contradiction apparente soulevée par Tarde par le fait que la prostitution ne soit pas criminalisée. La prostituée aurait l’identité psychologique et anatomique d’un criminel. « La prostitution n’est donc, en somme que le côté féminin de la criminalité 405».

Les critiques formulées à l’égard de la théorie Lombrosienne vont conduire les successeurs de Lombroso à proposer une conception du criminel qui ne se limite pas à l’aspect anthropologique (II).

II. Une conception multifactorielle de la criminalité

180. Ferri et Garofalo présentent tous deux une conception multifactorielle de la criminalité, dont le premier facteur reste l’anomalie organique telle que définie par Lombroso. Néanmoins Ferri et Garofalo sont divisés sur les causes secondaires de la criminalité : Pour Ferri les causes de la criminalité sont psychologiques et sociales (B) tandis que pour Garofalo la cause essentielle de toutes les formes de criminalité réside dans l’anomalie morale du criminel(B)

      

403

C. LOMBROSO, Le crininel né, fou moral, épileptique: étude anthropologique et médico-légale , 4 éd., Félix Alcan, 1887, p. XVI.

404

G. TARDE, La criminalité comparée, 2 éd., F.Alcan, 1890, p. 48.

405

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