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Une liberté d’appréciation de la valeur probante des éléments à charge

Cette liberté d’appréciation de la force probante des éléments à charge dont le sens doit être précisé (I) trouve sa limite dans l’exigence de preuve au fondement de l’intime conviction (II).

I. Signification de la liberté d’appréciation de la valeur probante des éléments à charge

L’absence de hiérarchie entre les différents modes de preuves (A) et d’éléments de preuve déterminé pour condamner l’accusé (B) conditionne la liberté d’appréciation de la valeur probante des éléments à charge.

A. Absence de hiérarchie entre les modes de preuves

126. Selon le professeur Carnot l’article 342 du Code d’instruction criminelle signifie que « le jury ne doit consulter que le cri de sa conscience, que sa conviction doit se former de l’ensemble des débats, qu’il n’est point tenu de s’en rapporter à un genre de preuve plutôt qu’à tout autre276 »

Le système de l’intime conviction confère aux jurés la liberté d’évaluer librement la valeur probante des éléments de preuve qui leur sont soumis. Les jurés ne sont contraints par aucune règle légale s’agissant de la valeur probante des preuves. L’article 342 du Code d’instruction criminelle exhorte les jurés à mettre en œuvre cette liberté en leur rappelant ce qu’ils ne doivent pas faire.

« La loi ne leur dit point : vous tiendrez pour vrai tout fait attesté par tel ou tel nombre de témoins, elle ne leur dit pas non plus : vous ne regarderez pas comme suffisamment établie toute preuve qui ne sera pas formée de tel procès-verbal, de telles

      

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CARNOT, De l'instruction criminelle considérée dans ses rapports généraux et particulier avec les lois

pièces, de tant de témoins et de tant d'indices ; elle ne leur fait que cette seule question, qui renferme toute la mesure de leurs devoirs : avez-vous une intime conviction ! »

Tenir pour vrai tout fait attesté par tel nombre de témoins, ou considérer comme établie toute preuve formée d'un écrit, de « tant de témoins et de tant d'indices » fait référence au système banni de la preuve légale. L’ancien adage « testis unus, testis nullus » ne trouve plus application. « Les juges ne comptent plus mais pèsent les témoignages277 ». L’appréciation des jurés sur la valeur des témoignages échappe à la censure de la Cour de cassation.

127. Afin de protéger leur liberté de conviction, le législateur souhaite désormais que les jurés puisent leur conviction dans les débats oraux. « Les jurés doivent examiner l’acte d’accusation, et toutes les autres pièces du dossier, à l’exception des déclarations écrites des témoins, des notes écrites des interrogatoires subis par l’accusé devant l’officier de police, le directeur du jury, et le président du tribunal criminel. C’est sur ces bases, et particulièrement sur les dépositions et les débats qui ont lieu en leur présence qu’ils doivent asseoir leur conviction personnelle : car c’est de leur conviction personnelle qu’il s’agit ici, c’est cette conviction que la loi leur charge d’énoncer, c’est à cette conviction que l’accusé, que la société s’en rapportent278 ».

128. Cependant, cette méthode édictée à l’attention des jurés n’a rien d’obligatoire. La jurisprudence considère que l’audition des témoins n’est pas exigée pour déterminer l’opinion du jury. Ainsi, « la conviction du jury peut s’opérer sans audition de témoins, l’on ne peut scruter les motifs qui ont déterminé cette conviction279 ».

      

277

R. GARRAUD, Traité théorique et pratique d'instruction criminelle et de procédure pénale, Paris, Librairie de la Société du Recueil J.-B. Sirey & du Journal du Palais, 1907-1929, Tome 2, p. 137.

278

Idem.

279

Crim. rej. 3 pluv. An 5, A. DALLOZ et D DALLOZ, Répertoire méthodique et alphabétique de législation,

de doctrine et de jurisprudence en matière de droit civil, commercial, criminel, administratif, de droit des gens et de droit public : jurisprudence générale., bureau de la jurisprudence générale, 1845-1870, Tome 28, p. 597.

B. Absence d’éléments de preuve déterminés pour condamner  

129. Contrairement à l’ancienne doctrine de droit savant en vigueur sous le système des preuves légales certaines preuves matérielles, telles que le cadavre de la victime ne font plus obstacle à toute condamnation.

Les docteurs de droit savant préconisaient en premier lieu d’établir la matérialité du crime et en second lieu d’établir son imputabilité. Le cadavre de la victime était donc indispensable pour établir la matérialité du crime. Cette thèse est toujours soutenue par certains auteurs, tel que Carnot malgré l’avènement du système de la preuve morale. Selon Carnot la conviction des jurés doit être faites sur deux points : la réalité du crime et la culpabilité de l’accusé. Avant d’apprécier la culpabilité de l’accusé il faut démontrer l’existence du crime. Pour constater la réalité du crime, il faut retrouver le corps de la victime. « Il ne peut y avoir une entière conviction de la culpabilité de l’accusé, malgré tous les indices, toutes les preuves qui peuvent résulter à sa charge, de l’information et des débats, tant que le corps du délit n’est pas constaté de manière à ne laisser aucune incertitude dans l’esprit sur son existence280 »

130. Cependant, sous le code de brumaire ainsi que sous le code de 1808, la Cour de cassation estime que la liberté d’appréciation des éléments de preuve permet aux jurés d’établir leur conviction « sans voir le corps du délit ou un procès-verbal qui le constate281 ». La Cour de cassation réaffirme la liberté d’évaluation des éléments de preuve de façon plus générale dans un arrêt de rejet du 10 juillet 1818 « la loi ne soumet à aucune règle la décision du jury ; que l’article 342 du Code d’instruction criminelle ne leur prescrit d’autre devoir que de se décider, d’après la sincérité de leur conscience, et l’impression qu’on faite sur leur raison les charges rapportées contre l’accusé et les moyens de la défense, qu’il y ait ou non un procès-verbal du délit et quelle que soit la nature des témoins 282»

131. La liberté d’appréciation de la force probante des éléments à charge que confère le système de l’intime conviction au juge trouve sa limite dans l’exigence de preuve au fondement de l’intime conviction. (II)

      

280

CARNOT, De l'instruction criminelle considérée dans ses rapports généraux et particulier avec les lois

nouvelles et la jurisprudence de la Cour de cassation, Nève, 1829-35, Tome 2, p. 631.

281

Crim. 28 prair. An6 (16 juin 1798) et Crim., 14 juillet 1814, Répertoire Dalloz, V° Instruction criminelle, p. 597, n°2413.

282

II. L’exigence de preuve au fondement de l’intime conviction

L’exigence de preuve affirmée par les textes du code des délits et des peines (A) conduit le juge à exclure le doute sur la culpabilité de l’accusé avant de la prononcer (B)

A. Une exigence de preuve affirmée par les textes  

132. Le terme d’intime conviction traduit l’exigence de preuve au fondement de l’intime conviction. Le vocabulaire technique et critique de la philosophie d’André Lalande définit la conviction comme « la nécessité où l’on met quelqu’un par des preuves de reconnaître quelque chose pour vrai »283. C’est selon Mittermaier284 « un état de l’esprit qui tient les faits pour vrais en s’appuyant sur des motifs pleinement solides ».

L’article 372 du code des délits et des peines prescrit aux jurés « de chercher, dans la sincérité de leur conscience, quelle impression ont faite sur leur raison les preuves rapportées contre l’accusé, et les moyens de sa défense ». L’instruction aux jurés demande donc aux jurés de fonder leur intime conviction sur des preuves.

133. Le sens du terme « impression » au singulier ne doit pas être confondu avec le sens du terme « impressions » au pluriel. Le terme impression renvoie à l’empreinte, à la marque tandis que les impressions sont synonymes de sentiments, sensations. Le terme impression est dénué de subjectivité et signifie simplement que l’intime conviction est le résultat d’un cheminement qui s’impose de « l’impression » que les éléments de preuve ont fait sur la raison. Le terme impression ne s’oppose pas, ne se substitue pas aux preuves exigées par cet article.

Par ailleurs, si l’article 372 du code des délits et des peines énonce « la loi ne demande pas compte à chacun des juges et jurés composant la cour d'assises des moyens par lesquels ils se sont convaincus, elle ne leur prescrit pas de règles desquelles ils doivent faire particulièrement dépendre la plénitude et la suffisance d'une preuve » cela signifie simplement qu’on ne demande pas au juge et aux jurés comment, à partir des preuves débattues, ils sont parvenus à un degré de certitude suffisant pour condamner.

      

283

A. LALANDE, Vocabulaire technique et critique de la philosophie, P.U.F, 2010, p. 190.

284

134. Cette exigence de preuve au fondement de l’intime conviction résulte de la présomption d’innocence réaffirmée par le législateur révolutionnaire à l’article 9 de la DDHC « Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne, doit être sévèrement réprimée par la Loi. »

La présomption d’innocence signifie qu’il incombe au ministère public de prouver l’infraction. Si les éléments à charge rapportés ne sont pas suffisants pour exclure le doute, l’accusé devra être acquitté.

On aurait pu redouter que ce principe soit écarté, dès lors que la liberté du juge dans l’appréciation des éléments lui permette d’en tirer des conclusions contraires. Néanmoins la conviction de la culpabilité n’exclut pas la présomption d’innocence. En effet, même au regard de la certitude morale l’infraction ne peut être présumée. Elle doit être prouvée. Dans le système de l’intime conviction le juge a simplement plus de latitude pour pouvoir l’écarter en estimant que tel élément est une preuve suffisante. La présomption d’innocence ne sera donc plus l’obstacle absolu, empêchant toute condamnation et conduisant à recourir à la torture mais s’impose en tant que véritable garantie des droits de l’accusé et notamment celui de n’être condamné que sur le fondement de preuves.

135. Les débats de l’assemblée constituante attestent également de la volonté des parlementaires de faire des preuves l’objet de l’appréciation des jurés selon leur l’intime conviction. Selon Duport « les jurés concluent qu’un homme est innocent tant qu’on ne leur a pas prouvé qu’il était coupable285 ».

L’exigence de preuve au fondement de l’intime conviction impose aux jurés d’exclure tout doute sur la culpabilité de l’accusé avant de prononcer un verdict de culpabilité (B)

B. L’exclusion du doute sur la culpabilité de l’accusé  

136. Selon Carnot le fait doit être démontré de la même façon qu’une proposition de géométrie, il ne faut qu’il ne reste « aucune incertitude dans l’esprit », à défaut il n’y a pas de « preuve suffisante » établissant la culpabilité. Carnot ajoute encore qu’il faut des preuves

      

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« irrécusables », « parfaite », « luce clariores » pour reprendre le terme des docteurs de droit savant.

Carnot critique la proposition de Voltaire selon laquelle si contre mille probabilités que l’accusé est coupable, il y en une seule qu’il est innocent, cette seule doit balancer toutes les autres, en ce que la culpabilité ne peut résulter de probabilités. Selon Carnot une probabilité est un indice. Or les indices, même nombreux, ne peuvent avoir la force de conviction d’une preuve et détruisent en conséquence toute idée de culpabilité286.

Carnot distingue les preuves positives des indices. Les preuves positives sont les preuves directes d’un fait et les indices des éléments permettant d’établir indirectement la probabilité d’un fait. Si les preuves positives doivent avoir une grande influence sur l’esprit du jury, les indices pour fonder une condamnation doivent exclure la possibilité de l’innocence de l’accusé.

137. Le système de preuve de l’intime conviction fait des éléments à charge, l’objet de l’appréciation du juge. C’est l’appréciation de la valeur probante de l’élément à charge par le juge qui conduit le juge à considérer cet élément à charge comme une preuve ou non. L’élément à charge est qualifié par le juge de preuve lorsqu’celui-ci, seul ou en lien avec d’autres éléments à charge, exclue le doute sur la culpabilité de l’accusé.

Selon l’article 372 du code des délits et des peines, la liberté d’appréciation de la valeur probante des éléments à charge impose aux jurés des devoirs dont leur conscience est la mesure. A travers la conscience des jurés, la loi fait appelle à la responsabilité de l’acte de juger. (Section 2)

      

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CARNOT, De l'instruction criminelle considérée dans ses rapports généraux et particulier avec les lois

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