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L’immixtion du président de la cour d’assises dans le délibéré

Conclusion de la Partie I

Section 1 : Vers une collaboration avec les magistrats professionnels

B. L’immixtion du président de la cour d’assises dans le délibéré

312. L’entrée d’un tiers dans la chambre des délibérations est défendue en ces termes par l’article 343 du Code d’instruction criminelle « Les jurés ne pourront sortir de leur chambre qu'après avoir formé leur déclaration. L'entrée n'en pourra être permise pendant leur délibération, pour quelque cause que ce soit, que par le président et par écrit. Le président est tenu de donner, au chef de la gendarmerie de service l'ordre spécial et par écrit de faire garder les issues de leur chambre. Ce chef sera dénommé et qualifié dans l'ordre. La cour pourra punir le juré contrevenant, d'une amende de cinq cents francs au plus. Tout autre qui aura enfreint l'ordre, ou celui qui ne l'aura pas fait exécuter, pourra être puni d'un emprisonnement de vingt-quatre heures.856». Cependant, certains auteurs estiment que l’interdiction de pénétrer dans la salle des jurés sans autorisation du président de la cour d’assises ne s’étend pas au président de la cour d’assises lui-même857. Le président de la cour d’assises chargé de donner l’autorisation d’entrer dans la chambre des délibérations pourrait a fortiori y entrer lui-même858. Au sein de cette opinion, il faut distinguer ceux qui n’accordent le droit au président de la cour d’assises de se rendre auprès du jury qu’en cas d’absolue nécessité tel que la maladie d’un juré et ceux qui admettent que le président puisse entrer pour donner des éclaircissements aux jurés sur l’affaire859.

      

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CARNOT, De l'instruction criminelle considérée dans ses rapports généraux et particulier avec les lois

nouvelles et la jurisprudence de la Cour de cassation, Nève, 1829-35, Tome 2, p. 659. ; F. HELIE, Traité de l'instruction criminelle, Charles Hingray Librairie-Editeur, 1858, vol 8, p. 177.

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Code d'instruction criminelle, édition conforme à l'édition originale du Bulletin des lois., Le Prieur (Paris), 1811.

857

Loi du 10 décembre 1908 modifiant l’article 343 du code d’instruction criminelle, Bull. off. p. 665.

858

Idem.

859

313. La doctrine majoritaire considère néanmoins que l’interdiction formulée par l’article 343 du Code d’instruction criminelle est générale et n’autorise aucune exception860. L’article 343 du Code d’instruction criminelle défend l’entrée dans la chambre des délibérations à qui que ce soit, et quel que soit le motif, excepté en cas de nécessité, sur ordre écrit et formel du président de la cour d’assises861. Selon Carnot, la communication des jurés avec le président de la cour d’assises au cours du délibéré serait susceptible d’entrainer la cassation de l’arrêt sur le fondement de l’article 408 du Code d’instruction criminelle,862 en raison de l’influence qu’aurait pu avoir cette communication sur l’opinion des jurés863. « Celui qui tient dans ses mains l’honneur, la vie et la fortune des citoyens doit être exempt de suspicion ; et dans l’espèce il y aurait présomption légale que le juré aurait été influencé dans son opinion 864».

314. La Cour de cassation amenée à se prononcer sur la question de l’entrée du président de la cour d’assises dans la chambre des délibérations, distingue entre le cas dans lequel le président entre spontanément dans la chambre des délibérations et le cas où il est invité par les jurés à y entrer. Dans le premier cas, la Cour de cassation estime que les prescriptions de l’article 343 du Code d’instruction criminelle ont été violées.865 En revanche la Cour de cassation admet que le président de la cour d’assises se rende auprès des jurés sur leur demande afin de leur fournir les renseignements dont ils auraient besoin866. La Cour de cassation considère d’ailleurs, qu’il existe « une présomption légale que le président, pénétrant dans la salle des délibérations des jurés, s’y est rendu à leur prière et pour leur donner des éclaircissements qu’ils ont demandés 867». De plus, la Cour suprême décide qu’il

      

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CARNOT, De l'instruction criminelle considérée dans ses rapports généraux et particulier avec les lois

nouvelles et la jurisprudence de la Cour de cassation, Nève, 1829-35, Tome 2, p. 635. F. HELIE, Traité de l'instruction criminelle, Charles Hingray Librairie-Editeur, 1858, vol 8, p. 177.

861

Loi du 10 décembre 1908 modifiant l’article 343 du code d’instruction criminelle, Bull. off. p. 665.

862

Article 408 du code d’instruction criminelle « Lorsque l'accusé aura subi une condamnation, et que, soit dans

l'arrêt de la cour impériale qui aura ordonné son renvoi devant une cour d'assises, soit dans l'instruction et la procédure qui auront été faites devant cette dernière cour, soit dans l’arrêt même de condamnation, il y aura eu violation ou omission de quelques-unes des formalités que le présent code prescrit sous peine de nullité, cette omission ou violation donnera lieu, sur la poursuite de la partie condamnée ou du ministère public, à l'annulation de l'arrêt de condamnation et de ce qui l'a précédé, à partir du plus ancien acte nul. Il en sera de même, tant dans les cas d'incompétence que lorsqu'il aura été omis ou refusé de prononcer, soit sur une ou plusieurs demandes de l'accusé, soit sur une ou plusieurs réquisitions du ministère public, tendant à user d'une faculté ou d'un droit accordé par la loi, bien que la peine de nullité ne fût pas textuellement attachée à l'absence de la formalité dont l'exécution aura été demandée ou requise. »

863

CARNOT, De l'instruction criminelle considérée dans ses rapports généraux et particulier avec les lois

nouvelles et la jurisprudence de la Cour de cassation, Nève, 1829-35, Tome 2, p. 635.

864 Idem. 865 Crim., 1er oct. 1846, S.1909, 4, p. 101 866 Crim., 13 oct. 1826, S.1909, 4, p. 101 867 Crim., 14 sept. 1827, S.1909, 4, p. 101

n’est pas nécessaire que l’accusé ou son conseil soit convié lors de l’entrevue entre le président de la cour d’assises et les jurés dans la chambre des délibérations.868

315. Selon la jurisprudence, le président de la cour d’assises a donc le droit d’entrer dans la salle des délibérations sur demande des jurés afin de leur donner les éclaircissements dont ils ont besoin sans qu’il soit nécessaire que la demande soit formulée par écrit et que l’avocat de l’accusé y soit convié.

316. Cette jurisprudence est vivement critiquée par Carnot et Hélie qui y voient un danger pour l’indépendance du jury869. « Une communication particulière et secrète du président avec les jurés ne semble-t-elle pas menacer l'indépendance de ceux-ci ? 870». Pour Faustin Hélie, cette communication secrète du président avec les jurés aboutit à la création d’un débat à huit clos au cours duquel le président a tout le loisir d’influencer l’opinion des jurés871. « N'est-il pas difficile d'admettre que ce magistrat puisse leur donner des renseignements qui ne soient pas contredits, leur affirmer des faits qui ne soient pas discutés? Ne pourrait-il pas émettre ainsi une opinion qui influencerait l'opinion du jury? Et quand il maintiendrait ses explications dans les termes d'une stricte impartialité, ne suffit-il pas que l'accusé puisse suspecter une telle communication et s'inquiéter de l'indépendance de ses juges pour qu'elle doive être interdite? 872». La décision des jurés n’aurait plus pour fondement la discussion publique et contradictoire ayant eu lieu au cours du procès mais la communication à huis clos avec le président de la cour d’assises873.

317. En conséquence, selon Carnot, toute communication du président avec les jurés pendant les délibérations devrait être interdite874. En cas de difficulté rencontrée par les jurés au cours de leur délibération, le président de la cour d’assises pourrait déléguer auprès d’eux un des juges et le Procureur général afin de les renseigner875. Hélie admet que le président puisse être consulté lorsque les jurés ont besoin d’éclaircissement sur les formes qu’ils

      

868

Crim., 14 déc. 1895 ; Crim., 14 déc. 1896, S.1909, 4, p. 101

869

CARNOT, De l'instruction criminelle considérée dans ses rapports généraux et particulier avec les lois

nouvelles et la jurisprudence de la Cour de cassation, Nève, 1829-35, Tome 2, p. 659. ; F. HELIE, Traité de l'instruction criminelle, Charles Hingray Librairie-Editeur, 1858, vol 8, p. 177.

870

F. HELIE, Traité de l'instruction criminelle, Charles Hingray Librairie-Editeur, 1858, vol 8, p. 177.

871

Idem.

872

Idem.

873

CARNOT, De l'instruction criminelle considérée dans ses rapports généraux et particulier avec les lois

nouvelles et la jurisprudence de la Cour de cassation, Nève, 1829-35, Tome 2, p. 659.

874

Idem.

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doivent suivre pour délibérer mais non « quand leur embarras provient du sujet même de leur délibération. 876» Lorsque les jurés ont besoin d’informations de forme, il appartient au président de faire entrer les jurés en salle d’audience en présence des parties afin de leur donner les renseignements nécessaires877. Ainsi les informations, données sous le contrôle de l’accusation et de la défense, ne seront pas susceptibles d’influencer « de manière détournée 878» les jurés.

318. Par une loi du 10 décembre 1908879, le législateur entérine la jurisprudence de la Cour de cassation tout en l’encadrant. L’article 343 du Code d’instruction criminelle est ainsi modifié « Les jurés ne pourront sortir de leur chambre qu'après avoir formé leur déclaration. Nul n’y pourra entrer pendant la délibération, pour quelque cause que ce soit, sans une autorisation écrite du président. Celui-ci ne devra y pénétrer que s’il est appelé par le chef du jury et accompagné par le défenseur de l’accusé, du ministère public et du greffier. Mention de l’incident sera faite au procès-verbal 880»

Le législateur a considéré opportun de reconnaitre le droit au jury de demander l’intervention du président de la cour d’assises et le droit pour ce dernier de répondre favorablement à cette demande881. En effet, la connaissance des règles juridiques que détient le président de la cour d’assises peut s’avérer indispensable aux jurés. D’une part, les règles de la procédure criminelle sont particulièrement complexes, d’autre part les jurés souhaitent souvent connaitre les conséquences de leur verdict du point de vue de la peine.

Néanmoins, le législateur souhaite que le recours au président de la cour d’assises pendant le délibéré soit strictement encadré en raison de la menace qu’il représente pour l’indépendance des jurés. La faculté du président d’entrer dans la chambre des délibérations « se concilie mal avec la volonté bien nette du code de sauvegarder l’indépendance du jury 882». Le rapporteur de loi rappelle que la règle demeure l’interdiction pour le président de la cour d’assises d’entrer dans la chambre des délibérations883. Ce n’est que sur la sollicitation du jury que celui-ci sera amené à y entrer. Par ailleurs, ce droit ne doit pas s’exercer en

      

876

F. HELIE, Traité de l'instruction criminelle, Charles Hingray Librairie-Editeur, 1858, vol 8, p. 176.

877

Idem.

878

Idem.

879

Loi du 10 décembre 1908 modifiant l’article 343 du code d’instruction criminelle. S.1909, 4, p. 101

880

Article 343 du code d’instruction criminelle tel que modifié par la loi du 10 décembre 1908 modifiant l’article 343 du code d’instruction criminelle. S.1909, 4, p. 101

881 Idem. 882 S.1909, 4, p. 101 883 Idem.

l’absence des deux parties au procès pénal : le défenseur de l’accusé et le ministère public884. Le président devra être obligatoirement accompagné du défenseur de l’accusé, du ministère public ainsi que du greffier qui devra mentionner l’incident au procès-verbal. Enfin, le président se contentera de renseigner les jurés sur des questions de droit et de forme885. Il ne saurait être question d’aborder le fond de l’affaire et de rouvrir le débat. Par ailleurs, le président doit veiller à ne pas « donner directement ou indirectement son sentiment sur le fond du procès ou porter sur les faits ou sur l’accusé une appréciation quelconque 886». Le président doit donc faire preuve dans ses explications d’ « une réserve extrême 887» et « ne devra rien dire qui soit de nature à influencer le verdict 888».

319. Avec la loi du 10 décembre 1908889 le législateur entend donc lutter contre l’influence que cherche à exercer le magistrat professionnel sur la décision du jury. Cependant, le législateur va progressivement remettre en cause la séparation du fait et du droit permettant de réserver la décision de culpabilité de l’accusé au jury (II).

II. La remise en cause de la séparation des fonctions par le législateur

320. Dans un premier temps, le législateur élargit progressivement les attributions du jury à la détermination de la sanction pénale (A) avant d’associer magistrats et jurés dans la détermination de la culpabilité et de la peine (B).

       884 Idem. 885 Idem. 886 Idem. 887 Idem. 888 Idem. 889

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