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Le rôle de la police technique et scientifique dans le procès pénal

Conclusion du Titre I

Section 2 : Science et preuve de culpabilité

B. Le rôle de la police technique et scientifique dans le procès pénal

192. Le rôle de la police technique et scientifique consiste à apporter des indices sur l’identité du coupable. L’identité, élément clef de la preuve de la culpabilité de l’auteur du crime (1) permet également de constater la récidive (2).

1. La preuve de l’identité du coupable

193. Dès le milieu du XIXème siècle les traces de pas sont solidifiées au moyen de plâtre. Elles donnent des indications sur la conformation de la surface plantaire, sur la disposition des orteils ou sur la chaussure portée par le criminel. Lacassagne relate l’affaire d’un incendiaire dénommé Petit confondu grâce à ses traces de pas. Les traces de pas moulées dans le plâtre relevées sur le lieu du crime présentaient un petit vide sous la plante du pied. L’accusé à qui on demanda d’appliquer son pied sur la moulure avait sous le pied une verrue à l’endroit précis où se trouvait le vide468

194. L’emploi des empreintes digitales pour identifier un criminel est généralisé au début du XXème siècle. Les travaux de Galton ont démontré que les empreintes digitales sont immuables pendant toute la vie chez un sujet donné469 . L’empreinte digitale relevée sur la scène de crime est comparée aux empreintes digitales du suspect par la police technique et scientifique aux fins d’identifier le criminel. La valeur de la preuve dactyloscopique diffère en fonction du nombre de points communs relevé entre les deux empreintes digitales. Le relevé de douze points caractéristiques communs entre les deux empreintes permet d’affirmer de façon certaine l’identité des deux empreintes et donc la présence de l’individu identifié sur le lieu de l’infraction. Le relevé de 8 à 12 points communs entre les deux empreintes permet d’établir une présomption grande d’identité des deux empreintes tandis que le relevé de moins

      

468

Ibid. p. 209.

469

de 8 points communs ne permet d’établir qu’une simple présomption d’identité des deux empreintes470.

 

195. La cour d’assises s’est montrée réservée avant de reconnaitre que la dactyloscopie puisse constituer à elle seule la preuve de l’infraction. La première affaire dans laquelle la condamnation ne repose que sur la preuve dactyloscopique est l’affaire de la rue de Ravat jugée par les assises du Rhône le 10 novembre 1910471. Dans cette affaire deux individus auteurs d’un cambriolage chez une veuve rue Ravat vont être identifiés grâce à leurs empreintes laissés sur plusieurs objets, tels qu’un vase à fleurs, des bouteilles de vin et deux pots de grès472. En 1911 une autre affaire de vol est présentée aux assises. Les empreintes du voisin de la personne cambriolée présentent respectivement 18, 26, et 37 points communs avec les empreintes retrouvées sur le lieu du vol. Pourtant le voisin qui nie est acquitté par la cour d’assises le 13 janvier 1911473. Le 25 octobre 1911 un autre accusé pour vol est acquitté par la cour d’assises alors qu’une empreinte présentant 51 points communs avec son empreinte est retrouvée sur le lieu du vol474. Le 9 mai 1912 deux décisions concernant des vols sont rendues par la cour d’assises. Dans les deux affaires une preuve dactyloscopique certaine implique les accusés. La cour d’assises rend pourtant dans un cas une décision d’acquittement et dans l’autre une décision de condamnation475. Les décisions des cours d’assises ultérieures n’hésitent plus à prononcer la condamnation des accusés sur le seul fondement de la preuve dactyloscopique476.

2. La preuve de la qualité de récidiviste du coupable

196. Face au phénomène de la récidive la conservation de l’identité de tout individu incarcéré apparait primordiale. Au cours du XIXème siècle divers procédés sont utilisés afin constater l’identité des récidivistes. Le moyen d’identification le plus usité au milieu du

      

470

E. LOCARD, L'enquête criminelle et les méthodes scientifiques, Paris, Ernest Flammarion, 1920, p. 129.

471 Ibid. p. 133. 472 Ibid. p. 119. 473 Ibid. p. 133. 474 Idem. 475 Ibid. p. 134. 476 Ibid. p. 137.

XIXème siècle est la photographie des détenus. La photographie se perfectionne par l’emploi de la photographie signalétique, permettant la prise d’un cliché de face et de profil477.

Néanmoins la collection de photographie devient rapidement si importante qu’il est difficile d’identifier un individu parmi des milliers de photographies. Des scientifiques proposent alors d’autres méthodes d’identification, telles que la réalisation d’un moulage de la mâchoire des criminels ou le « le dessin minutieux des auréoles et dentelures que présente l’iris humain observé de près478 ». Galton et Vucetich proposent un système d’identification reposant sur la dactyloscopie479. Les méthodes d’identification dactyloscopiques ont l’avantage de pouvoir être appliquées aux jeunes, les empreintes digitales étant immuables dès le 6ème mois de la vie fœtale480. La systématisation des méthodes dactyloscopiques proposées s’avère néanmoins difficile481.

En 1893, Alphonse Bertillon met au point un système de signalements à destination de l’administration pénitentiaire qui devient l’instrument de constatation de la récidive en France482. Bertillon rejette l’idée d’un système d’identification fondée sur les empreintes digitales. « Il est indéniable que les dessins (des empreintes digitales) ne présentent pas par eux même des éléments de variabilité assez tranchés pour servir de base à un répertoire de plusieurs centaines de mille cas483 ».

197. Le système d’identification proposé par Bertillon repose sur le signalement humain. Le fonctionnement de ce système d’identification repose sur deux parties. La première partie concerne le relevé du signalement humain, c’est à dire la description des caractères physiques les plus à même de différencier un homme de ses semblables. La deuxième partie repose sur une classification sériée des signalements permettant d’isoler un signalement parmi des milliers d’autres et « de conclure rigoureusement et scientifiquement de l’identité du signalement à l’identité de l’individu 484». Les signalements font l’objet d’une classification

      

477

P. GARRAUD, La Preuve par indices dans le procès pénal, L. Larose & L. Ténin, 1913, [Droit privé : Université de Lyon], p. 219.

478

A. BERTILLON, Identification anthropométrique Instructions signalétiques, 2 éd., Melun, Imprimerie administrative, 1893, p. XV.

479

La dactyloscopie est l’examen des empreintes digitales E. LOCARD, L'enquête criminelle et les méthodes

scientifiques, Paris, Ernest Flammarion, 1920, p. 102.

480

A. LACASSAGNE, Précis de médecine légale, Paris, Masson & Cie Editeurs, 1906, p. 217.

481

P. GARRAUD, La Preuve par indices dans le procès pénal, L. Larose & L. Ténin, 1913, [Droit privé : Université de Lyon], p. 211.

482

A. BERTILLON, Identification anthropométrique Instructions signalétiques, 2 éd., Melun, Imprimerie administrative, 1893, p. XIII.

483

Ibid. p. XVI.

484

R. GARRAUD, Traité théorique et pratique d'instruction criminelle et de procedure pénale, Larose et Ténin, 1909, Tome 1, p. 555.

alphabétique d’après le nom patronymique mais également d’une classification anthropométrique. La classification alphabétique est utilisée lorsque le nom de l’individu est connu tandis que la classification anthropométrique permet de rechercher et de constater l’identité cachée d’un individu485.

198. Le système d’identification de Bertillon repose sur une série de trois signalements ; le signalement anthropométrique, le signalement descriptif et le signalement des marques particulières.

Le signalement anthropométrique repose sur les expériences d’Alphonse Bertillon démontrant la fixité de l’ossature humaine à partir de la vingtième année et la diversité de dimension que présente le squelette. Le signalement anthropométrique consiste à prendre de nombreuses mesures du corps du détenu. La taille, l’envergure des bras, la longueur et la largeur de la tête, la longueur de l’oreille droite et de l’oreille gauche, la longueur du pied gauche, du doigt médius gauche, de l’auriculaire gauche et de la coudée gauche sont mesurées. Le signalement descriptif contient la description de la morphologie de l’individu réalisée à l’aide de la seule observation. A cette fin Alphonse Bertillon définit un langage permettant de réaliser une description complète et précise d’un individu. Le front, le nez et l’oreille particulièrement importants pour identifier un individu font l’objet d’une rubrique spéciale sur la fiche signalétique486.

L’oreille par l’immuabilité de sa forme et la variété de configuration qu’elle présente permet d’identifier de façon formelle un individu. L’identité de l’oreille « est une condition nécessaire et suffisante pour confirmer l’identité individuelle »487. L’oreille est ainsi présentée par d’autres auteurs comme « la partie capitale à décrire488 ». « La particularité de l’oreille est d’autant plus utile que pour identifier un individu sur la voie publique, l’oreille peut être examinée à loisir, sans attirer l’attention du sujet489 ».

Enfin, le signalement des marques particulières mentionne les grains de beauté, les cicatrices et les tatouages du détenu490.

      

485

Ibid. p. 557

486

A. BERTILLON, Identification anthropométrique Instructions signalétiques, 2 éd., Melun, Imprimerie administrative, 1893, p. XLVII.

487

Idem.

488

P. GARRAUD, La Preuve par indices dans le procès pénal, L. Larose & L. Ténin, 1913, [Droit privé : Université de Lyon], p. 223.

489

Ibid. p. 559.

490

A. BERTILLON, Identification anthropométrique Instructions signalétiques, 2 éd., Melun, Imprimerie administrative, 1893, p. LVII.

199. La méthode d’identification des récidivistes proposée par Bertillon ne fait néanmoins pas l’unanimité. Pierre Garraud souligne l’insuffisance d’un procédé d’identification ne pouvant être appliqué aux mineurs491. Il est par ailleurs reproché à la méthode d’identification anthropométrique de Bertillon d’empêcher le progrès de la dactyloscopie. En effet, l’emploie de la dactyloscopie comme méthode d’identification permettrait de découvrir des coupables dans la collection de fiches grâce aux empreintes digitales recueillies sur la scène de crime492. La dactyloscopie ne tarde pas à devenir « le meilleur procédé pour la découverte et l’identification des criminels493 » et à se substituer à l’anthropométrie au début du XIXème siècle.

L’introduction des procédés scientifiques dans l’enquête criminelle ne se borne pas à l’étude des indices mais s’attache également à l’étude du témoignage à travers la psychologie expérimentale (C).

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