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L’essor de l’expertise

Conclusion du Titre I

Section 2 : Science et preuve de culpabilité

B. L’essor de l’expertise

224. L’inflation des normes, principalement d’origine doctrinale et jurisprudentielle autour de l’expertise reflète l’essor que connait l’expertise au XIXème et XXème siècle.

La loi du 29 septembre 1791, le code des délits et des peines ainsi que le Code d’instruction criminelle traitent l’expertise de façon indirecte, à l’occasion de la mort violente ou du flagrant délit. L’article 2 du titre III sur « les fonctions de l’officier de police » de la loi du 29 septembre 1791 dispose qu’en cas de meurtre ou de mort dont la cause est inconnue ou suspecte « l'inhumation ne pourra être faite qu'après que l'officier de police se sera rendu sur les lieux , accompagné d'un chirurgien ou homme de l’art, et aura dressé un procès-verbal détaillé du cadavre et de toutes les circonstances, en présence de deux citoyens actifs, lesquels, ainsi que le chirurgien ou homme de l'art, signeront l'acte avec lui 538».

Le code des délits et des peines du 3 brumaire an IV reprend ces dispositions aux articles 103 et 104 dans un titre « Du flagrant délit ». L’article 103 précise que le juge de paix a la faculté de se faire « accompagner d’une ou de deux personnes, présumées par leur art ou leur profession, capables d’apprécier la nature et les circonstances du délit 539». L’article 104

      

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Ch. LAGNEAU, De l'expertise à base scientifique comme moyen de preuve en matière criminelle, Domat-Montchrestien, 1934, [Droit privé : Université de Paris], p. 33.

537

F. CHAUVAUD, Experts et expertise judiciaire France, XIXe et XXe siècles, Presses Universitaires de Rennes, 2003, p. 227.

538

Loi du 29 septembre 1791 p. 1328

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Art. 103 « Il se fait, au besoin, accompagner d’une ou de deux personnes présumées, par leur art ou

profession, capables d’apprécier la nature et les circonstances du délit ». Code des délits et des peines du 3

lui en fait l’obligation lorsqu’il s’agit « d’un meurtre ou d’une mort dont la cause est inconnue ou suspecte540».

Les articles 43 et 44 du Code d’instruction criminelle de 1808 se contentent d’évoquer l’expertise à travers le cas particulier du flagrant délit et de la matière médico légale. Selon l’article 43 du Code d’instruction criminelle le procureur a la faculté de se faire « accompagner, d'une ou de deux personnes, présumées par leur art ou profession capables d'apprécier la nature et les circonstances du crime ou délit 541». Cette possibilité devient une obligation légale lorsqu’il s’agit « d'une mort violente, ou d'une mort dont la cause soit inconnue et suspecte542». Comme le souligne Garraud « ce n’est pas par excès de prévision que pêche la loi française. Le code n’y consacre que deux articles insuffisants543 ». Le terme d’expert ou d’expertise n’est pas même mentionné544. L’expertise ne semble guère susciter l’intérêt du législateur.

225. En principe, suivant le Code d’instruction criminelle, l’expertise ne devrait donc s’appliquer qu’à la phase policière du procès pénal et être limité à la matière médico légale545. Néanmoins le développement du recours à l’expertise dans le procès pénal lié aux progrès des sciences et à la diversification des branches du savoir va conduire la doctrine et la jurisprudence à faire de l’expertise une véritable mesure d’instruction pouvant être ordonnée dans toutes les phases du procès pénal. En dehors des prescriptions des articles 43 et 44 du Code d’instruction criminelle qui confèrent aux magistrats du parquet le droit d’ordonner une expertise, l’expertise pourra être ordonnée toutes les fois que les magistrats l’estimeront utile afin d’éclairer les faits soumis à leur jugement546. L’expertise peut être ordonnée par le juge

      

540

Art.104 « S'il s'agit d'un meurtre ou d'une mort dont la cause est inconnue ou suspecte, le juge de paix doit se

faire assister d'un ou de deux officiers de santé. » Idem.

541

L’article 43 dispose « Le procureur impérial se fera accompagner, au besoin, d'une ou de deux personnes,

présumées par leur art ou profession capables d'apprécier la nature et les circonstances du crime ou délit ».

Code d'instruction criminelle de 1808 , édition conforme à l'édition originale du Bulletin des lois ; suivi des motifs exposés par les conseillers d'Etat et des rapports faits par la commission de législation du Corps législatif sur chacune des lois qui composent le code , A. Belin (Paris), 1812. P.12

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L’article 44 poursuit ainsi « s'il s'agit d'une mort violente, ou d'une mort dont la cause soit inconnue et

suspecte, le procureur impérial se fera assister d'un ou de deux officiers de santé, qui feront leur rapport sur les causes de la mort et sur l'état du cadavre. Les personnes appelées, dans les cas du présent article et de l'article précédent, prêteront devant le procureur, impérial, le serment de faire leur rapport et de donner leur avis en leur honneur et conscience ». Idem

543

P. GARRAUD, Précis de droit criminel, Paris, Sirey, 1934, p. 815.

544

F. CHAUVAUD, Experts et expertise judiciaire France, XIXe et XXe siècles, Presses Universitaires de Rennes, 2003, p. 50.

545

Ch. LAGNEAU, De l'expertise à base scientifique comme moyen de preuve en matière criminelle, Domat-Montchrestien, 1934, [Droit privé : Université de Paris], p. 36.

546

L. MALLARD, Traité complet de l'expertise judiciaire : guide théorique et pratique à l'usage des experts,

arbitres-rapporteurs, magistrats, officiers ministériels et conseils en matière civile, commerciale, administrative et criminelle., 3 éd., Paris, Marchal et Godde, 1911, p. 267.

d’instruction qui « a nécessairement reçu de la loi tous les pouvoirs de découvrir la vérité(…) sans quoi l’instruction serait souvent une œuvre incomplète, car il arrive fréquemment que des crimes et des délits sont de telle nature que pour les vérifier, il faut indispensablement employer le ministère des gens de l’art 547».

226. Selon Mallard548 le droit du juge d’instruction d’ordonner une expertise trouverait sa source dans l’article 59 du Code d’instruction criminelle qui prévoit que « Le juge d'instruction, dans tous les cas réputés flagrant délit, peut faire directement, et par lui-même, tous les actes attribués au procureur impérial, en se conformant aux règles établies au chapitre des procureurs impériaux et de leurs substituts. Le juge d'instruction peut requérir la présence du procureur impérial, sans aucun retard néanmoins des opérations prescrites dans le dit chapitre 549» Pour Pierre Garraud ce droit serait conféré au juge d’instruction par l’article 61 du Code d’instruction criminelle550 qui lui reconnait un pouvoir général pour faire tous actes d’instruction qu’il jugerait utiles551.

Une expertise peut être ordonnée par tous les tribunaux répressifs de tous les degrés qui possèdent un pouvoir d’appréciation souverain pour apprécier si l’expertise demandée par le ministère public, la victime ou l’accusé constitue une mesure utile à la manifestation de la vérité552.

La jurisprudence décide également que le président de la cour d’assises a le droit de requérir une expertise en vertu de son pouvoir discrétionnaire553 conféré par l’article 268 du Code d’instruction criminelle « Le président est investi d'un pouvoir discrétionnaire, en vertu duquel il pourra prendre sur lui tout ce qu'il croira utile pour découvrir la vérité; et la loi

      

547

Répertoire Dalloz, V° Expert-Expertise, p. 282, n° 397.

548

L. MALLARD, Traité complet de l'expertise judiciaire : guide théorique et pratique à l'usage des experts,

arbitres-rapporteurs, magistrats, officiers ministériels et conseils en matière civile, commerciale, administrative et criminelle., 3 éd., Paris, Marchal et Godde, 1911, p. 267.

549

Code d'instruction criminelle de 1808 , édition conforme à l'édition originale du Bulletin des lois ; suivi des motifs exposés par les conseillers d'Etat et des rapports faits par la commission de législation du Corps législatif sur chacune des lois qui composent le code , A. Belin (Paris), 1812. p.15

550

« Hors les cas de flagrant délit, le juge d’instruction ne fera aucun acte d'instruction et de poursuite qu'il

n'ait donné communication de la procédure au procureur impérial. Il la lui communiquera pareillement lorsqu'elle sera terminée; et le procureur impérial fera les réquisitions qu'il jugera convenables, sans pouvoir retenir la procédure plus de trois jours. Néanmoins le juge d'instruction délivrera, s'il y a lieu, le mandat d'amener, et même le mandat de dépôt, sans que ces mandats doivent être précédés des conclusions du procureur impérial ». Ibid. p.16

551

R. GARRAUD, Traité théorique et pratique d'instruction criminelle et de procedure pénale, Larose et Ténin, 1909, Tome 1, p. 603.

552

Répertoire Dalloz, V° Expert-Expertise, p. 283, n° 400. ; L. MALLARD, Traité complet de l'expertise

judiciaire : guide théorique et pratique à l'usage des experts, arbitres-rapporteurs, magistrats, officiers ministériels et conseils en matière civile, commerciale, administrative et criminelle., 3 éd., Paris, Marchal et

Godde, 1911, p. 267.

553

charge son honneur et sa conscience d'employer tous ses efforts pour en favoriser la manifestation554 ».

227. En principe, les magistrats peuvent choisir toute personne pour réaliser une expertise555. La seule procédure exigée par la loi est celle du serment que doivent prêter les experts à peine de nullité de l’expertise. Les experts promettent « de faire leur rapport et de donner leur avis en leur honneur et conscience 556». Le serment est le seul signe de distinction de l’expert judiciaire557. Au début du XIXème siècle l’expert prend place dans le champ judiciaire par cette seule promesse de probité et d’impartialité.

228. Cependant, l’utilisation courante de l’expertise comme mesure d’instruction va progressivement conduire le législateur à poser des règles de recrutement des experts.

Dans un premier temps seuls les médecins-experts seront soumis à des règles particulières de sélection en vertu de la loi du 30 novembre 1892558. Les Cours d’appel sont chargées de désigner sur les listes de propositions des tribunaux de première instance du ressort, les docteurs en médecine à qui elles confèrent le titre d’expert devant les tribunaux559. La création de cette liste de médecins experts devant les tribunaux a donc pour conséquence de limiter le choix des magistrats quant aux experts qu’ils désignent afin de s’assurer de la compétence de ceux-ci.

 

      

554

Code d'instruction criminelle de 1808 , édition conforme à l'édition originale du Bulletin des lois ; suivi des motifs exposés par les conseillers d'Etat et des rapports faits par la commission de législation du Corps législatif sur chacune des lois qui composent le code , A. Belin (Paris), 1812. p.57.

555

P. GARRAUD, Précis de droit criminel, Paris, Sirey, 1934, p. 815.

556

Art. 44 « s'il s'agit d'une mort violente, ou d'une mort dont la cause soit inconnue et suspecte, le procureur

impérial se fera assister d'un ou de deux officiers de santé, qui feront leur rapport sur les causes de la mort et sur l'état du cadavre. Les personnes appelées, dans les cas du présent article et de l'article précédent, prêteront devant le procureur, impérial, le serment de faire leur rapport et de donner leur avis en leur honneur et conscience » Code d'instruction criminelle de 1808 , édition conforme à l'édition originale du Bulletin des lois ;

suivi des motifs exposés par les conseillers d'Etat et des rapports faits par la commission de législation du Corps législatif sur chacune des lois qui composent le code , A. Belin (Paris), 1812. P.12

557

F. CHAUVAUD, Experts et expertise judiciaire France, XIXe et XXe siècles, Presses Universitaires de Rennes, 2003, p. 52.

558 Idem. 559

Art 1er du Décret du 21 novembre 1893 sur la nomination des experts et la révision du tarif de 1811 « Au commencement de chaque année judiciaire et dans le mois qui suit la rentrée, les cours d’appel en chambre du conseil, le Procureur général entendu, désignent sur des listes de propositions des tribunaux de 1ere instance du ressort, les docteurs en médecine à qui elles confèrent le titre d’expert devant les tribunaux ». A. SALOMÉ, Le

médecin et la loi, étude juridique sur la condition du médecin en droit français : suivie d'une annexe comprenant le texte de la loi du 30 novembre 1892 et celui des décrets, arrêtés ministériels et circulaires s'y rattachant,

S’agissant des autres matières d’expertise un système de recrutement des experts ne sera instauré qu’en 1971 par la loi du 29 juin relative aux experts 560. Cette loi prévoit la mise en place d’une liste annuelle d’experts pour chaque cour d’appel ainsi qu’une liste d’expert pour la Cour de cassation. Néanmoins, en pratique à partir des années 1880 les juridictions mettent en place des commissions composées de magistrats chargées de dresser les listes des spécialistes et techniciens qui offrent toutes garanties « tant du point de vue du savoir professionnel que de l’honorabilité561 ». Le nouveau CPP encadrera les pratiques expertales de façon précise et détaillée.

229. L’utilisation de la science aux fins d’objectivation de la preuve concerne la dangerosité ainsi que la culpabilité du mis en cause. La preuve de la dangerosité du criminel résulterait selon l’école positive italienne de la mise en évidences d’indices d’un état dangereux. Néanmoins au sein même de l’école positive il existe des divergences quant à l’origine du crime et aux indices reflétant l’état de dangerosité. La preuve de la culpabilité de l’accusé fait de plus en plus appel aux disciplines scientifiques, notamment à la médecine légale et à la police technique et scientifique. La psychologie judiciaire et expérimentale tente également de jouer un rôle en matière de preuve testimoniale sans y parvenir. L’émergence de ces nouvelles méthodes scientifiques conduit les modes de preuves à évoluer. Le témoignage est délaissé au profit de l’exploitation des indices et du recours aux expertises, jugés plus fiable.

L’objectivisation de la preuve constitue le fondement d’une rationalisation du jugement (Chapitre2).

      

560

Loi n°71-498 du 29 juin 1971, JORF du 30 juin 1971 page 6300

561

L. MALLARD, Traité complet de l'expertise judiciaire : guide théorique et pratique à l'usage des experts,

arbitres-rapporteurs, magistrats, officiers ministériels et conseils en matière civile, commerciale, administrative et criminelle., 3 éd., Paris, Marchal et Godde, 1911, p. 2.

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