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Les règles d’appréciation du témoignage

Conclusion du Titre I

Section 2 : Science et preuve de culpabilité

C. Le rôle de la psychologie judiciaire expérimentale

2. Les règles d’appréciation du témoignage

207. L’étude du témoignage va donc proposer des éléments objectifs d’appréciation de la valeur du témoignage511.La science du témoignage se donne pour but d’établir des règles permettant de d’effectuer ce que Gorphe appelle « la critique du témoignage », c’est-à-dire de corriger de façon objective les erreurs de témoignage.

Dans son ouvrage, Gorphe s’appuyant sur les résultats des chercheurs en psychologie légale recense les règles pouvant servir à l’appréciation du témoignage. Il examine la valeur du témoignage selon les conditions de formation du témoignage, selon l’objet du témoignage et selon la valeur du témoin512.

      

508

Idem.

509

F. GORPHE, La critique du témoignage, Librairie Dalloz, 1924, p. 112.

510

Larguier Des BANCELS, « La psychlogie judiciaire », Année psychologique, 1906, p. 157 (voir p. 158).

511

Ibid. (voir p. 179)

512

208. Ainsi, la perception du témoin dépend du laps de temps pendant lequel il peut observer la scène, de la distance et de l’endroit d’où il observe la scène, des conditions d’éclairage et enfin de l’attention qui était la sienne au moment où la scène se produit. Par ailleurs, la perception peut être altérée par l’émotion.

Concernant la mémoire, Stern a mis en évidence l’influence du temps sur l’étendue et la qualité des déclarations d’un témoin. Les erreurs apparaissent progressivement au fil des dépositions successives.

209. Binet, auteur de la première contribution expérimentale à la psychologie du témoignage sur « la mémoire forcée513 » démontre, que la valeur d d’une réponse dépend étroitement de la forme de la question qui l’a provoquée. La réponse forme avec la question un tout indivisible. Les questions, par leur seule forme peuvent être des « machines à suggestion514 ».

Binet établit trois questionnaires destinés à produire des suggestions plus ou moins fortes. Une question à suggestion forte est par exemple celle-ci, le timbre était-il rouge ou vert ? La question parait exclure la possibilité de toute autre couleur. Ce type de question exerce une contrainte sur le souvenir en contenant une affirmation implicite. Binet démontre que les erreurs commises augmentent avec la force de la suggestion contenue dans la question.

Ainsi la véracité du témoignage d’une personne de bonne foi dépend de l’importance de la suggestion faite par l’interrogateur. Binet reproche aux juges de pratiquer les interrogatoires sans avoir conscience des mécanismes d’influence psychologique qu’ils mettent en œuvre. « Dans le cabinet du juge, on fait de la psychologie sans le savoir, et souvent de la mauvaise. C’est absurde. C’est à peu près aussi absurde que si un bactériologiste faisait ses préparations dans un milieu sale 515».

210. Binet va également souligner que la valeur du témoignage dépend également de la forme dans laquelle il est recueilli. Au cours d’une expérience, Binet montre à des personnes pendant un temps limité, en l’occurrence 10 secondes un carton sur lequel figure des objets familiers tels qu’un bouton, un dessin puis de leur demander d’exprimer leurs souvenirs. Binet emploie deux moyens, l’interrogatoire et le récit spontané. Après examen des

      

513

La mémoire forcée correspond au souvenir sollicité par les questions d’une tierce personne, par exemple du juge dans le cadre d’un interrogatoire.

514

A. BINET, « La science du témoignage », Année psychologique, 1905, p. 128 (voir p. 129).

515

témoignages donnés sous interrogatoire et au cours du récit libre Binet en conclut que la déposition recueillie au cours d’un interrogatoire est moins fidèle que celle recueillie au cours du récit libre. Ainsi, un juge d’instruction par le seul fait de poser des questions avec insistance à un témoin sans chercher à l’influencer ou à lui suggérer une réponse, pousserait le témoin à commettre des erreurs de mémoire. Le témoin mis en demeure de préciser des souvenirs vagues et incertains se trouve incité à les compléter et fait des erreurs. « Si vous voulez des témoignages abondants, interrogez ! Mais si vous voulez des témoignages fidèles méfiez-vous de l’interrogatoire !516 » .

211. Gorphe envisage également dans son ouvrage la valeur du témoignage selon l’objet du témoignage. Les erreurs varieraient avec l’objet du témoignage, elles dépendraient « de la propriété de l’objet à déclencher un bon témoignage517 ». C’est ce que Clarapède a appelé « la mémorabilité du fait ». La mémorabilité du fait est calculée en divisant le nombre des témoignages justes sur le total des témoignages. D’après des études effectuées par Locard et Hans Gross les témoignages d’ordre tactile, olfactif, gustatif seraient moins sûrs que les témoignages d’ordre visuel. Le témoignage auditif aurait une valeur intermédiaire.

 

212. Cette hiérarchisation des sens reposerait sur la distinction entre les sens essentiellement subjectifs qui sont les sens inferieurs et les sens essentiellement objectifs qui sont les sens supérieurs518. A l’intérieur d’un témoignage visuel, d’après des moyennes de fidélité calculées sur divers éléments, certains d’entre eux tels que la couleur des cheveux, la taille, la forme du visage et les détails des vêtements seraient plus sujet à erreur. Gorphe admet la difficulté pour les juges d’utiliser ces règles qui ne sont que des moyennes de fidélité. « Les juges ne sont guère avancés lorsqu’ils apprennent que tel élément a donné lieu, sur un certain nombre de sujets à 20% d’erreurs et tel autre à 40%. Cela prouve-t-il que le témoin X fait erreur ou qu’il dit vrai, lorsqu’il déclare que le cambrioleur était brun, portait une moustache taillée, une casquette grise, etc. ? 519»

 

      

516

A. BINET, « La science du témoignage », Année psychologique, 1905, p. 128 (voir p. 130).

517

F. GORPHE, La critique du témoignage, Librairie Dalloz, 1924, p. 219.

518

Ibid. p. 255.

519

213. Enfin Gorphe envisage la valeur du témoignage par rapport à la valeur du témoin. La valeur du témoin serait appréhendée selon le sexe, l’âge, la profession. Cependant les résultats des études sur cette question « ne permettent pas de conclusions bien précises520 ». Pour certains chercheurs tels que Motet le témoignage des enfants commande la défiance tandis que Hans Gross lui reconnait une valeur assez élevé. Selon Stern le témoignage des femmes serait plus étendu mais moins fidèle que celui des hommes521 tandis que selon d’autres chercheurs les témoignages féminins seraient supérieurs aux masculins.

214. Malgré certaines expériences ayant donné « des résultats fort incertains et quelquefois contradictoires522 » les études expérimentales sur la psychologie du témoignage sont sources d’informations intéressantes pour la pratique judiciaire. Cependant aucune règle précise et sure permettant d’objectiver le témoignage n’a pu être identifiée. La difficulté d’utilisation des moyennes de fidélité dégagées par la science du témoignage a sans doute « arrêté la science critique du témoignage dans son essor 523».

 

Le développement des méthodes scientifiques en matière de preuve a engendré une évolution des modes probatoires (II)

      

520

R. GARRAUD, Traité théorique et pratique d'instruction criminelle et de procedure pénale, Larose et Ténin, 1909, Tome 1, p. 551.

521

F. GORPHE, La critique du témoignage, Librairie Dalloz, 1924, p. 163.

522

R. GARRAUD, Traité théorique et pratique d'instruction criminelle et de procedure pénale, Larose et Ténin, 1909, Tome 1, p. 551.

523

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