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Une méthode de jugement

Section 2 : La responsabilité morale de l’acte de juger

A. Une méthode de jugement

138. La formation de l’intime conviction abandonnée sans contrôle à la conscience des jurés a donné naissance au XIXème siècle à la doctrine de l’omnipotence du jury. Cependant, des auteurs tels que Rauter, Mahul ont qualifié cette doctrine « d’absurde 287». Selon ces auteurs si la sanction légale manque la sanction morale ne fait pas défaut. « La loi n’entend donc pas abandonner à la fantaisie souveraine des jurés le soin de prononcer ; si la nature des choses empêche l’interposition d’une sanction extérieure, judiciaire il n’en résulte nullement que le jury soit affranchi de tout frein moral.288 ». La conscience sert de contrepoids au pouvoir d’appréciation des preuves conféré aux jurés. Les règles légales d’appréciation de la force probante des éléments de preuve ont été remplacées par des règles morales dont la conscience doit assurer le respect (I). Pour les défenseurs du système de l’intime conviction, cette responsabilité morale, idéalisée, semble constituer une garantie de l’infaillibilité de la décision judiciaire des jurés (II).

I. Les règles morales dans la formation de l’intime conviction  

Les textes du code des délits et des peines prescrivent une méthode de jugement (A) tandis que la doctrine développe une méthode d’appréciation des preuves (B)

A. Une méthode de jugement

139. Le serment prêté par les jurés avant la lecture de l’arrêt de renvoi289 ainsi que l’instruction adressée aux jurés par le président à la clôture des débats290 avant le délibéré

      

287

A. DALLOZ et D DALLOZ, Répertoire méthodique et alphabétique de législation, de doctrine et de

jurisprudence en matière de droit civil, commercial, criminel, administratif, de droit des gens et de droit public : jurisprudence générale., bureau de la jurisprudence générale, 1845-1870, Tome 28, p. 597.

288

Idem.

289

Article 343 du code des délits et des peines du 3 brumaire, Imprimerie de la République, Paris, 1795, p 64.

«Après avoir reçu cette promesse, le président du tribunal adresse aux jurés et à leurs adjoints le discours suivant : « Citoyens, Vous jurez et promettez d’examiner avec l’attention la plus scrupuleuse, les charges portées contre un tel… de ne communiquer avec personne jusqu’après votre déclaration, de n’écoutez ni la haine ou la méchanceté, ni la crainte ou l’affection, de vous décider d’après les charges et les moyens de défense

déclinent les devoirs imposés aux jurés dans la formation de leur intime conviction. La méthode de jugement dispensée par ces textes vise à préserver l’impartialité des jurés et à protéger leur liberté de conviction.

Le texte de l’instruction de l’article 372 du code des délits et des peines invite les jurés à un retour sur soi, comme le souligne la redondance de l’expression « s’interroger en eux même ». Cependant, ce retour sur soi est en même temps un combat contre soi-même. Les jurés ne doivent pas céder à leurs sentiments ou à leurs faiblesses. La formule du serment que prêtent les jurés énonce les sentiments dont les jurés doivent se prémunir afin de rester

      

et suivant votre conscience et votre intime conviction, avec l’impartialité et la fermeté qui conviennent à un homme libre » Chacun des jurés et de leurs adjoints, appelé nominativement par le président, répond : « Je le promets »

290

Article 372 du Code des délits et des peines, du 3 brumaire, Imprimerie de la République, Paris, 1795, p 69

« Le président résume l’affaire, et la réduit à ses points les plus simples. Il fait remarquer aux jurés les principales preuves pour et contre l’accusé. Il leur rappelle les fonctions qu’ils ont à remplir, et, pour cet effet, il leur donne lecture de l’instruction suivante, qui est, en outre, affichée en gros caractères dans la chambre destinée à leurs délibérations : « Les jurés doivent examiner l’acte d’accusation, les procès-verbaux, et toutes les autres pièces du dossier, à l’exception des déclarations écrites des témoins, des notes écrites des interrogatoires subis par l’accusé devant l’officier de police, le directeur du jury, et le président du tribunal criminel. C’est sur ces bases, et particulièrement sur les dépositions et les débats qui ont lieu en leur présence qu’ils doivent asseoir leur conviction personnelle : car c’est de leur conviction personnelle qu’il s’agit ici, c’est cette conviction que la loi leur charge d’énoncer, c’est à cette conviction que l’accusé, que la société s’en rapportent. La loi ne leur demande pas compte des moyens par lesquels ils se sont convaincus ; elle ne leur prescrit point de règles desquelles ils doivent faire particulièrement dépendre la plénitude et la suffisance d’une preuve : elle leur prescrit de s’interroger eux-mêmes dans le silence et le recueillement, et de chercher, dans la sincérité de leur conscience, quelle impression ont faite sur leur raison les preuves rapportées contre l’accusé, et les moyens de sa défense. La loi ne leur dit point : vous tiendrez pour vrai tout fait attesté par tel ou tel nombre de témoins, elle ne leur dit pas non plus : vous ne regarderez pas comme suffisamment établie toute preuve qui ne sera pas formée de tel procès-verbal, de telles pièces, de tant de témoins et de tant d'indices ; elle ne leur fait que cette seule question, qui renferme toute la mesure de leurs devoirs : avez-vous une intime conviction !

Ce qu’il est bien essentiel de ne pas perdre de vue, c’est que toute la délibération du jury de jugement porte sur l’acte d’accusation : c’est à cet acte qu’ils doivent uniquement s’attacher ; et ils manquent à leur premier devoir, lorsque, pensant aux dispositions des lois pénales, ils considèrent les suites que pourra avoir, par rapport à l’accusé, la déclaration qu’ils ont à faire. Leur mission n’a pas pour objet la poursuite ni la punition des délits : ils ne sont appelés que pour décider si le fait est constant, et si l’accusé est, ou non, coupable du crime qu’on lui impute »

impartiaux : « la haine ou la méchanceté, la crainte ou l'affection291 ». Les jurés ne doivent pas écouter les sentiments que pourraient leur inspirer la personnalité de l’accusé, la personnalité de la victime ou le crime commis.

Le serment prêté par les jurés leur demande de se décider « d’après les charges et les moyens de défense » tandis que l’instruction aux jurés leur demande « quelle impression ont faite sur leur raison les preuves rapportées contre l’accusé, et les moyens de sa défense ». Ces textes invitent les jurés à tenir compte de manière égale des preuves rapportées contre l’accusé et des moyens de sa défense afin de se prémunir des préjugés.

Enfin, le texte du serment demande aux jurés « de ne communiquer avec personne jusqu’après (leur) déclaration » afin de préserver les jurés de toute influence extérieure. L’intime conviction doit refléter le point de vue du juré et ne doit pas être un compromis des points de vu extérieurs.

140. Selon Faustin Hélie « c’est le serment qui fait le juré : c’est de cette formalité qu’il prend son nom et en même temps son pouvoir. Jusque-là il n’est qu’un citoyen, il n’a ni mission spéciale, ni fonction ; il n’a qu’une aptitude ; le serment en lui imposant des obligations et des devoirs, lui confère un pouvoir et des droits ; il est la base légale de sa fonction ; c’est de là que dérivent et sa qualité de juge et toutes les attributions qu’il va exercer292 ». Le juré non révoqué prend place sur l’estrade à côté des magistrats professionnels. L’élévation matérielle des jurés symbolise l’élévation morale des jurés293.

Cette exigence de probité dans l’exercice de la fonction juridictionnelle apparaît toujours actuellement à travers les conditions d’aptitude aux fonctions de juré au sein de la cour d’assises294.

       291

Art. 24 du titre 4, de la partie relative à la justice criminelle et à l’institution des jurés de la loi des 16-29 septembre 1791, concernant la police de sureté, la justice criminelle et l’établissement des jurés, Duvergier, tome 3, 2eéd.,p. 296 « citoyen, « vous jurez et promettez d’examiner avec l’attention la plus scrupuleuse les charges

portées contre un tel, de ne communiquer avec personne jusqu’après votre déclaration, de n’écouter ni la haine ou la méchanceté, ni la crainte ou l’affection ; d’après les charges et moyens de défense, et suivant votre conscience et votre intime conviction, avec l’impartialité et la fermeté qui conviennent à un homme libre »

292

F. HELIE, Traité de l'instruction criminelle, Charles Hingray Librairie-Editeur, 1858, vol 8.

293

F. DESPREZ, Rituel judiciaire et procès pénal, Lextenso éditions, 2009, [Droit privé : Montpellier].

294

L’article 256 du CPP dispose : « Sont incapables d'être jurés :1° Les personnes dont le bulletin n° 1 du casier

judiciaire mentionne une condamnation pour crime ou pour délit ;2° (Abrogé) 3° Ceux qui sont en état d'accusation ou de contumace et ceux qui sont sous mandat de dépôt ou d'arrêt ;4° Les fonctionnaires et agents de l'Etat, des départements et des communes, révoqués de leurs fonctions ;5° Les officiers ministériels destitués

La doctrine a également développé une méthode commandant l’appréciation des preuves (B)

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