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L’abolition du jury

Conclusion du Titre I

Chapitre 2 : La rationalisation du jugement

A. L’abolition du jury

248. L’école positive italienne considère que le jury est contraire au « principe scientifique du jugement pénal 627», prônée par l’école positive italienne. L’institution du jury populaire ne permettrait pas de réaliser la «recherche scientifique, subjective et objective, sur l’individu poursuivi en tant que criminel possible par rapport à l’acte anti juridique dont il serait

       621 Idem. 622 Idem. 623

M. GENESTEIX, L'expertise criminelle en France, A. Pédone, 1900, [Droit privé : Paris], p. 11.

624

A. GUILLOT, Des Principes du nouveau Code d'instruction criminelle, Paris, L. Larose et Forcel , 1884, p. 198.

625

M. BORLANDI, « Revue d'Histoire des Sciences Humaines », Tarde et les criminologues Italiens de son

temps (à partir de sa correspondance inédite ou retrouvée), 2000/2, n° 3, p. 7-56.

626

Ibid. p. 459.

627

l’auteur 628», objet du jugement pénal. En effet, l’école positive italienne met en avant l’incapacité du jury à juger tant de la culpabilité de l’accusé que de la dangerosité de l’accusé pour lesquelles des connaissances techniques sont nécessaires. « Même en dehors des notions techniques, que nous croyons nécessaires pour le jugement physiopathologique de tout accusé, ce n’est certainement pas avec des impressions momentanées et irréfléchies du premier venu qu’on peut faire de la justice sociale629 ».

249. L’école positive italienne met en cause le jugement du jury selon l’intime conviction qui s’apparente à « l’inspiration aveugle et naïve de l’instinct ou du sentiment630 » plutôt qu’à « une conviction raisonnée et à l’examen critique des preuves recueillies dans le procès pénal 631». Le jugement du jury soumis à aucune règle rationnelle ne peut être qu’aléatoire dans la détermination de la culpabilité632. Le sentiment moral ne suffit pas à former une certitude sur les preuves, l’examen des faits et des preuves nécessite un travail critique de l’intelligence633. Ferri dénonce l’omnipotence du jury, qui dispense le verdict du jury de toute motivation et le soustrait à tout contrôle. Ainsi, « à la cécité instinctive du jugement des jurés s’adjoint son irresponsabilité 634». La motivation du verdict apparait indispensable pour l’école positive italienne en vue du traitement ultérieur du condamné. La motivation devrait contenir les informations sur la personnalité et le crime commis par l’individu condamné635.

250. L’école positive italienne dénonce la tendance du jury à se déterminer en fonction de faits isolés « avec le seul guide du sentiment636 ». Le jury ne se préoccupe pas des règles juridiques, de la sociologie et de la technique mais se laisse séduire par « le charme oratoire et les déclarations sentimentales637 ». La prédominance du sentiment sur l’intelligence chez le jury expliquerait la clémence des verdicts prononcés par les jurés638. Les jurés se laisseraient

       628 Idem. 629 Ibid. p. 471. 630 Idem. 631 Idem. 632

G.TARDE, La philosophie pénale, A. Storck (Lyon), 1900, p. 444.

633

E. FERRI, La sociologie criminelle, A. Rousseau (Paris), 1893, p. 471.

634 Idem. 635 Ibid. p. 472. 636 Ibid. p. 477. 637 Idem. 638 Idem.

apitoyer par les avocats sur le sort de l’accusé ou de sa famille639. Les auteurs de l’école positiviste reprochent au jury de façon unanime sa faiblesse dans la répression640.

 

251. L’indulgence du jury est qualifiée par Tarde de « scandaleuse par sa fréquence(…) honteuse par ses causes et (…) dangereuse par son objet641 ».

Tarde multiplie les exemples d’acquittements scandaleux prononcés par le jury. En 1887, le jury de la Loire aurait acquitté « malgré l’évidence des preuves 642» l’auteur d’un matricide. Selon Tarde toujours, Le jury italien se montre clément pour les coups de couteaux, le jury corse pour les coups de fusils, tandis que dans certaines régions françaises le jury acquitte les mères infanticides643. La complaisance du jury pour les crimes encourage les criminels et fait à la société « plus de mal que la torture même 644». En Corse, la clémence du jury engendrerait des règlements de compte à la sortie de la cour d’assises. Les parents des victimes, insuffisamment vengés par le verdict de la cour d’assises « complètent à coup de fusils l’œuvre des jurés 645». Les lynchages provoqués par la clémence du jury fonctionneraient comme une sorte d’antidote au jury.

252. Selon Tarde « toutes les fois qu’on veut assurer l’exécution des lois, on doit faire échec au jury646 ». Ainsi ; l’usage de la correctionnalisation des affaires et la création de tribunaux d’exception sont de plus en plus fréquents647. Enfin Garofalo pointe du doigt l’immoralité des jurés censé juger en conscience selon leur intime conviction648. A Naples et en Sicile le jury, sous l’emprise de la mafia ne prononcerait aucun verdict de condamnation à l’encontre des membres de la mafia649. En Sicile les jurés monnayeraient leur verdict, le prix variant selon que le coupable désire les circonstances atténuantes ou l’acquittement650. Ainsi il

      

639

G.TARDE, La philosophie pénale, A. Storck (Lyon), 1900, p. 447.

640 Idem. 641 Idem. 642 Ibid. p. 448. 643 Idem. 644 Idem. 645 Ibid. p. 445. 646 Ibid. p. 449. 647 Idem. 648

R. GAROFALO, La criminologie, F. Alcan, 1888, p. 301.

649

Ibid. p. 302.

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ne serait pas rare de voir des complices pauvres condamnés tandis que les auteurs riches seraient acquittés651.

253. L’école positive italienne dresse un tableau noir de l’institution du jury populaire, dont le jugement selon l’intime conviction ne serait rien d’autre que l’arbitraire. L’absence de règle régissant l’intime conviction serait la porte ouverte à tous les abus.

254. Les partisans de l’école italienne remettent également en cause la capacité intellectuelle des jurés ainsi que leur compétence. Selon Garofalo la grande majorité des injustices commises par le jury dérive de leur ignorance652. Les jurés sont souvent dans l’incapacité de comprendre le sens des termes juridiques ainsi que le sens des questions qui leurs sont posées653.

Selon Tarde le caractère aléatoire du choix des jurés se retrouve dans le sens de leur décision654. Si bien que le verdict est le reflet de la composition du jury. Pour Ferri, le tirage au sort présidant à la composition du jury ne permet pas de sélectionner des individus ayant la capacité intellectuelle nécessaire à l’administration la justice655. La composition du jury décidée par le hasard est contraire à « la règle universelle de la vie publique et privée656 » selon laquelle les fonctions sociales doivent être exercées par les personnes les plus capables. Cette règle s’appliquerait de façon évidente à notre quotidien. Ainsi, « Personne ne songerait à faire raccommoder sa montre par un cordonnier 657». Confier l’administration de la justice pénale « au premier venu 658» est une aberration.

255. Selon Ferri, même si le jury était composé de personnes dotées d’une capacité intellectuelle moyenne cela ne suffirait pas à garantir la capacité du jury à juger l’accusé659.En effet et de prime abord, la réunion de plusieurs individus capables ne donne pas l’assurance d’une capacité collective660. Dans la réunion d’un groupe temporaire tel que le jury « les dispositions individuelles les moins bonnes et les moins sages, c’est à dire plus nombreuses et

       651 Idem. 652 Ibid. p. 299. 653 Idem. 654

G.TARDE, La philosophie pénale, A. Storck (Lyon), 1900, p. 444.

655

E. FERRI, La sociologie criminelle, A. Rousseau (Paris), 1893, p. 472.

656 Idem. 657 Idem. 658 Idem. 659 Ibid. p. 474. 660 Idem.

plus profondes prédominent sur les dispositions les meilleures, comme la règle prédomine sur l’exception661 ». Le jury serait en proie à « une dégénérescence collective662 ».

256. D’autre part, les jurés disposant d’une capacité moyenne ne peuvent suivre que « les règles inferieures de l’évolution intellectuelle 663», condamnant ainsi leur participation au jugement de la dangerosité des accusés. Ferri identifie trois phases de développement progressif de l’intelligence humaine : « le sens commun, le bon sens, la science 664». Ces trois phases de développement de l’intelligence humaine diffèrent dans leur degré de complexité. Les jurés possédant une capacité intellectuelle moyenne mais n’ayant aucune capacité technique ne peuvent suivre que les règles du sens commun et tout au plus par exception celles du bon sens665. Les jurés sont incapables d’appliquer les règles supérieures de la science qui lui sont inconnues666. La connaissance scientifique de l’homme criminel et du crime non seulement comme fait anti juridique mais comme phénomène naturel et social nécessaire au jugement pénal emporte « la condamnation du jury 667».

257. Le discrédit auquel fait face le jury populaire dans sa fonction actuelle de juge de la culpabilité et son absence de connaissances techniques conduisent tout naturellement l’école positiviste à rejeter cette institution judiciaire en ce qui le jugement de la dangerosité des criminels. En conséquence, Garofalo, Ferri et Tarde appellent à l’abolition du jury pour le jugement des crimes de droit commun668.

258. Ferri compare le jury a « une pathologie sociale669 » car il est, contraire à la loi de spécialisation des fonctions suivant laquelle « tout organe qui devient plus adapté à un travail donné ne l’est plus pour tout autre fonction 670». Le jury doit céder sa place à l’expert plus compétent pour juger le criminel. Ferri compare le jury aux organismes inférieurs chez lesquelles un organe peut accomplir différentes fonctions tandis que chez les vertébrés, par exemple, l’estomac ne peut servir qu’à la digestion et les poumons seulement à

       661 Idem. 662 Idem. 663 Idem. 664 Idem. 665 Ibid. p. 475. 666 Idem. 667 Ibid. p. 464. 668

E. FERRI, La sociologie criminelle, A. Rousseau (Paris), 1893, p. 483. ; R. GAROFALO, La criminologie, F. Alcan, 1888, p. 306. ; G.TARDE, La philosophie pénale, A. Storck (Lyon), 1900, p. 455.

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E. FERRI, La sociologie criminelle, A. Rousseau (Paris), 1893, p. 481.

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l’oxygénation671. Ferri compare encore le jury aux sociétés primitives dans lesquelles les individus exercent différentes fonctions telle que la chasse l’agriculture alors qu’avec le progrès tout homme accomplit une fonction spéciale672. Selon Ferri l’institution du jury populaire, en attribuant à un citoyen exerçant déjà un métier une fonction judiciaire pour laquelle il n’a aucune capacité symbolise « le retour à la confusion primitive des fonctions sociales 673». Le jury est « une juridiction régressive 674» car il représente « la phase médiévale et instinctive de la justice pénale 675». Pour Tarde, conserver l’institution du jury conduirait la France à rester en arrière du progrès scientifique676.

Tarde annonce la disparition inévitable du jury face au progrès scientifique ; « d’une manière ou d’une autre, la science finira bien par prévaloir sur l’ignorance, même souveraine, telle est la puissance nouvelle, chaque jour grandissante, devant laquelle fatalement le jury disparaitra 677»

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