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Le système de la preuve morale

Section 1 : L’institution du jury populaire

B. Le système de la preuve morale

83. « Un des grands avantages des jurés, c’est de substituer la preuve morale à ce que l’on appelle la preuve légale171 »

Duport critique l’aptitude du système légal à découvrir la vérité, il compare le système des preuves légales aux preuves irrationnelles. « Comment a-t-on pensé qu’il était possible de donner ainsi à la vérité un caractère de convention, et de soumettre à une seule règle de probité toute l’immensité des combinaisons humaines ? C’est avec un sourire dédaigneux que nous parlons des pratiques de nos pères qui voulaient qu’un accusé prouvât son innocence par les épreuves de l’eau bouillante, de la croix ou du combat. Nos usages sont tout aussi absurde et plus funeste 172»

Duport tient pour responsable les magistrats professionnels du système des preuves légales. Ce sont eux qui ont fait naitre « cette méprisable et funeste science de la chicane, qui ne sert qu’à fausser l’esprit, en rendant douteuses et problématiques des questions naturellement simples, à corrompre les âmes et à détruire la morale , en effaçant le sentiment profond du juste et de l’injuste qui vit au fond du cœur de chaque homme, et dont la voix est

      

171

DUPORT, Assemblée nationale constituante, débats archives parlementaires, Madival et Laurent, 29 mars 1790, Tome 12, p. 435.

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étouffée lorsqu’avant d’intenter ou de soutenir un procès, il va chercher dans un livre, et feuilleter dans un recueil de jurisprudence, au lieu d’écouter sa conscience, et de trouver dans son propre cœur si sa demande ou sa défense est juste ou non173 ».

84. Dans son discours M. Duport définit le système de la preuve morale qu’engendre le jugement par jurés :

« Tout change quand on a des jurés. Ces citoyens choisis sans intérêts, ou plutôt forcement intéressés au maintien de la justice, entendent et voient l’accusé aux prises avec les témoins. Ils voient réunis à la fois, et sous un seul point de vue, l’ensemble et les détails du procès. Leur âme est ouverte à tous les traits de la vérité. La société n’a aucune défiance contre eux ; elle leur permet d’employer leurs connaissances personnelles et de juger avec toute la loyauté possible et avec les lumières pures du bon sens. Il y a unité et accord entre toutes leurs facultés ; ils ne sont pas obligés, comme les juges d’être doubles, pour ainsi dire ; à juger, non comme ils voient, mais comme ils doivent voir ; à ne pas obéir à leur conscience, mais à suivre des règles fausses et absurdes de probabilité 174»

85. Selon le député Garat le système de la preuve morale livre les parties à l’arbitraire des juges, ceux-ci n’ayant à observer aucune règle de preuve. « Mr Duport entend-il qu’en matière criminelle la preuve du fait imputé à un crime, c’est-à-dire les reproches contre les témoins, experts et autres, moyens de suspicion qui leurs sont opposés, la crédibilité due aux dépositions des témoins même non reproché et non suspectés, leurs discordances entières ou partielles sur le fait principal et les circonstances accessoires, les présomptions, les indices qui naissent soit des témoins muets, soit de témoins parlant isolément de divers faits séparés ou de circonstances accessoires différentes, s’apprécient et se jugent sans aucune règle, sans aucun principe tracé par les lois pour leur détermination ? (…) entend-il en un mot que sur tous ces objets des jugements civils et criminels, nous soyons entièrement livrés à l’arbitraire des juges ? S’il l’entend ainsi, j’en conviens (…) nous pouvons livrer nos fortunes, nos vies et notre bonheur à ces jurés, comme autrefois nos barbares ancêtres livraient à leur choix les leurs ou à l’épreuve de l’eau et du feu ou aux hasards des combats en champ clos, ou aux jugements de leurs jurés 175»

      

173

Ibid.p.418.

174

DUPORT, Assemblée nationale constituante, débats archives parlementaires, Madival et Laurent, 29 mars 1790, Tome 12, p. 435.

175

GARAT, Assemblée nationale constituante, débats archives parlementaires, Madival et Laurent, 31 mars 1790, Tome 12, p. 493.

86. De nombreux députés critiquent également l’ignorance que les jurés ont de la loi. Le député Tronchet se montre favorable à l’élection de magistrats professionnels par le peuple et responsable devant le peuple, les magistrats professionnels élus pouvant être révoqués à une forte majorité de suffrages.176

Pour le député Duport adopter des magistrats professionnels serait un renoncement à instaurer un système de preuve morale, et donc un système où la valeur probante des preuves est librement appréciée par les jurés. Il s’adresse en ces termes à l’Assemblée nationale constituante « Vous admettrez donc dans les élections du peuples des juges de tous les jours, qui, tous les jours décideront du sort du peuple, et pourront faire trembler le peuple ; et vous croiriez être libres(…) Ployez la tête vous êtes indignes de la liberté 177»

87. Le texte du serment adressé aux jurés construit sur le modèle du serment anglais178, issu de l’article 15 du projet de loi de Duport, qui sera consacré par la loi des 16 et 29 août 1791 puis repris à l’article 343 du code des délits et des peines fait référence à la liberté des citoyens :

« Citoyens, vous jurez et promettez d’examiner avec l’attention la plus scrupuleuse les charges portées contre un tel ; vous n’écouterez que votre conscience, et vous déciderez avec impartialité, vous ferez votre rapport avec la loyauté, la droiture et la fermeté qui conviennent à des hommes libres179 ».

88. Cette référence à la liberté, qui ne disparaitra jamais du texte du serment, atteste du caractère démocratique des jurés par opposition aux magistrats professionnels. Elle marquera également la liberté d’appréciation de la force probante de la preuve dont bénéficie le jury par opposition là encore aux magistrats professionnels.

      

176

TRONCHET, Assemblée nationale constituante, débats archives parlementaires, Madival et Laurent, 29 avril 1790, Tome 12, p. 332. « Des juges élus par le peuple, publiquement subordonnés à l’opinion publique, collectivement intéressés à se ménager cette opinion, responsables même, ne vous offre t’ils pas une garantie plus sure d’une justice impartiale et éclairée, que ces juges mobiles comme les flots qui se succèdent, que ces juges qui ne font usage que de leur prétendue science qu’accidentellement. »

177

DUPORT, « Assemblée nationale constituante, débats archives parlementaires », 30 avril 1790, p. 342

178

Principes et plan sur l’établissement de l’ordre judiciaire par M. Duport, Séance du 29 mars 1790 p. 437

« Vous examinerez bien et vraiment, vous ferez un rapport véritable entre le roi et le prisonnier à la barre, que vous êtes chargé de faire, et vous donnerez un verdict véritable suivant l’évidence »

179

DUPORT, Assemblée nationale constituante, débats archives parlementaires, Madival et Laurent, 29 mars 1790, Tome 12, p. 437.

89. L’ignorance de la loi reprochée aux jurés ne va pas compromettre l’adoption du principe du jury populaire. Les Constituants font davantage confiance à la raison et à la probité des jurés qu’à la loi pour assurer la justice (II).

II. La confiance en la raison et en la probité des jurés

90. Pour les Constituants, le raisonnement (A) et la probité (B) prévalent sur la science ; « ce que l’on dit désirer dans les juges, c’est moins une vaine subtilité, ou une pesante érudition qu’un sens droit et juste, des connaissances réduites, surtout un grand amour de la vérité et de la justice180 »

A. La confiance en la raison humaine  

91. Le discours de Duport lors de la séance du 29 mars 1790 décrit la nouvelle conception de l’homme que traduit l’institution des jurés :

« Je plains même ceux qui, après être convenus de la vérité d’un principe, trouvent toujours tant de peine à le mettre en exécution ; qui doutant de l’empire de la raison sur les hommes, et à qui les circonstances actuelles n’ont pas appris que l’on peut tout sur eux lorsque l’on veut véritablement leur bonheur, et que ces mêmes hommes toujours défiants, toujours armés contre le despotisme et ses agents, se livrent avec joie, avec confiance, avec abandon à tout ce qu’exige d’eux une autorité légitime élevée par eux, et qu’ils croient occupée du soin de les rendre heureux et de défendre leurs droits181 »

92. Les Constituants croient à la puissance de la raison humaine, à sa capacité d’atteindre le juste. « Tout homme est bon pour éclaircir un fait, il ne faut pour cela ni talents ni grandes connaissances 182»

La science du droit, loin d’être un atout est au contraire trompeuse183 , et c’est parce que les jurés ne sont pas des professionnels du droit qu’ils parviendront à atteindre la vérité.

      

180

DUPORT, Assemblée nationale constituante, débats archives parlementaires, Madival et Laurent, 29 mars 1790, Tome 12, p. 426.

181

Ibid. p. 428.

182

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