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Faillibilité des experts

Conclusion du Titre I

Section 2 : Le nécessaire maintien de la libre appréciation des preuves par le juge

B. Faillibilité des experts

270. Les juristes et les scientifiques se font écho de l’incompétence (1) et de la partialité (2) dont font preuve certains experts dans leurs missions.

1. Incompétence des experts

271. Devergie considère que les nombreuses erreurs d’expertises reflètent « l’ignorance ou le grave défaut d’attention 728 » des experts médecins. Devergie mentionne plusieurs affaires dans lesquelles les experts ont fait preuve d’une incompétence flagrante. Dans l’affaire Baillie, un chirurgien attribue les lésions qu’il observe sur le cadavre d’une dame à des violences alors qu’un second expert montrera plus tard que la dame est morte de façon

       725 Idem. 726 Ibid. p. 267. 727 Idem. 728

naturelle d’une apoplexie729. Dans l’affaire Chassagneux l’expert commet une semblable méprise entrainant la condamnation des enfants de Chassagneux pour parricide730.

272. Orfila relate une affaire judiciaire de 1816 dans laquelle deux officiers de santé sont requis afin de constater l’état et les causes de la mort d’un monsieur « trouvé debout, la figure appuyée contre la pente très-douce de la chaussée de son étang, les bras étendus, le chapeau sur la tête, et seulement recouvert de deux ou trois pouces d'eau, les pieds étant enfoncés de six pouces dans la vase 731». Ces experts n’ouvrent pas le crâne du mort afin de vérifier l’hypothèse de la mort accidentelle par noyade et déclare malgré tout qu’ « ils ont trouvé le cerveau engorgé732». Au cours d’une contre visite ordonnée par le juge les seconds experts constatent que l’ouverture du crâne n’a pas été pratiquée. Orfila dénonce le comportement de ces experts qui ne respecte pas le « principe le plus simple de la médecine judiciaire733 ».

273. L’affaire Gilliard est un autre symbole de l’incompétence des experts. En 1833, Gilliard, cuisinier, est accusé de complicité d’assassinat sur une femme de chambre, ainsi que du vol qui s’en était suivi734. Les experts rapprochent les traces d’égratignures que portent Gilliard sur les mains des vitres de la bibliothèque brisées par l’assassin et/ou le voleur. Selon les experts les cicatrices de Gillard correspondent aux morceaux de la vitre brisée.

L’acte d’accusation reprend ainsi les constatations des experts « On remarqua que Gilliard avait des égratignures à la main ; on le conduisit près de la bibliothèque (dont les vitres avaient été brisées par les malfaiteurs) ; sa main fut rapprochée du carreau cassé, et les hommes de l’art ont reconnu que ces légères blessures s’adaptaient aux poings ensanglantées de cette glace brisée, et qu’elles avaient tout au plus 15 à 18h d’existence735 ». Gilliard fut condamné par la cour d’assises de la Seine pour complicité de vol à 10 ans de travaux forcés. Lemoine le principal accusé dans l’assassinat de la femme de chambre, condamné à mort révéla à ses codétenus peu de temps avant son exécution qu’il était le seul auteur du meurtre et du vol. Suite aux révélations de Lemoine, rapportées par ses co-détenus au directeur de la prison, le procureur général et le conseiller qui avait présidé la cour

       729 Idem. 730 Idem. 731

M. ORFILA, Leçons de médecine légale, BÉCHET JEUNE, 1823, Partie 2, p. 528.

732

Idem.

733

Ibid. p. 528.

734

M. LAILLER et H. VONOVEN, Les erreurs judiciaires et leurs causes, Paris, Pédone, 1897, p. 511.

735

d’assises de la Seine menèrent une enquête démontrant l’innocence de Gilliard qui fut alors gracié736.

2. Partialité des experts

274. Les auteurs reprochent, par ailleurs, aux experts d’aller dans le sens du magistrat qui les commet afin de leurs plaire737. Si le magistrat instructeur est convaincu de la culpabilité de l’accusé les experts « se croient exclusivement chargés de fournir des traits au ministère public 738». Ainsi certains experts deviendraient « parquetiers 739». La qualité d’auxiliaire de justice des experts se transformerait « assez facilement en la qualité d’auxiliaire de l’accusation 740» Le manque de partialité des experts les conduits à chercher des arguments au soutien de leur conviction morale et ainsi à commettre des erreurs d’expertises. Locard cite en exemple l’affaire Dreyfus dans laquelle le rapport de Bertillon, expert en écriture, concluant à l’identité de l’écriture du bordereau et l’écriture de Dreyfus conduira à la condamnation à tort de Dreyfus741. Bertillon, « croyant fermement à la culpabilité de Dreyfus 742», n’a cherché que des éléments en faveur de l’accusation. Un autre expert en écriture, Teyssonières, intervenant lors de la procédure diligentée contre Dreyfus ira même jusqu’à conclure « sur son honneur et sa conscience » à la culpabilité de l’accusé743.

275. Locard exhorte les experts à ne pas s’immiscer dans le domaine de la certitude morale. « Le devoir est clair. L’expert n’est pas un juge : il n’a pas à connaitre les faits d’ordre moral.744» L’expert en charge d’apporter la vérité scientifique, ne doit pas juger de la culpabilité de l’accusé745.

      

736

Ibid. p. 515.

737

E. LOCARD, L'enquête criminelle et les méthodes scientifiques, Paris, Ernest Flammarion, 1920, p. 290.

738

Idem.

739

Idem.

740

R. GARRAUD, Traité théorique et pratique d'instruction criminelle et de procedure pénale, Larose et Ténin, 1909, Tome 1, p. 613.

741

J. REINACH, Histoire de l'affaire Dreyfus. Le procès de 1894, Paris, Editions de la Revue blanche, 1901-1911, p. 100.

742

E. LOCARD, L'enquête criminelle et les méthodes scientifiques, Paris, Ernest Flammarion, 1920, p. 291.

743

J. REINACH, Histoire de l'affaire Dreyfus. Le procès de 1894, Paris, Editions de la Revue blanche, 1901-1911, p. 182.

744

E. LOCARD, L'enquête criminelle et les méthodes scientifiques, Paris, Ernest Flammarion, 1920, p. 287.

745

 

Il est ainsi recommandé au juge de « ne désigner que des hommes éclairés, capables, d’une probité, d’une indépendance et d’une fermeté qui ne permettent pas de les soupçonner de la moindre partialité favorable ou défavorable à l’auteur du crime ou du délit 746»

276. Les techniques scientifiques mises en œuvre au sein l’expertise ainsi que les conclusions des experts ne sont pas absolues. Le juge ne doit donc pas se fier aveuglément à la science et aux experts747.Si la découverte, la détermination, la fixation des indices relèvent du domaine de l’expertise, leur interprétation appartient au juge seul748. Le pouvoir d’appréciation des preuves dévolu au juge lui permet de contrôler le travail d’expertise opéré par l’expert (II) et lui donne ainsi le moyen d’éviter les erreurs judiciaires.

II. Le nécessaire contrôle de la valeur probante de l’expertise

277. « Il suffit que l’expert ne soit pas infaillible pour légitimer l’idée d’un contrôle749 ». « L’expertise, comme tout autre procédé d’instruction, a besoin d’être soumise à un double contrôle, celui des parties, dans les débats, et celui du juge dans la décision750 ».Le contrôle de la valeur de l’expertise passe par l’analyse du raisonnement effectué par l’expert (A) et la confrontation des résultats de l’expertise aux indications fournies par les autres modes de preuve(B).

      

746

Répertoire Dalloz, V° Expert-Expertise, p. 283, n°406.

747

E. LOCARD, L'enquête criminelle et les méthodes scientifiques, Paris, Ernest Flammarion, 1920, p. 26.

748

A. CLAPS, Les indices dans le procès pénal, le laboratoire de criminalistique, 1931, [Droit privé : pénal : Lyon], p. 153.

749

Ibid. p. 292

750

R. GARRAUD, Traité théorique et pratique d'instruction criminelle et de procedure pénale, Larose et Ténin, 1909, Tome 1, p. 599.

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