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La liberté de conviction du jury populaire

Section 2 : L’oralité du procès

B. La liberté de conviction du jury populaire

pour le député Chabrond, les jurés « n’ayant pas seulement devant eux des phrases, mais un tableau actif et vivant244 » pourront confondre plus facilement les faux témoins. La procédure contradictoire et publique est plus redoutable pour les faux témoins245. L’impunité n’existe pas puisque le projet de décret prévoit que le faux témoin sera poursuivi. Enfin si les jurés ne peuvent confondre le faux témoin ils ont la possibilité de n’accorder aucun crédit à sa déposition contrairement à l’ancienne procédure246.

Le deuxième inconvénient de la procédure orale est dénoncé par Mr Rey, Mr Goupil de Préfein, Mr Prugnon et Mr Tronchet. L’absence de rédaction par écrit de la procédure rend la révision du jugement et la purgation de la mémoire du défunt impossible faute de trace écrite des preuves et des témoignages247. Ainsi « Si les jurés se trompent nulle ressource ouverte pour réparer l’erreur 248» Pour le député Pétion la procédure de révision n’a nul besoin de l’écriture des débats pour prospérer. L’erreur de fait permettant de donner lieu à révision est telle qu’elle démontre en elle-même l’innocence de l’accusé, si bien que si le fait en question avait été connu l’accusé n’aurait pu être condamné249.

L’intégrité de la conviction morale réside également dans sa liberté (B)

B. La liberté de conviction du jury populaire  

116. Les rapporteurs du projet considèrent que l’écriture constituerait une entrave à la liberté de conviction du jury qui est l’acte constitutif de la conviction morale. Par ailleurs, ils considèrent que l’écrit est inutile puisque le jury est garant du bon usage de cette liberté.

Cette phrase du député Thouret résume la position des rapporteurs du projet de loi. « La seule capacité supposée dans le juré est la rectitude de son jugement, son tact est celui

      

243

TRONCHET, Assemblée nationale constituante, Madival et Laurent, Séance du 5 janv. 1791, Tome 22, p. 29.

244

CHABROUD, Assemblée nationale constituante, Madival et Laurent, Séance du 17 janv. 1791, Tome 22, p. 297.

245

PETION, assemblée nationale constituante, Madival et Laurent, Séance du 17 janv. 1791, Tome 22, p. 295.

246

BRIOIS-BEAUMEIZ, Assemblée nationale constituante, Madival et Laurent, séance du 5 janv. 1791, Tome 22, p. 26.

247

TRONCHET, Assemblée nationale constituante, Madival et Laurent, Séance du 5 janv. 1791, Tome 22, p. 30. « Sans cela il m’est impossible de faire connaitre qu’elles étaient les charges qui ont pu me faire

condamner, de prouver quel fait a été ignoré, que tel témoin avait dit cela et était un faussaire »

248

PRUGNON, Assemblée nationale constituante, Madival et Laurent, Séance du 3 janv. 1791, Tome 22, p. 4.

249

de sa conscience ; sa règle est exclusivement sa conviction intime ; et la garantie qu’il est si naturel de désirer contre le danger apparent de tant d’indépendance se trouve complètement dans sa nature même, dans sa composition, dans son impartialité indubitable, dans sa rénovation pour chaque fait, dans la plus nombreuse réunion des suffrages250 ».

Pour les Constituants l’écrit entraverait la liberté morale des jurés qui doit rester parfaitement entière, leur conscience étant la seule loi qu’ils aient à consulter. Leur décision doit résulter « d’une conscience libre et affranchie de toutes les entraves, une conviction intime, en un mot une vrai décision de juré251 »

117. La garantie du bon usage de cette liberté réside dans l’institution même du jury populaire252. Les jurés sont des citoyens « extrait du peuple » qui sont « nos égaux » et qui retourneront dans le peuple une fois leur fonction accomplie. Ils peuvent donc être juges aujourd’hui et jugés demain, ce qui assure leur impartialité et leur probité. Enfin la décision de condamnation est prise à une majorité de 10 voix sur 12.

118. Les partisans du projet de loi demandent donc à l’Assemblée nationale d’instituer la procédure orale, propre au jury populaire afin que celui-ci produise « ces grands effets de moralité qui le rendent si précieux au maintien de la liberté publique253 ». A l’inverse, l’institution d’une procédure écrite détruirait l’indépendance des jurés et les assujettirait à une audience très longue du fait de la rédaction des débats254. Peu à peu les jurés cèderaient la place aux magistrats professionnels255. L’écriture serait le « tombeau des jurés256 »

 

      

250

THOURET, Assemblée nationale constituante, Madival et Laurent, séance du 11 janvier 1791, Tome 22, p. 133.

251

BOUTTEVILLE-DUMEIZ, Assemblée nationale constituante, Madival et Laurent, Séance du 11 janv. 1791, Tome 22, p. 129.

252

BRIOIS-BEAUMEIZ, Assemblée nationale constituante, Madival et Laurent, séance du 5 janv. 1791, Tome 22, p. 27. « C’est dans la nature même de cette institution, dans la moralité qu’elle renferme, qu’il faut chercher

la réponse à toutes les observations subtiles sur lesquelles on a cherché à défavoriser notre projet »

253

THOURET, Assemblée nationale constituante, Madival et Laurent, séance du 11 janvier 1791, Tome 22, p. 130.

254

BRIOIS-BEAUMEIZ, Assemblée nationale constituante, Madival et Laurent, séance du 5 janv. 1791, Tome 22, p. 25. ; THOURET, Assemblée nationale constituante, Madival et Laurent, séance du 11 janvier 1791, Tome 22, p. 132. « Les jurés ne pourront pas soutenir longtemps ces longues et fastidieuses séances qui se passeront à écrire et que le dégout inévitable d’une telle corvée fera bientôt haïr et déserter ce service »

255

BOUTTEVILLE-DUMEIZ, Assemblée nationale constituante, Madival et Laurent, Séance du 11 janv. 1791, Tome 22, p. 129. « Bientôt ils laisseront aux juges le soin de feuilleter le fatras dont votre fatale prudence les

aura chargés. Non encre une fois vous n’aurez point de jurés »

256

119. La demande d’une procédure écrite exprime une certaine défiance à l’égard de l’intime conviction des jurés remettant en cause la liberté de juger selon l’intime conviction.

L’écrit serait un moyen de contrer les dangers de l’intime conviction, définie comme une « première impression257 », « un instinct (qui) ne suffit pas pour appliquer cette conviction à tous les détails qu’une affaire compliquée peut exiger258 ».

Pour le député Prugnon, l’homme ne pourra pas se servir de sa raison pour juger si on lui enlève l’écriture « juger c’est comparer ; ainsi pour bien juger il faut avoir sous les yeux des points de comparaisons immuables 259». Abandonner la procédure écrite, c’est autoriser les jurés à juger selon leurs passions, « au gré de leurs caprices 260» et leur donner « un pouvoir sans responsabilité 261». Les jurés « auront le pouvoir de faire une grâce, sans qu’on puisse les convaincre d’avoir mal décidé262 », ce qui les exposera à la corruption. Loin d’être « incompatible avec l’institution des jurés, d’en détruire les avantages, (l’écrit) ne fera qu’en rectifier les inconvénients 263». « En un mot avec l’écriture je réunis deux avantages, sans elle vous n’en avez qu’un, et toute la question se réduit à décider si un vaut mieux que deux 264». Les partisans du projet de loi répondront à Tronchet que dans le concours des deux moyens de conviction, l’écrit l’emportera sur la discussion orale et finira par la faire disparaitre265.

120. Aux députés qui doutent du bien-fondé de la procédure orale devant les jurés, Pétion s’exprime ainsi « Sachez supporter les imperfections d’un établissement utile, comme nous sommes tous condamnés à supporter les maux de l’humanité. La perfection serait ici une chimère dangereuse : les moyens qu’on vous a indiqués pour y parvenir ne me paraissent propres qu’à vous égarer et à dénaturer la sublime institution des jurés266 »

121. Malgré les réticences des opposants à l’oralité, l’Assemblée nationale entérinera l’oralité des débats devant les jurés par la loi du 16 et 24 septembre 1791. L’adoption d’une

      

257

TRONCHET, Assemblée nationale constituante, Madival et Laurent, Séance du 5 janv. 1791, Tome 22, p. 34.« Le juge trouve un moyen de corriger les dangers de cette première impression dans la preuve écrite »

258

TRONCHET, Assemblée nationale constituante, Madival et Laurent, séance du 17 janv. 1791, Tome 22, p. 303. 259 Ibid. p. 306. 260 Ibid. p. 307. 261 Idem. 262

PRUGNON, Assemblée nationale constituante, Madival et Laurent, Séance du 3 janv. 1791, Tome 22, p. 4.

263

TRONCHET, Assemblée nationale constituante, Madival et Laurent, Séance du 5 janv. 1791, Tome 22, p. 27.

264

TRONCHET, Assemblée nationale constituante, Madival et Laurent, Séance du 5 janv. 1791, Tome 22, p. 35.

265

PÉTION, Assemblée nationale constituante, Madival et Laurent, Séance du 17 janv. 1791, Tome 22, p. 294.

« Dans le concours des deux moyens l’un l’emportera sur l’autre et finira par le faire disparaitre »

266

procédure pénale intégralement orale permet aux Constituants de faire triompher leur conception du système de preuve morale : une conviction morale, personnelle et libre267, formée de l’ensemble des débats : l’intime conviction.

122. La procédure criminelle définie par les Constituants suite à l’adoption du jury populaire est façonnée pour cette institution en laquelle les Constituants ont toute confiance. Seul le jury populaire, représentant l’expression de la souveraineté nationale est en mesure de rendre une justice impartiale. Le caractère démocratique de cette institution, l’absence de connaissances juridiques de ces jurés leur confère une liberté qui leur permettra d’apprécier les faits sans influence. Le jury populaire suppose l’adoption d’un système de preuve morale, dont l’oralité de la procédure préservera la liberté de conviction. La notion d’intime conviction entretient donc un lien indissociable avec l’institution du jury populaire pour laquelle elle a été créée. C’est pourquoi Gabriel Tarde appelle la preuve morale « la preuve par le jury268 ».

123. Le terme d’intime conviction est consacrée à l’article 24 de la loi du 29 septembre 1791 dans le serment que doivent prêter les jurés « Citoyens, Vous jurez et promettez d’examiner avec l’attention la plus scrupuleuse, les charges portées contre un tel… de ne communiquer avec personne jusqu’après votre déclaration, de n’écouter ni la haine ou la méchanceté, ni la crainte ou l’affection, de vous décider d’après les charges et les moyens de défense et suivant votre conscience et votre intime conviction, avec l’impartialité et la fermeté qui conviennent à un homme libre 269». Le serment des jurés fait de l’intime conviction le fondement de la fonction de juré, ce qui atteste du lien étroit entre l’adoption d’une procédure de jugement par jury populaire et l’adoption du système de l’intime conviction.

Le système de l’intime conviction confère aux jurés le privilège, longtemps réservé au monarque, de juger en conscience (Chapitre 2)

      

267

THOURET, Assemblée nationale constituante, Madival et Laurent, séance du 11 janvier 1791, Tome 22, p. 130.

268

G.TARDE, La philosophie pénale, A. Storck (Lyon), 1900, p. 435.

269

Loi du 29 septembre 1791, article 24 du Titre VI Procédure devant le tribunal criminel, Collection générale

des loix, proclamations, instructions, et autres actes du pouvoir exécutif publiés pendant l'Assemblée nationale constituante et législative, depuis la convocation des Etats généraux jusqu'au 31 décembre 1791, Imprimerie

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