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Faillibilité de la science

Conclusion du Titre I

Section 2 : Le nécessaire maintien de la libre appréciation des preuves par le juge

A. Faillibilité de la science

265. La foi absolue en la science est source d’erreurs judiciaires car la science est variable et sujette à l’erreur comme l’esprit humain qui l’a pensée. Les progrès des sciences révèlent les erreurs du passé attestant par-là de la relativité des vérités scientifiques696. « Un savant ne peut savoir que tout ce qui se sait à son époque697 ». Lorsqu’ils déposent devant la justice, les experts, conscients de la relativité de leur savoir, emploient la formule suivante « dans l’état actuel de la science je crois pouvoir affirmer telle ou telle chose698 ».

Néanmoins selon Lailler et Vonoven, auteurs de l’ouvrage paru en 1897 Les erreurs judiciaires et leurs causes699, nul ne tient compte de cette réserve. « Parce que l’érudition des savants atteint les extrêmes limites du connu, l’irréflexion de la masse la tient pour absolue. « Voilà ce qui me parait être la vérité » dit le savant. « Voilà la certitude » traduit la foule ignorante, oublieuse « de l’éternel voyage de la science 700». Ainsi, les données inexactes de la science du poison ont été la cause « d’erreurs judiciaires nombreuses et irréparables 701».

266. En 1814, Juliette Jacquemin est condamnée à mort pour tentative d’empoisonnement sur sa maitresse Mme de Normont sur la base de constatations médicales effectuées sur la supposée victime. Un examen du liquide soit disant mortifère démontra que le produit était inoffensif, la victime avait en réalité simulé un commencement d’empoisonnement702.

En 1840, Mme Lafarge est accusée d’empoisonnement sur son mari703. Deux experts Orfila et Raspail, s’affrontent au cours du procès. Orfila affirme que de l’arsenic est présent

      

696

M. GENESTEIX, L'expertise criminelle en France, A. Pédone, 1900, [Droit privé : Paris], p. 17.

697

M. LAILLER et H. VONOVEN, Les erreurs judiciaires et leurs causes, Paris, Pédone, 1897, p. 110.

698 Ibid. p. 111. 699 Idem. 700 Idem. 701 Idem. 702

Ch. LAGNEAU, De l'expertise à base scientifique comme moyen de preuve en matière criminelle, Domat-Montchrestien, 1934, [Droit privé : Université de Paris], p. 40.

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dans le corps de Mr Lafarge tandis que Raspail considère que les quantités d’arsenic isolées par Orfila, infimes et impondérables ne peuvent démontrer la présence d’arsenic704. Raspail déclarait alors qu’avec la méthode utilisée par Orfila il se chargeait de trouver de l’arsenic partout même dans le fauteuil du président de la cour d’assises705. L’appareil de Marsh utilisé à l’époque par Orfila pour retrouver de l’arsenic était critiqué pour sa trop grande sensibilité. En 1899, lorsque Ogier, auteur du Traité de chimie toxicologique 706commente cette affaire, la toxicologie a fait des progrès et l’arsenic ne se détecte plus avec l’appareil de March mais est dosé sous forme d’anneaux. Selon Ogier, pour qui, les quantités d’arsenic isolées par Orfila étaient « infiniment faible 707», il n’est pas dit qu’avec les nouveaux procédés « les conclusions seraient les mêmes qu’Orfila708 ». La culpabilité de Mme Lafarge condamnée aux travaux forcés à perpétuité reste non démontrée709.

267. En 1887, une nouvelle erreur judiciaire, celle de la femme Druaux est attribuée aux connaissances imparfaites en matière de toxicologie. Mme Druaux est accusée d’avoir empoisonné son mari et son frère retrouvés morts à son domicile710. Renard, Pennetier et Cerné, savants reconnus, sont les trois experts commis dans cette affaire711. Leurs expertises concluent à la mort par empoisonnement des deux hommes bien que l’autopsie pratiquée ne puisse en fournir la preuve712. Ne réussissant pas à mettre en évidence le poison utilisé, c’est sur la base de la constatation de lésions des viscères des deux victimes que les experts se prononcent en faveur d’une mort provoquée par l’intoxication d’un poison. Les experts croient avoir retrouvé dans une des déjections recueillies chez Druaux la trace d’un poison animal, la cantharidine provenant d’un insecte coléoptère qui serait la cantharide713. La femme Druaux qui clame son innocence est condamnée aux travaux forcés à perpétuité714. Néanmoins peu de temps après sa condamnation, le couple qui s’est installé dans l’auberge des époux Druaux ressentent des malaises analogues à ceux dont s’étaient plaints avant leur mort le mari et le frère de la femme Druaux. Au mois de mai 1888, on retrouve la locataire morte dans la cuisine. Le four à chaux se trouvant à côté de la maison, suspecté d’être la cause

       704 Ibid. p. 15. 705 Idem. 706 Idem. 707 Idem. 708 Idem. 709 Idem. 710

M. LAILLER et H. VONOVEN, Les erreurs judiciaires et leurs causes, Paris, Pédone, 1897, p. 404.

711 Ibid. p. 411. 712 Ibid. p. 404. 713 Ibid. p. 412. 714 Ibid. p. 404.

de tous ces maux est éteint et les symptômes des locataires disparaissent. De nouveaux experts sont commis afin de déterminer les causes de la mort des habitants de la maison Druaux. Les experts examinant le sang des victimes de la maison Druaux démontrent qu’elles ont été intoxiquées par des émanations d’oxyde de carbone provenant du four à chaux attenant la maison. Le mur qui séparait la maison du four à chaud avaient des lézardes par où le gaz pénétrait dans la maison715. Les morts du mari et du frère de la femme Druaux n’étaient donc pas criminelles mais dues à une asphyxie accidentelle par les gaz toxiques émanant du four à chaux716. La femme Druaux fut graciée et la Cour de cassation annula le 26 juin 1896 l’arrêt de la cour d’assises de Rouen717. La Femme Druaux fut acquittée par la cour d’assises de la somme718.

L’affaire Dreyfus, au cœur de laquelle se trouvent des expertises en écriture erronées met en cause la fiabilité des résultats de la science de l’écriture719. Les bases sur lesquelles reposeraient la graphologie seraient « des plus hypothétiques 720».

268. Par ailleurs, certaines techniques d’exploitations des indices telles que les méthodes « éliminantes721 » n’apportent que des probabilités. Les méthodes « éliminantes » ne permettent de se rapprocher de la vérité que par élimination. Ainsi certaines méthodes d’analyse des taches permettent d’exclure la présence de certaines substances mais non de conclure de manière certaine à la présence d’une substance en particulier. Cependant, même les techniques éprouvées n’apportent parfois que des probabilités. Tel est le cas de l’analyse d’une empreinte digitale dans laquelle on ne peut identifier douze points communs. Dans le cas où les indices apparaissent surs « ce n’est toujours qu’une proportion mesurables de chances qu’ils fourniront à l’appréciation de la vérité722 ».

269. La « certitude physique723 » à laquelle conduit l’expertise « par cela seul qu’elle comporte des degrés admettra toujours des chances d’erreur724 ». Contrairement à la certitude mathématique « Les limites absolues de la certitude physique ne sont jamais

      

715

Ibid. p. 412.

716

J. OGIER, Traité de chimie toxicologique, O. Doin, Paris, 1899, p. 19.

717

M. LAILLER et H. VONOVEN, Les erreurs judiciaires et leurs causes, Paris, Pédone, 1897, p. 413.

718

Ibid. p. 415.

719

Ibid. p. 19.

720

R. GARRAUD, Traité théorique et pratique d'instruction criminelle et de procedure pénale, Larose et Ténin, 1909, Tome 1, p. 641.

721

E. LOCARD, L'enquête criminelle et les méthodes scientifiques, Paris, Ernest Flammarion, 1920, p. 265.

722

Ibid. p. 266.

723

E. LOCARD, L'enquête criminelle et les méthodes scientifiques, Paris, Ernest Flammarion, 1920, p. 262.

724

atteintes725 ». Ainsi « si les chances de faire condamner un innocent en affirmant sa présence sur les lieux du crime par l’identification d’empreintes très nettes, sont du même ordre que les chances de voir toutes les maisons d’une grande ville prendre feu le même jour pour de causes fortuites et indépendantes, ou que de constater le suicide simultané de tous les habitants d’une sous-préfecture 726» elles existent néanmoins. Locard souligne que les coïncidences improbables existent en relatant une affaire judiciaire dans laquelle la personne suspectée à tort avait la même particularité physique que l’assassin, en l’espèce des cheveux bicolores, pourtant d’une exceptionnelle rareté727.

Plus encore que la faillibilité de la science c’est la faillibilité des experts (B) qui est dénoncée par les auteurs.

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