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L’élargissement des attributions du jury à la détermination de la peine

Conclusion de la Partie I

Section 1 : Vers une collaboration avec les magistrats professionnels

A. L’élargissement des attributions du jury à la détermination de la peine

321. Par une loi du 28 avril 1832890, le législateur permet aux jurés d’influer sur la peine prononcée en transférant le pouvoir de déclarer les circonstances atténuantes de la Cour au jury. L’article 341 du Code d’instruction criminelle, modifié par la loi du 28 avril 1832891, prévoit désormais que le président avertira les jurés de leur faculté de déclarer à la majorité de plus de sept voix au moins qu’il existe en faveur de l’accusé des circonstances atténuantes. En donnant un moyen d’action au jury sur le quantum de la peine, le législateur souhaite lutter contre l’impunité, en d’autres termes, éviter les acquittements prononcés par le jury892. En effet, l’utilisation par la Cour des circonstances atténuantes demeurant incertaine, les jurés préfèrent parfois acquitter un accusé coupable plutôt que d’exposer celui-ci à la peine de mort ou aux peines perpétuelles prévues par le code pénal893. Cette réforme confère au jury le pouvoir de modérer la peine édictée par le code pénal. Ainsi, lorsque le jury déclare l’existence de circonstances atténuantes, la Cour est désormais obligée de descendre d’un degré dans l’échelle pénale et peut si elle le souhaite descendre de deux degrés894. A titre d’exemple, si le fait, puni par le code pénal des travaux forcés à perpétuité est déclaré constant par le jury avec circonstances atténuantes, la Cour ne pourra pas condamner l’accusé à une peine plus forte que celle des travaux forcés à temps895. Il est intéressant de noter que la

      

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Code d'instruction criminelle annoté : édition de 1832, contenant l'indication des lois analogues, des arrêts et

décisions judiciaires, les discussions sur la loi du 28 avril 1832 et les opinions des auteurs, A. Guyot et Scribe

(Paris), 1833, p. 53. ; P. VIELFAURE, L’évolution du droit pénal sous la Monarchie de Juillet entre exigences

politiques et interrogations de société, [Histoire du droit : Montpellier : 1998].

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Article 341 du code d’instruction criminelle tel que modifié par la loi du 18 avril 1832 « En toute matière

criminelle, même en cas de récidive, le président, après avoir posé les questions résultant de I ’acte d'accusation et des débats, avertira le jury, à peine de nullité, que s’il pense, a la majorité de plus de sept voix, qu’il existe, en faveur d'un ou de plusieurs accusés reconnus coupables, des circonstance atténuantes, il devra en faire la déclaration en ces termes : « A la majorité de plus de sept voix : il y a des circonstances atténuantes en a faveur de tel accusé. »

Ensuite le président remettra les questions écrites aux jurés, dans la personne du chef du jury et il leur remettra en même temps l'acte d'accusation, les procès-verbaux qui constatent les délits, et les pièces du procès autres que les déclarations écrites des témoins. Il fera retirer l'accusé de l'auditoire »

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Code d'instruction criminelle annoté : édition de 1832, contenant l'indication des lois analogues, des arrêts et

décisions judiciaires, les discussions sur la loi du 28 avril 1832 et les opinions des auteurs, A. Guyot et Scribe

(Paris), 1833, p. 53. 893 Idem. 894 Idem. 895 Idem.

loi du 28 avril 1832 permet à la Cour d’entrer dans l’appréciation des faits afin d’adapter la peine en lui conférant la possibilité d’abaisser de deux degrés la sanction pénale896.

322. Le législateur, soucieux de protéger l’intérêt de la société, a néanmoins entendu limiter le pouvoir du jury de déclarer les circonstances atténuantes. Tout d’abord, afin de ne pas provoquer la clémence du jury et de « lui épargner une réponse pénible 897», le jury n’est pas interrogé sur les circonstances atténuantes. Le jury doit prendre l’initiative de déclarer les circonstances atténuantes898. Par ailleurs, contrairement à la règle de faveur dont bénéficie généralement l’accusé, la minorité des jurés ne suffit pas pour déclarer les circonstances atténuantes. Le législateur a exigé la même majorité que celle qui permet une condamnation, c’est-à-dire une majorité de huit voix pour déclarer les circonstances atténuantes899. Le législateur ne souhaite pas que les éventuels jurés qui se seraient prononcés pour l’acquittement parviennent à amoindrir la peine prévue par le code pénal900.

323. Un siècle plus tard, la loi du 5 mars 1932901 associe le jury à la cour d’assises pour l’application de la peine. Le jury se voit reconnaitre le droit de déterminer la peine prononcée, en collaboration avec les magistrats professionnels. Le système de vote sur la peine prévu à l’article 365 du Code d’instruction criminelle, modifié par la loi du 5 mars 1932902, s’applique toujours à l’heure actuelle. Les magistrats et jurés votent sur la peine, de la plus forte à la plus faible, jusqu’à ce que la peine mise au vote réunisse la majorité des suffrages. Le vote

      

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J. GAUTIER, Des attributions respectives du président des assises, de la cour d'assises et du jury, Y. Cadoret, imprimeur de l'université, 1908, [Droit privé : Bordeaux : 1908], p. 91.

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Code d'instruction criminelle annoté : édition de 1832, contenant l'indication des lois analogues, des arrêts et

décisions judiciaires, les discussions sur la loi du 28 avril 1832 et les opinions des auteurs, A. Guyot et Scribe

(Paris), 1833, p. 54. 898 Idem. 899 Idem. 900 Idem. 901

Loi du 5 mars 1932 ayant pour objet d’associer le jury à la cour d’assises pour l’application de la peine. DP 1932, 4, 129.

902

Article 365 du code d’instruction criminelle modifié par la loi du 5 mars 1932, DP 1932,4, 129 « Si ce fait est

défendu, la Cour et le jury se réuniront pour délibérer sur l’application de la peine, même dans le cas où, d’après les débats, le fait se trouverait n’être plus de la compétence de la cour d’assises. Il est voté au scrutin secret et séparément pour chaque accusé.

Les jurés voteront dans l’ordre qui leur aura été assigné par le sort, le président de la cour d’assises, après les assesseurs votera le dernier.

Si après deux tours de vote aucune peine n’a réuni la majorité des voix, il est procédé à un troisième tour dans lequel la peine la plus forte proposée au tour précédent est écartée de la délibération. Si, à ce troisième tour aucune peine, n’a encore obtenu la majorité des voix, il est proposé un tr quatrième tour, et ainsi de suite en continuant à écarter la peine la plus forte, jusqu’à ce qu’une peine soit prononcée par la majorité absolue des votants.

La Cour et le jury peuvent ordonner s’il y echet, qu’il soit sursis à l’exécution de la peine. En cas de conviction de plusieurs crimes ou délits, la peine la plus forte sera seule prononcée.»

s’effectuant par tête, le jury qui possède la supériorité numérique sur la Cour devient « le maitre de la peine 903». Cependant, c’est au président de la cour d’assises que revient la mission de diriger les délibérations sur la peine et la tâche de prononcer l’arrêt de la cour d’assises904.

324. A travers cette loi, le législateur souhaite continuer le mouvement de raffermissement de la répression par le jury initié par la loi du 28 avril 1832 mais également remettre en cause le principe de la séparation du fait et du droit afin de réunir, à terme, la Cour et le jury pour statuer tant sur la peine que pour déterminer la culpabilité.

En effet, malgré la loi de 1832 permettant au jury de déclarer les circonstances atténuantes, les « acquittements scandaleux905 » résultant de la crainte de la sévérité de la peine prononcée par la Cour seraient encore nombreux. En donnant au jury le pouvoir de déterminer la peine aux côtés des magistrats professionnels, la loi du 5 mars 1932 espère écarter ces acquittements. « Le jury maitre de la peine n’aura plus de prétexte à refuser de condamner 906» commente le professeur de droit A. Henry.

325. Par ailleurs, cette réforme constitue principalement l’occasion pour le législateur de remettre en cause le principe de la séparation du fait et du droit et ainsi d’augmenter l’influence du magistrat sur les jurés907. Elle annonce la prochaine réforme des attributions du jury et de la Cour qui verra le jour en 1941. Le principe de la séparation du fait et du droit qualifié d’ « artificiel 908» conduirait à « disjoindre arbitrairement le procès pénal en deux éléments indivisibles : l’appréciation de la culpabilité et la détermination de la peine909 ».

Le principe de la séparation du fait et du droit a vécu ; la pratique n’observait déjà plus strictement cette séparation. Les textes du Code d’instruction criminelle interdisant au jury de se préoccuper des conséquences de leur verdict n’étaient plus appliqués910. Le jury était

      

903

DP 1932,4, 129.

904

DP 1932, 4,139. Article 369 du code d’instruction criminelle tel que modifié par la loi du 5 mars 1932 « (…)

Les délibérations de la Cour et du Jury réunis auront lieu en chambre du conseil ; elles seront dirigées par le président de la cour d’assises. Dans tous les cas, l’arrêt sera prononcé à haute voix par le président, en présence du public et de l’accusé. (…) »

905

DP 1932,4, 129.

906

Idem.

907

F. LOMBARD, Les jurés Justice représentative et représentations de la justice, L'Harmattan, 1993, p. 263.

908 DP 1932,4, 129. 909 Idem. 910 Idem.

informé des peines encourues par l’accusé, soit par le ministère public, soit par la défense par président de la cour d’assises auquel il pouvait faire appel au cours du délibéré911.

326. Outre le fait que la distinction entre le fait et le droit soit dépassée, un certain nombre d’auteurs considère que « cette réforme ne constitue qu’une réponse incomplète au problème général de la réforme du jury912 ». Le commentateur de la loi appelle à une réforme du rôle du jury. La question de fait se révélant tout aussi complexe que la question de droit, il convient d’encadrer le jury par les magistrats professionnels lorsqu’il statue sur la culpabilité de l’accusé. « Le jury pour éviter de s’égarer au milieu des débats et des preuves souvent contradictoires doit être guidé par des professionnels913 ». En définitive, la réunion de la Cour et du Jury pour statuer sur la culpabilité, comme sur la peine, participerait de « l’équilibre de la procédure d’assises 914». Pour les praticiens, cette « réforme trop timide réalisée par la loi de 1932 915» constitue une « première étape vers une refonte totale de la procédure d’assises916 ». La cour d’assises ne doit plus être cette juridiction où magistrats et jurés s’opposent les uns aux autres mais « un tribunal d’échevinage917 » « un organisme de collaboration 918». Le professeur de droit A. Henry appelle de ces vœux la « collaboration des deux éléments professionnels et laïcs 919» (B).

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