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Enjeux contemporains du système de l’intime conviction

Conclusion de la Partie I

Partie 2 Enjeux contemporains du système de l’intime conviction

Les enjeux contemporains du système de l’intime conviction sont relatifs d’une part à l’institution du jury populaire et d’autre part à l’équité de la procédure pénale.

293. Dès la création du jury populaire, les pouvoirs politiques et judiciaires se sont montrés méfiants à son égard. Les jurés gênent. Tout d’abord, ils désorganisent la répression en acquittant des « coupables », ce qui provoque l’ire des magistrats. Par ailleurs, ils représentent un pouvoir indomptable pour les tenants du gouvernement.

A défaut de parvenir à le supprimer, la justice et le pouvoir politique vont tenter pendant deux siècles d’affaiblir le pouvoir du jury. Afin de contrôler le jury, les modalités du recrutement du jury vont être réformées à de nombreuses reprises. Napoléon fait choisir les jurés par les préfets. La seconde République évince de la composition du jury les domestiques et illettrés tandis que le second empire réserve la fonction de juré aux hommes d’ordres et aux notables784. Afin de contourner le pouvoir des jurés, les pouvoirs politique et judiciaire utilisent la correctionnalisation judiciaire et légale de façon massive et les juridictions d’exceptions785. Enfin, ils tentent de neutraliser le rôle du jury dans l’élaboration du jugement, confrontant ainsi le système de l’intime conviction au défi de l’indépendance du jury (Titre 1).

294. Plus récemment, le développement des exigences de la notion de procès équitable issue de la CESDH a conduit le législateur français à instaurer par la loi sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice et le jugement des mineurs du 10 août 2011786, une obligation de motivation des arrêts de cour d’assises. Jusqu’alors, les arrêts de cour d’assises, contrairement aux jugements des tribunaux correctionnels, demeuraient par principe non motivés. Selon le rapport du comité de réflexion sur la justice pénale dit « Rapport Léger 787», cette exception résultait de la conception historique du jury fondée sur la

      

784

D. Salas, « Juger en démocratie », in La cour d'assises: bilan d'un héritage démocratique, Association Francaise pour l'histoire de la justice, Cour de cassation, 11-12 juin 1999, p. 10, p. 10

785

Idem.

786

Loi n°2011-939 du 10 août 2011 sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice et le jugement des mineurs, JORF n°0185 du 11 août 2011.

787

LÉGER Philippe, Rapport du comité de réflexion sur la justice pénale, Paris, Documentation Française, remis le 1er septembre 2009. http://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/094000401/index.shtml

souveraineté populaire. Cette conception remise en cause par la loi du 15 juin 2000788 qui a introduit l’appel des décisions criminelles ne faisait désormais plus obstacle à l’instauration d’une motivation en matière criminelle. « En permettant l’appel des décisions criminelles la loi du 15 juin 2000 a mis fin à la fiction du peuple rendant la justice en cour d’assises. Dans ces conditions il n’est plus possible de justifier sur un plan théorique l’absence de motivation en matière criminelle 789».

295. Lors des discussions du projet de loi sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice et le jugement des mineurs à l’Assemblée nationale, certains députés ont pourtant considéré que cette obligation de motivation n’était pas compatible avec le principe de l’intime conviction. Selon eux, la rédaction d’une feuille de motivation était impossible car «les décisions des jurés se font sur la base de l’intime conviction, pour des raisons parfois contradictoires, ou sans explication 790».

Le législateur belge semble avoir également considéré que le principe de l’intime conviction était incompatible avec la motivation. En effet, suite à la condamnation de la Belgique pour violation du droit au procès équitable par la CEDH le 13 janvier 2009791, le législateur belge a supprimé la notion « d’intime conviction » de son droit par la loi du 21 décembre 2009 relative à la réforme de la cour d'assises792 pour la remplacer par « les éléments de preuve au-delà de tout doute raisonnable 793».

296. Pourtant, motiver une décision de cour d’assises ne parait pas plus contradictoire, dans son principe, avec le système de l’intime conviction, que la motivation des décisions rendues

      

788

Loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la présomption d’innocence et les droits des victimes, JORF n° 138 du 16 juin 2000 page 9038.

789

LÉGER Philippe, Rapport du comité de réflexion sur la justice pénale, Paris, Documentation Française, remis le 1er septembre 2009. http://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/094000401/index.shtml

790

Assemblée nationale, XIIIe législature, Session ordinaire de 2010-2011, Compte rendu intégral, Première séance du jeudi 23 juin 2011, discussion de l’article 6 du projet de loi sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et jugement des mineurs. http://www.assemblee-nationale.fr/13/cri/2010-2011/20110220.asp#P87_4091

791

CEDH, 13 janvier 2009, Taxquet contre Belgique, requête n° 926/05

792

Loi du 21 décembre 2009 relative à la réforme de la cour d'assises N° : 2009090000. service public fédéral

justice., en ligne : <http://www.ejustice.just.fgov.be/eli/loi/2009/12/21/2009090000/moniteur >.

793

Idem. Article 137 de la loi du 21 décembre 2009 relative à la réforme de la cour d'assises « L'article 327 du même Code est remplacé par ce qui suit : « Art. 327. Les questions étant posées et remises aux jurés, ils se

rendent dans la chambre des délibérations pour y délibérer.

Leur chef est le premier juré sorti par le sort, ou celui qui sera désigné par eux et du consentement de ce dernier.

Avant de commencer la délibération, le ou la chef des jurés leur fait lecture de l'instruction suivante, qui est, en outre, affichée en gros caractères dans le lieu le plus apparent de la chambre des délibérations : " La loi prévoit qu'une condamnation ne peut être prononcée que s'il ressort des éléments de preuve admis que l'accusé est coupable au-delà de tout doute raisonnable des faits qui lui sont incriminés. »

par les juridictions correctionnelles. Certains auteurs considèrent même que « le principe de l’intime conviction suppose la motivation794 ». En effet, la motivation devrait permettre de contrôler la pertinence du raisonnement de la cour d’assises construit à partir de l’appréciation de la valeur probante des éléments à charge. Le système de l’intime conviction ne peut se renouveler qu’à la condition de relever le défi que constitue la motivation des arrêts de cour d’assises (Titre 2).

      

794

W. ROUMIER, L’avenir du jury criminel, L.G.D.J., Bibliothèque des sciences criminelles, t.39, 2003, n°429, p. 233.

Titre 1 : L’intime conviction face au défi de l’indépendance du jury

297. Les Constituants se montrent méfiants à l’égard des magistrats professionnels dont ils dénoncent les abus de pouvoir commis sous l’Ancien Régime. Le corporatisme des magistrats aurait été la cause de nombreuses injustices. Pour les Constituants, ils représentent un danger pour la liberté publique et individuelle.

Par conséquent, la Constituante souhaite déposséder les magistrats du pouvoir judiciaire pour le confier au peuple, c’est-à-dire au jury populaire. Ils confient ainsi au jury le pouvoir de juger le fait tandis que le rôle des magistrats professionnels se cantonne à prononcer la peine prévue par la loi.

298. La séparation du fait et du droit, qui détermine les compétences du jury et des magistrats professionnels, assure l’indépendance du jury à l’égard des magistrats professionnels. Cependant, « toute l’histoire du pouvoir du jury illustre la revanche du magistrat professionnel sur le juré 795». Cette revanche du magistrat professionnel se manifeste par la domination que celui-ci va progressivement exercer sur le jury (Chapitre 1). Le système de l’intime conviction, conçu sur le fondement d’un jury populaire libre et donc indépendant, est en péril. La survie du système de l’intime conviction passe par la réhabilitation de l’indépendance du jury (Chapitre 2).

      

795

Chapitre 1 : De l’indépendance à la domination :

 

En droit, une évolution se dessine vers l’instauration d’une collaboration entre jurés et magistrats professionnels (Section 1). En fait, l’influence exercée par les magistrats professionnels sur les jurés s’apparente à une relation de domination (Section 2).

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