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La substitution de la preuve indiciale aux preuves orales

Conclusion du Titre I

Section 2 : Science et preuve de culpabilité

A. La substitution de la preuve indiciale aux preuves orales

215. Dans les codes napoléoniens de 1808 et 1810, la preuve orale, l’aveu et le témoignage constituent les principaux moyens de preuve employés par la justice. L’aveu, obtenu au moyen de l’interrogatoire de l’accusé dans lequel la torture est désormais prohibée est encore considéré comme la reine des preuves tandis que le témoignage reste une preuve fondamentale. Cependant, à mesure que l’indice prend une place prépondérante dans l’enquête criminelle, l’aveu et le témoignage connaissent le discrédit.

216. Selon Edmond Locard l’aveu est loin d’être une preuve absolue. Les aveux mensongers seraient fréquents dans la pratique. Des innocents s’accuseraient par faiblesse face à l’interrogateur, par peur du déshonneur que leur vaudrait la révélation de leur alibi, ou pour couvrir leur complice, le chef de la bande ou un être aimé.

Par ailleurs, les pratiques d’interrogatoire s’apparentent parfois à la torture. Edmond Locard dit avoir connu de nombreux exemples de suspects brutalisés, « roués de coups et frappés même à terre 524», ou illégalement détenus et privé de nourriture. « Entretenir des mouchards et assommer les suspects, telle est la technique exclusive des polices de sureté dans la plupart des grandes villes 525».

      

524

E. LOCARD, L'enquête criminelle et les méthodes scientifiques, Paris, Ernest Flammarion, 1920, p. 14.

525

Bonnier relate l’histoire d’un homme qui se déclara coupable d’avoir assassiné une veuve alors que celle-ci partie volontairement, revint chez elle, deux ans après son exécution526.

217. Granier en 1906 puis Gorphe en 1907 imputent au témoignage la responsabilité de nombreuses erreurs judiciaires. « Quand on parcourt les recueils d’erreurs judiciaires, on ne peut manquer d’être frappé par ce fait que la plupart de ces terribles méprises (…) soient dues, en tout ou partie, à des témoignages faux ou erronés ». Selon Granier la reconnaissance de l’agresseur par la victime est la source la plus féconde d’erreurs judiciaires. Gorphe relate l’affaire du courrier de Lyon pour laquelle six personnes, avaient été exécutées à la suite de témoignages erronés alors que les bandits n’étaient que cinq. Granier raconte l’histoire d’un enfant qui avait sur suggestion de sa mère, accusé à tort quelqu’un d’attentat à la pudeur pour dissimuler le fait qu’il avait fait l’école buissonnière.

218. Les chercheurs en psychologie légale qui souhaitent diffuser les idées scientifiques sur la psychologie du témoignage afin « d’épargner quelques-unes des erreurs judiciaires si nombreuses qui se produisent tous les jours » ne réussissent pas à redonner confiance en ce mode de preuve. Locard conclut son étude du témoignage de la sorte « S’il faut maintenant résumer cette trop longue étude du témoignage et de l’interrogatoire, à quelles conclusions pessimistes n’aboutirons nous pas ? La preuve testimoniale nous est apparue faillible dans tous ses éléments : perceptions incomplètes, images introduites ou substituées, souvenirs qui s’effacent, paroles qui trahissent les idées qu’elles prétendent traduire527 ». « Seuls les témoins muets ne se trompent ni ne mentent jamais528»

219. La science du témoignage qui souhaitait objectiver l’appréciation du témoignage n’y est pas parvenue. Les règles d’appréciation objectives proposées par la science du témoignage, trop incertaines, sont un échec. Garraud dans son Traité théorique et pratique d’instruction criminelle conclut ainsi sur la science du témoignage « les recherches qui ont été faites sur la psychologie du témoignage ne permettent pas encore et ne permettront

peut-      

526

E. BONNIER, Traité théorique et pratique des preuves en droit civil et criminel, Paris, A. Durand, 1852, Tome 1, p. 319.

527

E. LOCARD, L'enquête criminelle et les méthodes scientifiques, Paris, Ernest Flammarion, 1920, p. 101.

528

être jamais de poser des règles assez rigoureuses pour qu’on puisse arriver à corriger objectivement, à leur aide, les dépositions faites devant la justice529 ».

220. Ainsi si « l’élément de foi en la personne des témoins 530» qui donne un caractère subjectif à l’appréciation du témoignage ne doit plus jouer un rôle aussi important dans cette appréciation, la science du témoignage n’est pas en mesure de fournir de nouveaux critères d’appréciation fiables du témoignage. Le rôle de correction objective du témoignage va donc être dévolu aux indices qui peuvent seuls rendre le témoignage fiable. « Les dépositions des témoins ne sont plus pesées d’après leurs qualités personnelles et leurs actes, mais en objectivant leurs déclarations, c’est-à-dire en les mettant en rapport avec les circonstances extérieures du fait qui les confirment ou les infirment531 ». Les juges et jurés ne doivent accorder au témoignage « une valeur de certitude que s’il est conforme à toutes les circonstances objectives de l’affaire, avec lesquelles il doit nécessairement être mis en rapport et par lesquelles sa sincérité a besoin d’être confirmée532 ». La valeur probante du témoignage apparait désormais incertaine ; le témoignage n’est plus en soi une preuve suffisante.

221. « L’idéal de plus en plus recherché pour la preuve c’est qu’elle soit objective, ce qui constitue une grande supériorité sur le témoignage, mode de preuve essentiellement subjectif533 ». « Le progrès consiste à contrôler le témoignage par l’indice, ou à substituer l’indice au témoignage534 »

 

222. Les indices « presque méprisés535 » dans l’ancien droit, qui les considérait comme des semi-preuves acquièrent une valeur probante grandissante. Les preuves judiciaires se trouvent désormais prioritairement au cœur de l’affaire criminelle, elles reposent sur l’analyse de la

      

529

R. GARRAUD, Traité théorique et pratique d'instruction criminelle et de procedure pénale, Larose et Ténin, 1909, Tome 1, p. 552. 530 Ibid. p. 538. 531 Ibid. p. 539. 532 Ibid. p. 542. 533

F. GORPHE, La critique du témoignage, Librairie Dalloz, 1924, p. 20.

534

E. LOCARD, L'enquête criminelle et les méthodes scientifiques, Paris, Ernest Flammarion, 1920, p. 101.

535

R. GARRAUD, Traité théorique et pratique d'instruction criminelle et de procedure pénale, Larose et Ténin, 1909, Tome 1, p. 539.

scène de crime et des objets ayant servi au crime. Les témoignages sont circonstances extérieures qui ne doivent entrer en compte que dans un second temps.

L’avenir de l’instruction criminelle semble donc résider « dans la recherche scientifique des preuves indiciales, dans l’exploration d’un domaine encore neuf ou les témoins muets mais matériels et fidèles ne peuvent mentir, ne mentent pas 536».

223. De la Révolution à la seconde guerre mondiale l’administration des preuves « enregistre le passage de l’oralité à l’indice matériel 537». L’expertise, véritable travail d’exploitation des indices connait un essor considérable (B)

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