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Chapitre V. Introduction aux résultats

6.2 Trajectoires et motivations des tierces reproductrices

6.2.5 Transformer la tristesse d’un deuil

L’expérience d’un deuil a été, chez trois participantes, un élément déclencheur les ayant poussées à s’engager dans une démarche de procréation assistée par autrui, ou qui a raffermi selon elles leur résolution à poursuivre le processus. Le don d’ovules ou la GPA représentent une façon de donner un sens à ce deuil, canalisant la souffrance pour mieux la transformer en source de vie.

Mon chum est décédé de mort subite. On ne s’y attendait pas pantoute. Ma mère est décédée dix semaines plus tard. Parmi tous ces deuils-là, moi j’ai eu un genre de processus de deuil de mon utérus. (Sarah, donneuse d’ovules)

Pour Sarah, la mort de son conjoint et de sa mère a été marquante dans sa trajectoire vers le don d’ovules. Les bouleversements entraînés par ces deux deuils successifs l’ont amenée à questionner son existence et ses choix de vie, et à entrevoir le futur. Devenir mère devenait, après la mort de son amoureux, un rêve à enterrer à ses côtés. Dans sa quête de sens, elle a eu besoin de focaliser son chagrin pour en extirper ce qui posait alors un problème à ses yeux. À cet égard, l’art et le don d’ovules ont, chacun à leur manière, contribué à sa guérison.

Comme j’ai mon côté artiste, j’ai fait une série de créations sur l’utérus. J’ai utilisé mon sang menstruel, je mettais des objets de métaux rouillés et tout ça…Quelqu’un qui n’est pas en art peut me trouver weird [rires]. Il y avait une connotation thérapeutique dans ma démarche, comme si utiliser mon sang menstruel dans un processus créatif m’aidait à passer à travers mon deuil. Après avoir fait mon don d’ovules, j’ai arrêté de jouer dans mon sang menstruel. Ça venait de régler une affaire. J’avais un besoin de procréer, mais sans la maternité. (Sarah, donneuse d’ovules)

Lors des rencontres avec les femmes, j’amorçais toujours l’entretien en leur demandant de me préciser l’origine de leur histoire de don d’ovules ou de GPA. Les participantes avaient la liberté de commencer leur témoignage où elles le souhaitaient, soulignant au passage les éléments de leur récit les plus pertinents à leurs yeux. Installée dans un fauteuil dans son salon face à moi, Florence entame le sien en se remémorant l’avortement qu’elle a vécu à 16 ans.

Tout cela s’est fait en une semaine. Tu sais, on m’a vraiment poussé, mis de la pression. Le délai était court. Je n’ai pas eu le temps de réfléchir pour de vrai. Bref, je l’ai fait [long silence]. Par après, je me suis questionnée. Sachant qu’il y a tellement d’avortements et de couples infertiles en même temps…ce que j’aurais voulu avec cet enfant-là, c’est choisir ses parents. Le faire adopter, mais une adoption qui me garantit un droit de visite. Mais j’ai bien compris que c’était tout ou rien. Il n’y a pas d’entre-deux au Québec. Tu le donnes et tu ne le revois plus, ou tu le gardes. Ou tu te fais avorter [silence]. C’est là que je me suis dit : « Qu’est-ce que j’aurais à perdre d’être mère-porteuse? » (Florence, femme porteuse)

Ayant été contrainte selon elle à interrompre sa grossesse par les membres de son entourage et son psychiatre, Florence estime que son geste, qu’elle regrette aujourd’hui, ne correspondait pas à sa volonté d’alors. L’expérience du deuil d’un enfant jamais né l’a amené à réfléchir à un moyen de reprendre le contrôle sur son corps et sur son autonomie reproductive. Quelques années plus tard, la gestation pour autrui s’est avérée la solution pour elle à ce moment-là, en réponse à ce besoin bien précis.

Dans le cas d’Amélie, l’annonce de la mort par suicide d’un ami qui l’avait conseillé d’aller de l’avant dans le projet a raffermi sa résolution à offrir ses ovules. Le souvenir de cet être cher et l’enthousiasme de ce dernier face au don d’ovules lui ont procuré la certitude d’avoir pris la bonne décision. En donnant un ovule, elle pouvait ainsi aider à créer la vie, comblant en quelque sorte le vide entraîné par le décès de son ami.

J’ai appris que mon ami s’était suicidé. J’ai appris ça au téléphone le matin, avant d’aller à la clinique. Le sens que j’ai pu donner à ce don-là avant que ça se passe et après n’était plus le même du tout. Je ne pouvais pas m’empêcher de mettre ces deux événements-là en parallèle. Je peux les distinguer, bien sûr, mais ils sont devenus liés. […] J’avais besoin, quand c’est arrivé, de…pas d’avoir une réponse par rapport au décès de mon ami, mais j’avais besoin de ne pas voir ça juste comme un gros gâchis. Sur le coup, j’avais besoin de me rassurer. C’est comme si, à cause de son décès, je voulais encore plus que ça marche. (Amélie, donneuse, d’ovule)

Le sentiment de perte est ce qui réunit ces femmes. L’irruption de la mort ayant été vaine et incontrôlable selon elles dans leur vie, leur implication dans le projet parental d’autrui permet de transformer la tristesse de leur deuil en quelque chose de lumineux, utile et vivifiant. À leurs yeux, la création de la vie par enfantement contrebalance ainsi la disparition d’êtres chers ou l’interruption d’une grossesse.