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Chapitre III. Cadre conceptuel

4.2 L’approche qualitative pour recueillir la parole des femmes

question de recherche guide l’orientation méthodologique. En cohérence avec l’approche constructiviste des phénomènes humains (Mucchielli, 2005; Paillé et Muchielli, 2016), le choix de la recherche qualitative s’est imposé de lui-même pour mieux comprendre les expériences des femmes concernées par la gestation pour autrui et le don d’ovules. Les professeurs en sciences de l’éducation Marta Anadón et François Guillemette (2007, p. 27) en rappellent les particularités :

Les réalités subjectives et intersubjectives sont considérées, non seulement comme des objets de connaissance scientifique, mais aussi comme des instruments de recherche. L’étude de la vie quotidienne, comme lieu où se construisent et se développent les différentes dimensions qui constituent le monde humain, devient de plus en plus nécessaire pour en arriver à comprendre des phénomènes comme les valeurs, les représentations et les significations que les acteurs sociaux donnent à la vie humaine.

Le choix de la recherche qualitative dans la présente thèse se justifie de trois façons. Premièrement, l’approche qualitative offre l’opportunité d’avoir accès aux savoirs des personnes interrogées, ainsi qu’à la signification et à l’interprétation de leurs actions (Charmillot et Dayer, 2007; Padgett, 2016). « Elle valorise la subjectivité comme espace de construction de la réalité humaine », ajoutent Anadón et Guillemette (2007, p. 30). Deuxièmement, l’entretien comme instrument de collecte de données permet d’obtenir des réponses liées aux trajectoires de vie des femmes, en plongeant dans leur vécu. Les méthodes qualitatives visent justement à explorer plus en profondeur le point de vue des personnes concernées par un phénomène pour en éclairer les contours socioculturels (Denzin et Lincoln, 2018). Troisièmement, la recherche qualitative est caractérisée par la souplesse de ses approches permettant de construire une compréhension de l’objet d’étude, ce qui est compatible avec les principes de la MTE constructiviste.

4.2.1 L’entretien compréhensif

L’entretien compréhensif comme mode de mise en relation en recherche qualitative est le moyen que j’ai préconisé pour recueillir la parole des femmes concernées. Comme le mentionne Jean-Claude Kaufmann (2011, p. 50), il s’agit d’une approche « empathique » de l’enquête de terrain, de par la souplesse du canevas d’entrevue et le caractère engagé de la démarche. L’entretien se situe à mi-chemin entre le récit biographique et l’entrevue semi- dirigée, les questions étant préparées à l’avance puis consignées dans un canevas d’entrevue, mais posées selon une « dynamique de conversation » propice aux confidences (Kaufman, 2011, p. 43). À ce propos, Kathy Charmaz (2014, p. 91) relève la pertinence de considérer l’entretien comme une occasion d’échanges réciproque entre le chercheur et la personne rencontrée, laquelle favorise la co-construction de savoirs émergents :

A constructivist approach views interviews as emergent interactions in which social bonds may develop. Hence this approach attends to mutuality during the course of the interview and ways to build that mutuality. In this sense, the interview becomes more than a performance. Instead, it is the site of exploration, emergent understandings, legitimation of identity, and validation of experience.

Tout comme Charmaz (2014), Marie-Claude Jacques et ses collègues (2016, p. 75) recommandent de se positionner en « apprenant intéressé » face aux participantes, plutôt qu’en « investigateur distant ». Kaufmann (2011) suggère aussi de se laisser guider par nos intuitions, plutôt que de s’en remettre à un guide d’entrevue et de s’y confiner. Ainsi, l’entretien compréhension représente plus qu’un outil de collecte de données; il s’agit d’abord et avant tout d’une manière de concevoir le terrain, d’y avoir accès et de s’y engager. À plusieurs égards, cette méthode de travail fait écho aux principes de la MTE constructiviste.

4.2.2 L’abduction comme raisonnement analytique

Le processus de recherche est souvent présenté et conceptualisé selon deux mouvements inverses : d’un côté l’approche déductive, avec sa formulation d’hypothèses et ses expérimentations visant à les valider ou les infirmer, et de l’autre, l’approche inductive qui s’appuie d’abord et avant tout sur les données empiriques pour faire émerger une théorie tenant lieu d’hypothèse (Blais et Martineau, 2006). La théorisation enracinée se réclame de cette dernière (Guillemette et Luckerhoff, 2009). Or, le raisonnement analytique de la MTE constructiviste emprunte une voie mitoyenne, soit celle de l’abduction :

It is a mode of imaginative reasoning researchers invoke when they cannot account for a surprising or puzzling finding. Subsequently they make an inferential leap to consider all possible theoretical explanations for the observed data, and then form and test hypotheses for each explanation until arriving at the most plausible theoretical interpretation of the observed data. (Charmaz, 2014, p. 200)

Selon Anadón et Guillemette (2007), le concept d’abduction vient pallier trois limites qui restreignent la portée analytique de l’induction. D’abord, l’opérationnalisation de l’échantillonnage théorique implique un « moment déductif » lors de la sélection des situations jugées pertinentes, un procédé qui s’appuie sur des éléments théoriques antérieurs. Ensuite, la suspension pleine et entière desdits référents théoriques apparaît illusoire. Comme mentionné précédemment, cette limite a déjà fait l’objet de critiques, notamment par les tenants des courants straussiens et constructivistes de la MTE (Bryant, 2009). Dans cette optique, les résultats de la recherche ne peuvent donc pas être purement formulés a posteriori. Enfin, l’interprétation continue par le chercheur implique un aspect spéculatif (et donc déductif),

puisqu’il doit construire sa propre compréhension de données empiriques, souvent sous la forme de discours, eux-mêmes portés et interprétés par les personnes rencontrées. Somme toute, sans perdre son caractère inductif général, l’approche inductive implique des moments de déduction. L’abduction comme mode de raisonnement analytique vient pallier ces trois écueils, en resituant les affirmations hâtives concernant l’induction. En vertu de la circularité, ou de la récursivité de la recherche qualitative, elle reconnaît et prend en compte les moments déductifs qui parsèment le processus. L’abduction consiste à formuler des hypothèses temporaires à partir d’observations. Elle repose sur un système d’inférences mises à l’épreuve tout au long du processus d’analyse, lequel génère des idées et des concepts à expliquer. L’induction lui donne alors de la consistance grâce aux données recueillies. Elle met en lumière la comparaison continue des données recueillies entre elles, la formulation d’hypothèses permettant ultimement d’atteindre la saturation théorique, et l’intégration des construits théoriques en constante évolution.