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Chapitre I. Problématique

2.4 Les filières d’accès

Les personnes impliquées dans une entente de GPA ou de don d’ovules peuvent emprunter trois filières d’accès (Prosser et Gamble, 2016), qui représentent autant de « portes d’entrée » dans le processus de procréation assistée : 1) la famille et l’entourage; 2) les intermédiaires privés telles les agences spécialisées et les banques de gamètes et 3) les réseaux socionumériques.

Au regard de ces filières d’accès, les pratiques de GPA et de don d’ovules se situent sur deux axes (Schamps et Sosson, 2013). Le premier réfère à la proximité relationnelle entre les personnes concernées, avec un pôle évoquant les membres de l’entourage et un autre plus distant, réunissant des personnes jusqu’alors inconnues. L’autre axe concerne les considérations financières, attribuant de façon schématique la gratuité d’une entente de procréation assistée par

18 Dans cette situation, la femme porteuse n’avait pas déclaré sa filiation maternelle au Directeur de l’État civil. Pour la Cour de première instance, cela impliquait qu’elle ne pouvait consentir à l’adoption par consentement spécial, puisque non déclarée. Dans cette cause, la femme porteuse avait clairement exprimé sa volonté de ne pas être reconnue comme mère de l’enfant, alors que les parents souhaitaient que le conjoint du père biologique soit également reconnu père de l’enfant. Pour le Tribunal, cela aurait pourtant constitué une « fraude à la loi » permettant une « démarche illégale et contraire à l’ordre public » du fait que la mère n’apparaissait pas sur la déclaration de naissance de l’enfant. La Cour d’appel a plutôt considéré que cette lecture était erronée et que l’intérêt de l’enfant commandait qu’une ordonnance de placement en vue de son adoption éventuelle soit prononcée.

autrui à la sphère familiale et amicale, et le rapport commercial à celle organisée par l’entremise des intermédiaires privés. À cela s’ajoute le type d’entente établie entre les personnes concernées, soit une entente formalisée par contrat ou une entente informelle à l’amiable.

Au Canada, environ le quart des femmes qui ont porté un enfant pour autrui connaissaient déjà les parents d’intention avant de s’engager dans le processus (Dar et al., 2015). Elles partageaient donc un lien relationnel avec eux en tant que sœurs, cousines ou amies, voire comme collègues de travail ou simples connaissances. Comme le remarque Thompson (2005, p. 150) pour le cas étasunien, chaque filière participe à sa façon à la « fabrication » des mères : « A combination of intent, financial transaction, and genetics trace maternity through the various bodies producing the baby in commercial surrogacy. In noncommercial gestational surrogacy, an emotional or a familial commitment takes the place of a financial transaction ». Les instances régulatrices reconnaissent l’intérêt que peut représenter un processus de procréation assistée réunissant des personnes connues (confiance réciproque, histoire familiale ou amicale commune, réduction des coûts, etc.), mais soulignent également les risques de coercition qu’un rapport relationnel peut camoufler, ou encore les ambiguïtés que les arrangements au sein de la famille peuvent entraîner sur le plan des liens de parenté (Ethics Committee of the American Society for Reproductive Medicine, 2017).

Malgré l’interdiction fédérale, il existe plusieurs intermédiaires qui offrent leurs services de consultation au Canada et dont les activités sont néanmoins tolérées (Nelson, 2018). Le rôle de ces agences privées19 consiste à assurer la gestion des projets de GPA, en accompagnant les

parents d’intention et les femmes porteuses tout au long du processus, mais aussi en coordonnant les actions des agents impliqués (cliniques médicales, cabinets d’avocats, hôpitaux, etc.). Le recours à un intermédiaire privé comme filière d’accès à la GPA peut présenter plusieurs avantages pour les parents d’intention, notamment l’évaluation physique et psychologique des femmes qui se portent candidates et l’appariement avec l’une d’elles pour la concrétisation du

19 Plusieurs agences canadiennes publicisent en ligne leurs services de consultation. Une recherche rapide sur les moteurs de recherche m’a permis d’en identifier plusieurs, dont Canadian Surrogacy Options, Canadian Fertility Consultants, ANU Fertility Consultants, Surrogacy in Canada Online et Proud Fertility.

projet. Les frais associés à cette démarche sont cependant élevés (entre 60 000 et 100 000$), limitant ainsi son recours à des personnes ou des couples disposant de moyens financiers conséquents ou étant prêts à s’endetter. Le tableau suivant offre une estimation des coûts associés à un processus de GPA gestationnelle selon une agence canadienne20 :

Tableau I.Estimation des coûts d’une GPA gestationnelle au Canada

Dépenses à considérer Coûts approximatifs

Cycle de fécondation in vitro

Selon les frais exigés par la clinique, le nombre de cycles de FIV effectués, le recours ou non à un dépistage génétique préimplantatoire (DGP) ou à un diagnostic préimplantatoire (DPI), etc. Le tarif le plus bas est pour ceux qui ont déjà des embryons congelés.

10 000 – 20 000 $ +

Évaluation médicale 800 – 1 500 $

Évaluation psychologique de la femme porteuse Consultation psychosociale des parents d’intention

Frais additionnels de 300 $/heure pour un service de médiation, au besoin

800 – 1 000 $

Dépenses de la femme porteuses avant la grossesse

Ce sont des dépenses remboursables (avec reçus) qui couvrent les frais de voyage vers la clinique de fertilité (essence, kilométrage, gardiennage, perte de salaire, frais de repas et de subsistance, hébergement, etc.).

1 500 – 3 000 $ +

Dépenses de la femme porteuse

pendant la grossesse et la période postpartum

Ce sont des dépenses remboursables (avec reçus) qui incluent les vêtements de grossesse, la nourriture, les frais de gardiennage, les frais de voyage, une perte de salaire, la médication, etc.).

18 000 – 25 000 $ +

Frais additionnels (selon les circonstances)

1. Accouchement par césarienne 2. Naissances multiples

3. Alitement (peut durer de 1 à 20 semaines).

Ces dépenses couvrent les frais de garderie, de service ménager et de préparation de repas, de perte de salaire.

1. 0 – 3 000 $ 2. 0 – 3 000 $ 3. 0 – 10 000 $

20 Les informations contenues dans ce tableau proviennent directement du site Internet de l’agence Surrogacy in Canada Online [https://surrogacy.ca/intended-parents/cost-of-surrogacy.html, page consultée le 1er février 2019, traduction libre], lesquelles ont été publiées dans l’avis produit par le Conseil du statut de la femme (CSF, 2016, p. 98-99). Depuis la consultation du même site par le CSF en 2015, on remarque une hausse des frais de consultation de l’agence d’environ 3 000 $.

Frais juridiques pour la représentation des deux parties

Les frais varient selon la province de naissance de l’enfant. 8 000 – 10 000 $

Police d’assurance pour la femme porteuse et sa famille (1 an) 300 – 500 $

Diagnostic génétique – optionnel (selon la province)

Pour s’assurer que l’enfant soit lié génétiquement au(x) parent(s) d’intention

0 – 1 500 $

Frais de consultation d’une agence – optionnel

Les frais de consultation au Canada varient entre 5 000 et 20 000 $. Les honoraires de Surrogacy in Canada Online sont de 5 750 $ (+ taxes)

0 – 20 000 $

En ce qui concerne le don d’ovules, les parents d’intention peuvent aussi se tourner vers des agences21. Or, les donneuses canadiennes qui acceptent de faire un don sans connaître

préalablement le couple receveur étant peu nombreuses, une telle offre est limitée au Canada. La plupart des agences et des cliniques de fertilité établissent alors des ententes avec des banques de gamètes internationales, aux États-Unis ou en Espagne, par exemple. Cette circulation des ovules n’est toutefois possible que depuis une dizaine d’années, grâce à la maîtrise de la vitrification. En vertu de la Loi canadienne sur la taxe d’accise (gouvernement du Canada, 1985), la « fourniture de sperme humain » est détaxée, contrairement aux ovules qui sont vendus en lot (cinq à neuf œufs vitrifiés, en général) pour un montant de plus de 20 000$, auxquels s’ajoutent plusieurs milliers de dollars de taxes. Ce traitement différencié pour l’achat de gamètes s’explique par l’obsolescence de la loi qui, depuis son adoption, n’a toujours pas été mise à jour pour y inclure les ovules.

En marge de deux premières filières d’accès, une troisième voie émerge comme mode de mise en relation entre les parents d’intention et les tierces reproductrices. Les réseaux socionumériques, avec l’apparition de plateformes telles que les groupes Facebook, offrent en effet un espace pour discuter de la pratique, demander des conseils, offrir du soutien et entrer en contact avec d’autres internautes pour négocier et établir une entente (Berend, 2016;

21 Plusieurs intermédiaires œuvrant dans le domaine du don de gamètes s’avèrent être des branches spécialisées d’agences de GPA, par exemple Little Miracles opérée par Canadian Surrogacy Options, ainsi que Proud Fertility. D’autres comme Tiny Feet Fertility se consacrent exclusivement au don

Ravelingien, Provoost et Pennings, 2016). Bien que l’ampleur du phénomène soit difficile à mesurer, l’émergence de cette offre d’aide à la procréation en dehors des filières conventionnelles s’est accentuée avec la démocratisation d’Internet et l’avènement du Web 2.0, comme en témoigne la multiplication des groupes et des forums qui lui sont consacrés. De fait, au Canada et ailleurs dans le monde, il existe une offre non négligeable de don d’ovules ou d’entente de gestation qui circule par le biais de sites Internet créés « par et pour » les personnes directement concernées (Lavoie et Côté, 2018b). La régulation des échanges ne repose donc pas sur la dynamique relationnelle au sein de la famille ni sur les modalités contractuelles des agences, mais se construit à partir des interactions en ligne.