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Chapitre I. Problématique

2.2 Les éléments constitutifs

2.2.2 La gestation pour autrui

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) considère la gestation pour autrui comme une pratique de procréation assistée (Zegers-Hochschild et al., 2009). Depuis l’avènement de la FIV aux tournants des années 1980, la gestation pour autrui se décline en deux types d’arrangement procréatif : la GPA génétique et la GPA gestationnelle (Brinsden, 2016). La

présence ou non d’un lien génétique entre la femme porteuse et l’enfant qu’elle porte pour autrui est l’élément qui les distingue.

La GPA dite « génétique » ou « traditionnelle » (full surrogacy ou traditional surrogacy) signifie que la femme porteuse procure ses propres ovules en tant que génitrice de l’enfant à naître. Le fœtus qu’elle porte est alors créé à partir de ses gamètes et ceux d’un homme (généralement le père d’intention), ces derniers pouvant être transmis par insémination artificielle en clinique de fertilité, ou par procédure artisanale à la maison. En Grande-Bretagne, où seule la GPA dite « altruiste » (ou gratuite) est autorisée, on estime que 40 % des grossesses pour autrui sont de type traditionnel (Horsey, 2016). Il est toutefois impossible d’estimer l’ampleur du phénomène au Canada, puisque ces arrangements se produisent généralement en contexte privé entre particuliers, sans le recours aux tribunaux ni à des soins spécialisés pouvant être dénombrés à l’aide d’un registre.

Plus récente, la GPA dite « gestationnelle » (gestational surrogacy) signifie que la femme porteuse reçoit un embryon issu des gamètes du couple intentionnel ou de tiers donneurs. Cette procédure se produit par fécondation in vitro à l’aide des ovules d’une autre femme, qu’il s’agisse d’une donneuse ou de la mère d’intention ayant des ovaires fonctionnels capables de fournir des ovocytes après stimulation de l’ovulation. Au Canada, le nombre de GPA gestationnelles répertoriées annuellement par le Registre canadien des techniques de procréation assistée (RCTPA)8 est passé à moins d’une centaine en 2001 à près de 900 en 2017.

8 Créé en 2001, le Registre canadien des techniques de procréation assistée, ou CARTR (Canadian Assisted Reproductive Technologies Registry) recueille les données des interventions cliniques de FIV réalisées par les cliniques de fertilité au Canada, qui les transmettent sur une base volontaire. Une mise à niveau du registre (CARTR Plus) a été réalisée en 2012, dans le cadre d’un partenariat avec BORN Ontario (Better Outcomes Registry & Network). Depuis janvier 2013, les données sont saisies et analysées par l’entremise de ce nouveau système.

Tirée d’un article récent signé par Pamela M. White (2017, p. 1047), la figure suivante9

présente le nombre de cycles de FIV réalisés dans le cadre de GPA gestationnelles entre 2001 et 2015, de même que le nombre de grossesses et de naissances connues par année.

Figure 1. Cycles de FIV pour des GPA gestationnelles au Canada entre 2001 et 2015

La figure illustre la croissance rapide du nombre de GPA gestationnelles réalisées au Canada au cours des dernières années, dont un bond fulgurant de 145 % des cycles de FIV entre 2011 et 2015. Selon White (2017), les couples hétérosexuels représenteraient 79 % de l’ensemble des parents d’intention, comparativement à 21 % pour les couples de même sexe et les hommes célibataires. Au-delà des chiffres sur la popularité croissante de la pratique, la chercheuse attire l’attention sur les incidences des interventions cliniques sur la santé des

9 Les données présentées dans cette figure sont tirées des rapports annuels de CARTR publiés par la Société canadienne de fertilité et d’andrologie (SCFA) de 2001 à 2015. Pour chaque année, trois résultats ont été extraits par la chercheuse, soit : 1) le nombre de cycles de FIV réalisées avec une « femme autre que celle ayant l’intention d’élever l’enfant » (gestational carrier cycles); 2) le nombre de grossesses découlant de ces interventions (clinical intrauterine pregnancies) et 3) le nombre de naissances connues (known births).

femmes porteuses qui, bien souvent, ne correspondent pas aux standards de soin en matière de transfert d’embryon (White, 2018a; Reilly, 2007). Par exemple, les femmes porteuses expérimentent davantage de grossesses multiples que les autres patientes ayant eu recours à la FIV pour elles-mêmes, ce qui s’expliquerait par l’occurrence élevée de transfert de plusieurs d’embryons en cas de GPA. De fait, seulement 26 % des femmes porteuses ont reçu un seul embryon en 2012, comparativement à 47 % des autres patientes la même année (White, 2016). La volonté de maximiser les chances de succès partagée tant par les parents d’intention, la femme porteuse et le médecin expliquerait en partie le phénomène, de même qu’une certaine méconnaissance des risques entourant les grossesses multiples au sein de la population en général (Jones et Schnorr, 2001). Selon Ashenden, (2013), les risques de coercition ne sont pas à négliger, notamment lorsque les femmes porteuses sont isolées, ne connaissent pas leurs droits, ou que le rapport relationnel qu’elles partagent avec le couple pourrait les incitent à accepter davantage de risques (dans le cas d’une entente intrafamiliale ou entre amis, par exemple).

Enfin, selon certains observateurs (Markens, 2007; Whetstine et Beach, 2016), la GPA traditionnelle serait progressivement remplacée à l’échelle internationale par les arrangements de type gestationnel, comme en témoignent les législations adoptées dans un nombre grandissant d’États et les procédures préconisées à cet effet par les agences privées. Bien que ce soit probablement le cas, il n’en demeure pas moins qu’il est impossible d’avancer des chiffres exacts, puisque de telles données n’existent tout simplement pas. Comme l’explique White (2018b), s’en remettre à l’état actuel du droit, à la quantité de dossiers traités en cour, aux chiffres avancés par les agences ou au nombre d’interventions cliniques pour mesurer l’ampleur du phénomène pose des limites importantes, puisque plusieurs situations passent sous le radar des tribunaux ou des cliniques.